AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente et un mai deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire CHAUMONT, les observations de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, de la la société civile professionnelle PARMENTIER et DIDIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA CRAMA DE BRETAGNE-GROUPAMA LOIRE BRETAGNE, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3ème chambre, en date du 15 octobre 2004, qui, dans la procédure suivie contre Patrice X... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, 4 de la loi du 5 juillet 1985, L. 234-1 du Code de la route, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrice X... entièrement responsable du préjudice subi par Pierrick Y... ;
"aux motifs qu'il résulte du dossier que l'accident dont a été victime Pierrick Y... s'est produit le 25 mars 2002 sur la voie express Rennes-Brest à hauteur de Plérin ; Patrice X..., conducteur d'un véhicule Peugeot 607 a entrepris de dépasser la voiture Mercedes conduite par Pierrick Y..., chauffeur de taxi et l'a accrochée au cours de cette manoeuvre ; que, du fait du choc, le véhicule taxi, déséquilibré, a effectué plusieurs tonneaux avant de s'immobiliser dans le fossé ; que les opérations de contrôle de l'état alcoolique des deux conducteurs ont révélé pour Patrice X... un taux d'alcoolémie de 0,65 gramme par litre (1,30 grammes) et pour Pierrick Y..., 3 grammes d'alcool par litre de sang ; qu'il ressort des témoignages recueillis par les gendarmes que c'est bien le véhicule de Patrice X... qui a accroché celui de Pierrick Y... qui circulait normalement sur la voie de droite, sans s'être déporté sur sa gauche lors du dépassement ;
qu'en effet, M. Z... qui, au volant de son véhicule, suivait le taxi, a indiqué que Patrice X... qui venait de procéder à son propre dépassement à vive allure et après avait failli le percuter en se rabattant trop brusquement, a entrepris de doubler le véhicule Mercedes taxi et l'a accroché en voulant se rabattre ; que, pour sa part, M. A..., passager du véhicule taxi, a confirmé que celui-ci roulait tranquillement et que c'était l'autre automobiliste qui était venu les percuter, ce que d'ailleurs avait reconnu Patrice X... lui-même ; que l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 relative à l'indemnisation des victimes d'accident de la circulation stipule :
"La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; que, toutefois, si Pierrick Y... a commis une infraction en conduisant sous l'empire d'un état alcoolique, il n'en demeure pas moins que la faute commise par Patrice X..., lequel au cours de la manoeuvre de dépassement s'est rabattu trop brusquement sur la voie de droite et a accroché le véhicule qui y circulait normalement, est la cause exclusive de l'accident ; que c'est donc à juste titre que le premier juge a considéré qu'il n'y avait pas lieu de réduire le droit à indemnisation de Pierrick Y... et a déclaré Patrice X... entièrement responsable du préjudice subi par la partie civile ;
"alors, d'une part, que la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; que la cour d'appel ne pouvait subordonner l'exclusion ou la limitation de responsabilité du conducteur victime à la condition que sa faute ait contribué à la réalisation de l'accident ;
"alors, d'autre part, que la conduite d'un véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique constitue une faute en relation avec le dommage du conducteur victime, de nature à limiter ou exclure son droit à indemnisation ; que les juges ne pouvaient décider qu'il n'y avait pas lieu de réduire le droit à indemnisation de Pierrick Y... et déclarer Patrice X... entièrement responsable du préjudice subi par la partie civile, tout en relevant que la victime, dont le contrôle avait révélé la présence de 3 grammes d'alcool par litre de sang, avait commis une infraction en conduisant sous l'empire d'un état alcoolique" ;
Vu les articles 1er et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Attendu que, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu'il appartient alors au juge d'apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que l'automobile conduite par Pierrick Y..., qui roulait sur sa voie de circulation sans excéder la vitesse autorisée, a été heurtée par celle conduite par Patrice X..., qui s'est rabattue brusquement au cours d'une manoeuvre de dépassement effectuée à vive allure ; que l'alcoolémie de Pierrick Y... a été établie à 3 grammes par litre de sang et celle de Patrice X... à 1,30 gramme ; que celui-ci a été déclaré coupable du délit de blessures involontaires ;
Attendu que, pour refuser de limiter l'indemnisation des dommages subis par Pierrick Y..., l'arrêt retient que la faute de conduite commise par Patrice X... est la cause exclusive de l'accident ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la faute de la victime ayant contribué à la réalisation de son préjudice doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de l'autre conducteur du véhicule impliqué dans l'accident, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Que l'intérêt d'une bonne admisnitration de la justice commande qu'en application de l'article 612-1 du Code de procédure pénale, l'annulation prononcée ait effet à l'égard de Patrice X..., partie à la procédure, qui ne s'est pas pourvue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 15 octobre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT que cette cassation produira effet à l'égard de Patrice X... ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Chaumont conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Gailly, Guihal, Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;