AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... est titulaire de deux comptes au Crédit lyonnais ; que son épouse a émis douze chèques tirés sur l'un des comptes de son mari ; que ces chèques ont été payés par la banque ; que, postérieurement, lorsqu'un chèque, émis six mois auparavant par M. X..., a été présenté à l'encaissement sur ce compte, la banque a considéré que son client avait émis un chèque sans provision et a interdit à M. X... d'émettre des chèques et d'utiliser tout autre moyen de paiement ; que la banque ayant levé l'interdiction de chéquier et redonné à M. X... sa carte de crédit, ce dernier a tiré un chèque sur une formule du compte susvisé après avoir barré le numéro de ce compte et l'avoir remplacé à la main par le numéro de son autre compte qui était approvisionné ; que, compte tenu de la lecture optique de la bande magnétique de ce chèque, la correction manuscrite est restée sans effet et le chèque, présenté pour encaissement sur le compte indiqué sur la formule, a été rejeté faute de provision suffisante ; qu'après la clôture du compte susmentionné, un chèque qui avait été antérieurement émis dans les mêmes conditions que ce dernier a été rejeté et a entraîné une interdiction bancaire de M. X... ; que la banque a prélevé une somme à titre de pénalités et de frais divers ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en remboursement du montant de douze chèques utilisés et signés par erreur par son épouse, entre avril et novembre 1998, ainsi que des sommes correspondant à des frais de fonctionnement et des intérêts, et en paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que les relations de confiance mutuelle qui président à la vie d'un couple marié interdisent en pratique à l'un des époux de refuser à son conjoint l'accès au coffre où il garde son chéquier ; que le faire traduirait une défiance constitutive d'injure à l'égard du conjoint ; d'où il suit qu'en reprochant, sans davantage s'en expliquer, au titulaire du compte d'avoir enfermé son chéquier dans un coffre-fort auquel sa femme avait accès, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;
2 / que les signatures de M. et Mme X..., telles qu'elles apparaissent sur les différents documents régulièrement versés aux débats d'appel, comportent de nombreuses différences ; celle de Mme X... est anguleuse, soulignée, très lisible, ne comporte pas de point après l'initiale du prénom qui est un "F" et est sensiblement parallèle à la base du support ; que celle de M. X... est nettement arrondie, pas soulignée, pratiquement illisible, comporte un point après l'initiale qui est un "P" et franchement ascendante par rapport à la base du support ;
qu'en l'état de ces nombreuses différences, la cour d'appel ne pouvait légalement, sans davantage s'en expliquer, décider qu'elles n'étaient pas telles qu'une confusion ne puisse être commise à l'occasion d'un examen normal et nécessairement succinct du paraphe ; d'où il suit qu'en statuant comme ci-dessus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
3 / qu'en décidant, sans davantage s'en expliquer, que les fautes commises par le titulaire du compte qui avait permis que soit commise l'erreur de chéquier et négligé de vérifier chaque relevé de compte dès sa réception, déchargeaient intégralement le banquier de restituer les fonds du déposant, cependant que le banquier avait lui-même commis une faute à l'origine du préjudice subi par le déposant, de nature à entraîner au moins un partage de responsabilité , la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;
4 / que s'agissant des chèques émis avant la réception, par le titulaire du compte, du premier relevé faisant apparaître l'erreur commise par l'épouse du déposant, la cour d'appel ne pouvait légalement retenir comme constitutif d'une faute de nature à décharger le banquier de son obligation de restituer les fonds, le fait que le déposant avait omis de vérifier ses relevés de compte ; d'où il suit qu'en statuant comme ci-dessus, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
5 / qu'en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les motifs ci-dessus ne répondent pas au moyen par lequel le déposant soutenait, en page 5 de ses conclusions récapitulatives, que la clause imposant au titulaire du compte de formuler sa réclamation dans un délai donné était abusive ;
6 / que l'article 1269 du nouveau Code de procédure civile qui interdit la révision, autorise le redressement du compte en cas d'erreur, omission ou présentation inexacte ; qu'en retenant, pour débouter le déposant de sa demande en restitution des fonds, qu'il n'avait pas formulé de réclamation dans le délai convenu, sans constater que les conditions du redressement n'auraient pas été réunies, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard du texte ci-dessus visé ;
7 / que les circonstances que les dépenses effectuées au moyen des chèques émis par l'épouse du titulaire du compte n'aient pas été effectuées à son détriment et que les époux aient disposé d'un compte commun créditeur leur permettant d'alimenter le compte personnel du mari étaient sans influence sur l'obligation du banquier de ne se défaire des fonds du déposant qu'en vertu d'un ordre de paiement revêtu de sa signature authentique ; qu'en relevant cependant ces circonstances pour débouter le déposant de sa demande en restitution des fonds, la cour d'appel a violé l'article 1937 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que M. X... a soutenu devant la cour d'appel que sa faute ne pourrait être retenue s'agissant des chèques émis avant la réception du premier relevé faisant apparaître l'erreur commise par son épouse ou qu'il aurait entendu demander le redressement de son compte en application des dispositions de l'article 1269 du nouveau Code de procédure civile ; que le moyen, en ses quatrième et sixième branches, est donc nouveau ; qu'il est mélangé de fait et de droit ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient que M. X... avait commis des négligences en ne veillant pas à la conservation de son chéquier et en omettant de vérifier ses relevés de compte dès leur réception ou à tout le moins dans le délai prévu dans les "dispositions générales de banque", répondant ainsi en les écartant aux conclusions invoquées par la cinquième branche ; qu'il retient encore, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que les différences existant entre les signatures de M. et Mme X... n'étaient pas telles qu'une confusion ne puisse être commise à l'occasion d'un examen normal et nécessairement succint du paraphe, de telle sorte que la banque ne pouvait être tenue pour responsable de la situation de M. X... ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la septième branche ;
D'où il suit qu'irrecevable dans ses quatrième et sixième branches, le moyen, qui ne peut être accueilli en sa septième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter les demandes de M. X... en réparation du préjudice subi du fait que la banque avait considéré comme sans provision un chèque sur lequel il avait remplacé à la main le numéro du compte par un autre numéro de compte dont la provision était suffisante, l'arrêt retient qu'en utilisant une formule de chèques différemment de l'utilisation habituelle sans avoir la prudence élémentaire de s'informer auprès de son banquier afin de vérifier qu'il ne risquait pas d'en résulter une difficulté quelconque au cas où la provision de compte sur lequel le chèque serait effectivement présenté serait insuffisante, M. X... s'était lui-même placé dans la situation dont il fait grief à la banque et avait fait preuve de négligence ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'abstraction faite de la négligence éventuelle du tireur, il appartenait à la banque de prendre les dispositions propres à lui permettre d'exécuter de manière utile l'ordre de paiement de son client sans pouvoir, sauf stipulation conventionnelle expresse, se prévaloir de ses contraintes d'exploitation pour prétendre échapper à sa responsabilité, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne le Crédit lyonnais aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille cinq.