AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 octobre 2003), que Mme X... a été contaminée par le virus de l'hépatite C, le 26 mars 1985, à l'occasion d'une intervention chirurgicale au sein de la Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent (la clinique), au cours de laquelle elle a été transfusée à l'aide de produits sanguins fournis par le Centre régional de transfusion sanguine (CRTS) de Rennes ; que cette contamination n'a été révélée qu'en août et octobre 1995 à l'occasion d'examens médicaux ; que, le 31 mars 1999, Mme X... a assigné en responsabilité et indemnisation devant le Tribunal le CRTS, aux droits duquel est venu l'Etablissement français du sang (EFS), son assureur la société Axa (Axa), ainsi que la clinique ; qu'Axa a dénié sa garantie au motif que le contrat, résilié le 31 décembre 1989, comportait une clause stipulant la cessation de la garantie au 1er janvier 1995, soit à l'expiration d'un délai de 5 ans à compter de la résiliation du contrat d'assurance, et ce conformément à l'arrêté interministériel du 27 juin 1980, et son annexe, pris en application de l'article L. 667 du Code de la santé publique ; qu'enfin, la clinique a soutenu n'être tenue que d'une obligation de moyen et qu'aucune faute n'était démontrée à son encontre ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu qu'Axa fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré non écrite la clause litigieuse au vu de l'arrêt du Conseil d'Etat, en date du 29 décembre 2000, déclarant illégale la clause type prévue à l'annexe de l'arrêté du 27 juin 1980, de l'avoir déboutée de sa demande d'annulation de la convention d'assurance, et, en conséquence, de l'avoir condamnée à garantir l'EFS des condamnations mises à sa charge, alors, selon le moyen :
1 / que la déclaration d'illégalité par la juridiction administrative d'une clause type réglementaire autorisant l'assureur à subordonner sa garantie aux seuls sinistres ayant fait l'objet d'une réclamation portée à sa connaissance dans un certain délai à compter de la résiliation de la police, ne saurait, sans porter atteinte aux principes de respect des droits acquis et de sécurité juridique, priver rétroactivement d'efficacité la clause qui en est la reproduction, figurant dans un contrat passé et exécuté avant que le juge administratif ne déclare illégal l'arrêté sur la base duquel elle avait été stipulée ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 2 et 1134 du Code civil, ensemble les principes susvisés ;
2 / que ne peut constituer une clause abusive ou illicite la clause figurant dans un contrat d'assurance conforme à une clause type dont l'usage était expressément autorisé par un arrêté en vigueur au moment où ledit contrat a été conclu et a produit ses effets ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés, ensemble les articles 1 et suivants de la Directive 93/13 du 5 avril 1993 ;
3 / que la clause limitant la garantie dans le temps de l'assureur de responsabilité (RC produits livrés) ayant nécessairement un caractère substantiel, puisque déterminant à la fois la durée des obligations et des engagements de l'assureur et, corrélativement, le montant des primes versées en contrepartie, viole les articles 1110 et 1131 du Code civil, ensemble l'article L. 113-8 du Code des assurances, la cour d'appel qui refuse de considérer que la nullité, à la suite de la déclaration de son illégalité survenue postérieurement à la souscription du contrat, de la clause type réglementaire d'un contrat d'assurance autorisant l'assureur à subordonner sa garantie à l'existence d'une réclamation portée à sa connaissance dans un certain délai à compter de la résiliation du contrat n'avait pas pour effet d'entraîner la nullité de la garantie dans son ensemble ;
Mais attendu que l'arrêt énonce que toute déclaration d'illégalité par le juge administratif, même prononcée dans le cadre d'une autre instance, s'impose au juge civil qui ne peut plus à l'avenir faire application du texte déclaré illégal ; que la cour d'appel en a exactement déduit, sans remettre en cause les droits acquis ou l'objectif de sécurité juridique, que ladite clause, en ce qu'elle tendait à réduire la durée de garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré, était génératrice d'une obligation sans cause et, comme telle, illicite et réputée non écrite ;
Et attendu que manque en fait le grief qui reproche à la cour d'appel d'avoir retenu que, l'assuré n'étant ni un consommateur ni un non professionnel, la clause litigieuse ne relevait pas de la réglementation spécifique des clauses abusives ; que le rejet de ce grief prive de tout fondement la demande de renvoi préjudiciel pour saisine de la Cour de justice des Communautés européennes ;
Attendu, enfin, qu'ayant souverainement relevé l'absence, lors de la formation du contrat, de toute erreur portant sur la substance des droits en cause, viciant le consentement de l'assureur, l'arrêt, qui a exactement retenu que l'erreur ne pouvait être imputée à la déclaration d'illégalité, fût-elle intervenue postérieurement à la formation du contrat, a rejeté à bon droit la demande d'annulation de celui-ci ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent :
Attendu que la clinique fait grief à l'arrêt de l'avoir déclarée responsable de la contamination de Mme X... par le virus de l'hépatite C, alors, selon le moyen :
1 / qu'un établissement de santé privé n'est tenu que d'une simple obligation de prudence et de diligence dans la fourniture de produits sanguins livrés par un centre de transfusion ; qu'en décidant, pour retenir que la Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent était responsable de la contamination par le virus de l'hépatite C dont a été victime Mme X..., imputée à une transfusion pratiquée le 26 mars 1985 lors de l'opération subie par cette dernière, que le contrat d'hospitalisation et de soins liant la patiente à cet établissement de santé privé mettait à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie, une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins, la cour d'appel, qui a admis que la polyclinique n'avait pas la possibilité de contrôler la qualité des produits sanguins transfusés à la victime, a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 / qu'à supposer qu'un établissement de santé privé fût tenu d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits, tels le sang et ses dérivés, ce dernier peut s'en exonérer par la preuve de la cause étrangère ; que, dans ses écritures d'appel, la Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent a soutenu que la fourniture par le Centre régional de transfusion sanguine de Rennes de produits contaminés et dont le vice était indécelable compte tenu des connaissances scientifiques était constitutif d'une cause étrangère ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la cause étrangère rapportée par la Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent ne devait pas l'exonérer de sa responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'il appartient aux établissements de soins, tenus d'une obligation de sécurité de résultat, de prendre toutes dispositions utiles pour s'assurer de l'innocuité des produits sanguins fournis et transfusés ;
Et attendu que l'arrêt retient que la contamination par le virus de l'hépatite C devait être imputée à la transfusion sanguine pratiquée, le 26 mars 1985, par la clinique ; que la cour d'appel en a exactement déduit que la responsabilité de la clinique était engagée envers Mme X... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Condamne la société Axa France IARD et la société Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Axa France IARD à payer la somme de 1 000 euros à Mme X... et de 2 000 euros à l'Etablissement français du sang (EFS) ; condamne la société Polyclinique rennaise CMC Saint-Vincent à payer la somme de 1 000 euros à Mme X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille cinq.