AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize novembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CASTAGNEDE, les observations de la société civile professionnelle de CHAISEMARTIN et COURJON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Arlette, épouse Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 24 septembre 2003, qui, dans la procédure suivie contre elle du chef de complicité d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 314-8 du Code pénal, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Arlette X..., épouse Y..., à payer aux consorts Z... la somme de 38 000 euros de dommages-intérêts ;
"aux motifs qu'Arlette X... a été condamnée par jugement définitif du tribunal de grande instance de Marseille, en date du 22 mai 2000, comme complice de son mari Jacques Y..., pour l'avoir aidé à organiser frauduleusement son insolvabilité pour se soustraire à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 27 mai 1992, en partageant l'immeuble qu'ils détenaient ensemble à la Bouilladisse de manière à diminuer la valeur des droits de son époux et à rendre ceux-ci difficilement saisissables s'agissant uniquement d'un usufruit ; que la valeur des droits reçus au cours de l'opération frauduleuse du 18 juin 1992 est égale à la différence entre la valeur des droits qui lui sont attribués dans l'acte frauduleux, soit la valeur de la nue-propriété de l'immeuble évaluée à 760 000 francs (115 861,25 euros) diminuée de la valeur de la nue-propriété qu'elle détenait auparavant, soit 380 000 francs ; que la Cour a donc la possibilité en vertu de cette règle spécifique qui déroge au droit commun de la responsabilité civile de la condamner à indemniser les parties civiles dans la limite de 380 000 francs (57 930,63 euros) de dommages-intérêts ; que compte tenu des éléments figurant au dossier, la Cour juge équitable de la condamner à payer aux parties civiles la somme de 38 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"alors, d'une part, que tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence ;
qu'en se bornant, en l'espèce, à affirmer que compte tenu des éléments figurant au dossier, elle jugeait équitable de condamner Arlette X..., épouse Y..., à payer aux parties civiles la somme de 38 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel a statué par un motif d'ordre général impropre à caractériser l'existence d'un préjudice, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale ;
"alors, d'autre part, que la réparation dont est tenu l'auteur d'une infraction doit être égale au préjudice subi par la victime, sans pouvoir être fixée en équité ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Arlette X... contestait expressément l'existence d'un préjudice subi par les consorts Z..., dès lors que l'acte de partage litigieux avait été annulé par jugement du 2 février 1995 et l'indivision existant entre les époux Y... intégralement rétablie ; que dès lors, en se fondant sur l'équité pour fixer le montant du préjudice prétendument subi par les consorts Z... à la somme de 38 000 euros, sans constater que ce montant correspondait au préjudice qu'ils avaient effectivement subi, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 314-8 du Code pénal ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, statuant sur l'action civile exercée par les consorts Z... contre Arlette Y..., définitivement déclarée coupable de complicité du délit d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité commis par Jacques Y..., l'arrêt attaqué, après avoir énoncé que l'article 314-8, alinéa 1er, du Code pénal permettait de condamner la première à 57 930,63 euros de dommages-intérêts, somme représentant la valeur vénale du bien immobilier reçu par elle à l'issue de l'acte de partage frauduleux, évalue à 38 000 euros, compte tenu des éléments figurant au dossier, le montant de la réparation allouée aux parties civiles ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la faculté offerte par l'article 314-8 précité permet à la juridiction répressive, non pas d'apprécier le montant de l'indemnité destinée à réparer le dommage né de l'organisation frauduleuse de l'insolvabilité et mise à la charge de l'ensemble des personnes condamnées pour ladite infraction, mais seulement de déclarer le complice de ce délit tenu solidairement, avec l'auteur principal, dans la limite prévue par ce texte, aux obligations pécuniaires résultant de la condamnation à l'exécution de laquelle celui-ci à voulu se soustraire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 24 septembre 2003, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Castagnède conseiller rapporteur, M. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller conseillers de la chambre, Mme Guihal, M. Chaumont, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;