AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 19 juin 2003), que, par acte du 19 juin 1995, les consorts X..., aux droits desquels est venue Mme Y..., ont donné à bail en renouvellement aux époux Z... des locaux à usage commercial de boucherie et d'habitation ; que, reprochant à leur bailleresse de ne pas leur assurer une jouissance paisible des lieux loués et de manquer gravement à ses obligations contractuelles, les époux Z... l'ont assignée pour obtenir la "résolution" judiciaire du bail, se voir autoriser à délaisser les lieux et obtenir une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Sur le second moyen :
Attendu que les époux Z... font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à voir imputer à Mme Y... la responsabilité de la résiliation du bail commercial, faute d'avoir assuré le clos et le couvert de certains locaux donnés à bail, alors, selon le moyen :
1 / que le bailleur doit s'abstenir de tout fait de nature à priver le preneur de tout ou partie des avantages que celui-ci tient du bail ; qu'il lui est notamment interdit de modifier la chose louée ; que s'agissant d'obligations de ne pas faire, le bailleur qui y contrevient, doit des dommages-et-intérêts par le seul fait de la contravention, sans qu'il y ait lieu à mise en demeure préalable ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1145 du Code civil, ensemble les articles 1719 et 1723 du même Code ;
2 / que le preneur qui a été privé de la jouissance d'une partie des locaux donnés à bail est en droit d'obtenir, sans avoir à justifier du préjudice résultant de cette jouissance, l'exécution par équivalent du contrat et donc le paiement de dommages-intérêts à la mesure de l'inexécution partielle, et du seul fait de cette inexécution ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1142, 1145 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme Y... avait condamné par la pose d'un cadenas l'accès à des bâtiments à usage d'abattoir et de buanderie faisant partie des biens donnés à bail aux époux Z... et qu'un grillage était en cours d'implantation, mais que ces bâtiments étaient inoccupés par les locataires et abritaient des oiseaux qui en avaient dégradé l'intérieur, la cour d'appel, abstraction faite de motifs surabondants, a pu en déduire que les époux Z..., qui n'utilisaient pas ces locaux, n'avaient subi aucun préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 1719 du Code civil, ensemble l'article 1725 du même Code ;
Attendu que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail ;
Attendu que, pour débouter les époux Z... de leur demande tendant à voir imputer à Mme Y... la responsabilité de la résiliation du bail du fait des troubles anormaux de voisinage causés par un colocataire, l'arrêt retient que, si le bailleur est responsable des divers ennuis, troubles et abus qui peuvent se produire entre locataires habitant un même immeuble, lorsque ces agissements excèdent les inconvénients normaux de voisinage, ce principe de garantie ne s'applique pas lorsque les actes reprochés aux colocataires ne se rattachent en rien à la jouissance commune normale de l'immeuble, mais résultent de rapports de mauvais voisinage et que les époux Z... ne sont, dès lors, pas fondés à invoquer à l'encontre de Mme Y... les troubles de voisinage, causés par un colocataire, qui ne lui sont pas imputables ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les époux Z... de leur demande tendant à voir imputer à Mme Y... la responsabilité de la résiliation du bail à raison des troubles anormaux de voisinage causés par un colocataire et rejeté leur demande de dommages-et-intérêts, l'arrêt rendu le 19 juin 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mme Y... à payer aux époux Z... la somme de 2 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du vingt avril deux mille cinq par M. Peyrat, conseiller le plus ancien, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.