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15/03/2005 | FRANCE | N°04-84463

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 mars 2005, 04-84463


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- L'ASSOCIATION LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME,

- LE CONSISTOIRE CENTRAL UNION DES COMMUNAUTES JUIVES DE FRANCE, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 30 juin 2004, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de Dieudonné X...
X... des chefs d'injure publique raciale et provocati

on à la discrimination raciale ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique d...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- L'ASSOCIATION LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME,

- LE CONSISTOIRE CENTRAL UNION DES COMMUNAUTES JUIVES DE FRANCE, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 30 juin 2004, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de Dieudonné X...
X... des chefs d'injure publique raciale et provocation à la discrimination raciale ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er mars 2005 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, M. Valat conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Fréchède ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me CARBONNIER, de la société civile professionnelle CHOUCROY-GADIOU-CHEVALLIER, de la société civile professionnelle GATINEAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Dieudonné X...
X... a été cité directement par le ministère public devant le tribunal correctionnel de Paris, pour y répondre des délits d'injure publique raciale et de provocation à la discrimination raciale, en raison d'un entretien accordé au magazine "Lyon Capitale", publié sous l'intitulé "Dieudonné, humoriste et candidat aux élections présidentielles - Dieudonné existe-t-il ?", au cours duquel il a déclaré : "Juifs et musulmans pour moi, ça n'existe pas. Donc, antisémite n'existe pas, parce que juif n'existe pas. Ce sont deux notions aussi stupides l'une que l'autre. Personne n'est juif ou alors tout le monde ... pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme "la guerre sainte" ..." ;

Que, pour ces mêmes propos, la LICRA, qui avait cité directement Dieudonné X...
X... devant le tribunal correctionnel de Lyon du chef de diffamation publique envers un particulier, s'est désistée de son action et s'est constituée partie civile intervenante dans les poursuites exercées à l'initiative du procureur de la République de Paris ;

Attendu que le tribunal correctionnel de Paris a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable ; qu'il a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et a débouté de leur action civile le Consistoire central union des communautés juives de France et l'Union des étudiants juifs de France ;

Attendu que, sur l'appel du ministère public et des parties civiles, la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour la LICRA, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2, 3, 426, 591 et 593 du Code de procédure pénale défaut de motifs manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la LICRA irrecevable en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs que peu importe que la LICRA se soit constituée partie civile sur une procédure diligentée à l'initiative du parquet, l'article 426 du Code de procédure pénale empêchant une partie civile qui s'est désistée d'intervenir à nouveau dans une instance pénale, seule la voie de l'action civile devant une juridiction civile lui étant désormais ouverte ; que cette partie civile poursuivante, après avoir consigné la somme fixée par le tribunal correctionnel de Lyon, s'est désistée de son action, désistement constaté par jugement du 12 novembre 2002 ;

"alors que le désistement de la partie civile de l'instance introduite par elle sur citation directe ne fait pas obstacle à ce qu'elle se constitue partie civile dans une instance distincte résultant d'une citation directe délivrée à l' initiative du parquet ; qu'en retenant que le désistement constaté par jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 12 novembre 2002 faisait obstacle à l'intervention de la LICRA dans l'instance pénale distincte introduite sur citation directe du parquet du 19 septembre 2002 devant le tribunal correctionnel de Paris, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, en toute hypothèse, que le désistement de la partie civile de l'action engagée devant la juridiction pénale ne fait obstacle à ce qu'elle exerce ultérieurement cette même action que si les faits dénoncés sont identiques et ont reçu la même qualification pénale dans les deux instances ; qu'il résulte du jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 12 novembre 2002 que la LICRA a fait citer le prévenu du chef de diffamation publique ; qu'en retenant que son désistement faisait obstacle à l'intervention de la LICRA dans l'instance pénale distincte engagée par le parquet des chefs de provocation à la discrimination et d'injure publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la LICRA devant le tribunal correctionnel de Paris, l'arrêt énonce que cette association s'est désistée de l'action qu'elle avait engagée devant le tribunal correctionnel de Lyon, et qu'il n'importe qu'elle se soit constituée partie civile, à titre incident, dans une procédure engagée par le ministère public, pour les mêmes faits ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a violé aucun des articles visés au moyen ;

Qu'en effet, il se déduit de l'article 426 du Code de procédure pénale que la partie civile, qui s'est désistée de l'action qu'elle avait engagée devant la juridiction pénale, ne peut, ultérieurement, exercer cette même action que devant la juridiction civile ;

Qu'ainsi, le moyen ne saurait être accueilli et attendu que l'action de la LICRA ayant été, à bon droit, déclaré irrecevable, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens par elle proposés ;

Sur le second moyen de cassation, proposé pour le Consistoire Central Union des communautés juives de France, pris de la violation de l'article 24 alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a jugé non constitué le délit de provocation à la haine raciale envers la communauté juive ;

"aux motifs qu'il est constant que ces propos ne sont assortis d'aucune exhortation ou incitation adressée à des tiers en vue d'en tirer des conséquences discriminatoires ou de violence ;

que, comme en ce qui concerne l'injure, force est de constater que ces termes s'inscrivent dans une diatribe peu élaborée contre le fait religieux et non contre la communauté de ceux qui pratiquent la religion considérée ; qu'il convient d'ajouter que l'approximation des termes employés et leur utilisation traduisent manifestement une pensée confuse, ce qui atténue leur portée, d'autant plus qu'ils sont employés par un humoriste dont la provocation - plus que maladroite en l'espèce - est le mode d'expression habituel, quel que soit le sujet qu'il aborde ;

