AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 septembre 2002) que, par contrat du 17 novembre 1980, l'Etat (Ministère de l'Industrie) a consenti une aide financière à la Société d'informatique et de système (SIS) afin de concourir au développement d'un logiciel dénommé "Protée" destiné à être commercialisé sur le marché américain ; que la commercialisation n'ayant pas réussi, le Trésorier payeur général des Hauts-de-Seine (le TPG) a mis en recouvrement, le 27 avril 1999, un titre de perception émis le 23 avril précédent par le ministère de l'industrie pour un montant correspondant à celui de l'avance reçue par la SIS, remboursable, selon les termes du contrat, en cas de non-respect de ses clauses par cette société ; que, saisi par la débitrice d'une demande d'annulation de ce titre, le tribunal de grande instance de Nanterre, a, par jugement du 6 février 2001, fait droit à l'exception d'incompétence du juge judiciaire soulevée par le Trésorier payeur général et fondée sur le caractère administratif du contrat litigieux ; que, sur appel de la SIS, la cour d'appel de Versailles a, par arrêt du 19 septembre 2002, infirmé ce jugement et renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour qu'il statue au fond ;
Sur l'irrecevabilité du pourvoi soulevée par la défense :
Attendu que la SIS soutient que le pourvoi serait irrecevable comme dirigé contre un arrêt se bornant à rejeter une exception d'incompétence sans mettre fin à l'instance ;
Mais attendu que le pourvoi, soulevant l'excès de pouvoir du juge judiciaire, caractérisé par la méconnaissance de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, est immédiatement recevable ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu que les demandeurs au pourvoi font grief à l'arrêt d'avoir dit le juge judiciaire compétent pour connaître du litige alors, selon le moyen :
1 / d'une part, que le contrat qui a pour objet l'exécution même du service public est un contrat administratif ; d'où il résulte que la cour d'appel qui constatait que l'Etat avait, par la convention du 17 novembre 1980, consenti une aide financière à la société SIS pour développer son activité commerciale sur le marché américain, de sorte que le contrat constituait l'instrument, le moyen ou la modalité d'exécution d'objectifs interventionnistes économiques, à savoir favoriser la prospection commerciale à l'étranger et, partant, revêtait un caractère administratif en tant qu'il avait pour objet l'exécution même du service public, ne pouvait décider qu'il s'agissait d'un contrat de droit privé pour déclarer le juge judiciaire compétent ;
2 / d'autre part, et subsidiairement que le contrat est administratif lorsqu'il comporte une clause exorbitante de droit commun ;
que la clause exorbitante est celle qui a pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales ; que la convention du 17 novembre 1980, conférant au ministre de l'industrie le pouvoir de procéder sur place à tout moment à tout examen relatif à l'exécution des études et à l'engagement des dépenses, ainsi que celui de contrôler la comptabilité de la société SIS (article 6), de mettre en demeure la société SIS de déposer, s'il y a lieu, une demande de brevet en France et à l'étranger, dans le délai fixé par lui, "lorsque l'étude a été ou est susceptible d'être à l'origine d'une invention", et, en cas de non-respect de cette obligation, celui de faire procéder au dépôt au nom de l'Etat (article 7), de se voir obligatoirement soumettre, pour approbation, tous les accords conclus entre la société SIS et les sociétés américaines (article 13), place de la société SIS sous le contrôle de la personne publique ; que dès lors qu'un tel contrôle excède par son degré et ses modalités celui qui est susceptible de se trouver dans des contrats entre particuliers, il revêt un caractère exorbitant du droit commun ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a relevé que la SIS poursuivait le développement de son activité commerciale personnelle et investissait des fonds propres ; qu'en lui accordant une aide plafonnée à 41,7 % des dépenses effectivement réalisées, pour développer cette activité sur le marché américain, l'Etat, qui était intéressé à la réussite de l'entreprise, agissait comme un partenaire privé de sorte que le contrat litigieux n'avait pas de lien avec le service public ;
Attendu, d'autre part, qu'elle a exactement jugé que les diverses clauses invoquées par le Trésorier payeur général auraient pu être imposées par tout partenaire privé qui investirait dans un tel projet ;
qu'elle a déduit à bon droit de l'ensemble de ces constatations que le contrat litigieux, ne satisfaisant à aucun des deux critères alternatifs du contrat administratif, relevait du droit privé ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Le Trésorier payeur général des Hauts-de-Seine et l'Agent judiciaire du Trésor aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les condamne solidairement à payer à la Société d'informatique et de systemes la somme de 2 000 euros ; rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille cinq.