"alors, d'une part, qu'en se bornant à énoncer que les propos de Dieudonné n'étaient assortis d'aucune exhortation ou incitation adressée à des tiers en vue d'en tirer des conséquences discriminatoires ou de violence, sans rechercher si ces propos, assimilant les "juifs" à une "secte", à une " une escroquerie des plus graves parce que la première " n'étaient pas de nature à susciter chez le lecteur ou l'internaute un sentiment d'hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes à raison d'une origine ou d'une religion déterminée, à savoir la communauté juive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard de l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 ;

"alors, d'autre part, qu'en jugeant que la provocation à la haine raciale aurait pu être excusée par le fait qu'elle visait également d'autres religions, et par la "confusion de pensée" et la "maladresse" de son auteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard de l'article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux et a, à bon droit, estimé qu'ils ne constituaient pas le délit de provocation à la discrimination raciale ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen de cassation, proposé pour le Consistoire Central Union des communautés juives de France, pris de la violation des articles 29 et 33 de la loi 29 juillet 1881, ensemble de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a jugé non constitué le délit d'injure publique envers la communauté juive ;

"aux motifs que, si les termes incriminés, secte et escroquerie rapportées aux juifs, pris en eux-mêmes sont forts et choquants, il convient, comme l'a fait le tribunal, de les replacer dans le contexte de l'article qui fait apparaître à quel point Dieudonné X...
X... rejette l'idée de communautarisme et promeut l'universalité de l'être humain ; qu'en critiquant d'autres religions dans des termes également vifs, notamment la religion catholique (écouter les bêtises de Y...), la religion musulmane et en rejetant dans le même esprit la notion de juifs et de musulmans en disant que "juifs et musulmans, pour moi, ça n'existe pas", il ne fait que caractériser son hostilité au principe même du fait religieux ;

que ces invectives ne s'adressent donc pas à la communauté juive en tant que telle ;

"alors, d'une part, que les juges du fond qui tout en constatant que les propos publics tenus par Dieudonné lors d'une campagne électorale pour l'élection présidentielle "Pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première" étaient forts et choquants et relevaient de l'invective et du mépris, n'ont pourtant pas sanctionné l'atteinte injurieuse que ces propos faisaient subir, en raison de leur appartenance religieuse, à une groupe de personnes précisément désignés, à savoir la communauté juive de France, a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, au regard des articles 29 et 33 de la loi 29 juillet 1881 ;

"alors, d'autre part, qu'en jugeant que ces propos injurieux auraient pu être excusés par le fait qu'ils visaient également d'autres religions, alors que les "juifs" étaient précisément et nommément stigmatisés comme responsables de la première et la plus grave "escroquerie" religieuse, qui aurait été cause des autres, ce qui manifestait une conviction ouvertement antisémite, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision, au regard des articles 29 et 33 de la loi 29 juillet 1881 ;

"et alors, enfin, qu'en jugeant que la "confusion de pensée" et la "maladresse" de l'auteur des propos antisémites et racistes auraient pu excuser ceux-ci, alors qu'ils avaient été délibérément et publiquement proférés dans le cadre d'une candidature à l'élection présidentielle, ce qui affirmait, même de la part d'un humoriste, la volonté de leur auteur de les insérer dans un débat public national, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision, au regard des articles 29 et 33 de la loi 29 juillet 1881" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite du chef d'injure raciale, l'arrêt attaqué énonce qu'en dépit de l'emploi des termes "secte et escroquerie", le contexte de l'entretien en cause laisse apparaître qu'en critiquant d'autres religions en des propos également vifs, le prévenu a seulement manifesté son hostilité au principe même du fait religieux et qu'ainsi, les invectives proférées ne s'adressent pas à la communauté juive en tant que telle ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les propos litigieux mettaient spécialement en cause la communauté juive, présentée comme "une des plus graves escroqueries" parce que "la première de toutes", les juges n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions ayant prononcé la relaxe du prévenu du chef d'injure raciale, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de PARIS, en date du 30 juin 2004 ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PARIS et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze mars deux mille cinq ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-84463
Date de la décision : 15/03/2005
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Procédure - Action civile - Extinction - Désistement - Portée.

1° ACTION CIVILE - Extinction - Désistement - Portée.

1° Il se déduit de l'article 426 du Code de procédure pénale que la partie civile qui, après avoir cité directement un prévenu devant le tribunal correctionnel sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, se désiste de son action, est irrecevable à se constituer à nouveau partie civile, à l'occasion d'une autre poursuite engagée par le ministère public à raison des mêmes propos.

2° INJURES - Injures publiques - Injure raciale publique - Eléments constitutifs.

2° PRESSE - Injures - Injures publiques - Injure raciale publique - Eléments constitutifs.

2° Encourt la cassation l'arrêt qui renvoie le prévenu des fins de la poursuite du chef d'injure raciale envers la communauté juive, alors que les propos litigieux, bien que critiquant d'autres religions, mettaient spécialement en cause celle-ci, présentée comme " une des plus graves escroqueries " parce que " la première de toutes ".


Références :

1° :
1° :
2° :
2° :
Code de procédure pénale 426
Code de procédure pénale 593
Loi du 29 juillet 1881
Loi du 29 juillet 1881 art. 29, art. 33

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 juin 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 15 mar. 2005, pourvoi n°04-84463, Bull. crim. criminel 2005 N° 90 p. 321
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2005 N° 90 p. 321

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Fréchède.
Rapporteur ?: Mme Ménotti.
Avocat(s) : Me Carbonnier, la SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, la SCP Gatineau.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.84463
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