AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois novembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, de Me ODENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Paul,
- La SOCIETE HACHETTE FILIPACCHI PRESSE AUTOMOBILE, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13ème chambre, en date du 5 février 2004, qui, pour publicité illicite en faveur de boissons alcooliques, a condamné le premier à 30 000 euros d'amende, a déclaré la seconde solidairement responsable du paiement de cette amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 28, 29 et 30 (v. anciennement articles 30, 34 et 36) du Traité CE de l'Union européenne, 7, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du protocole additionnel, L. 3323-2, L. 3323-4, L. 3351-7, L. 3355-4 et L. 3355-6 du Code de la santé publique, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Paul X... coupable de publicité illégale pour une boisson alcoolique pour des faits commis du 1er avril 2002 au 30 avril 2002 à Paris, en répression, l'a condamné à une amende délictuelle de 30 000 euros, a déclaré la SNC Excelsior Filipacchi, devenue aujourd'hui Hachette Filipacchi Presse Automobile , civilement responsable, la condamnant solidairement au paiement de l'amende susvisée et, sur l'action civile, l'a condamnée, solidairement aussi avec Paul X... , à payer à l'association nationale de Prévention de l'alcoolisme la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs adoptés qu'en l'espèce, le nom des marques d'alcool apparaît de façon insidieuse dans un environnement sportif, de compétition, de champions, qui séduit le grand public et en particulier les jeunes ; que la présentation de telles photographies dans les magazines, sous prétexte d'illustrer un article journalistique concernant le grand prix de Formule 1 d'Australie, est l'occasion d'une publicité indirecte en faveur des boissons alcooliques ; qu'en effet, l'acheteur d'un magazine tel que "Action Auto Moto" peut s'attarder sur chaque photographie, en examiner les détails, voire, quand il s'agit d'un portrait pleine page de son coureur favori, comme en l'espèce, le découper et l'afficher sur le mur de sa chambre ; que la présentation de telles photographies, quelle qu'en soit la finalité, a pour effet de rappeler ces produits ou leurs marques et constitue ainsi une opération de parrainage, laquelle est interdite ; que la publicité dont s'agit constitue manifestement une incitation à la consommation, alors que la loi nationale tend à limiter cette publicité et, par ce moyen, à lutter contre l'alcoolisme pour répondre à des préoccupations de protection de la santé publique ;
que peu importe que le diffuseur n'ait pas été rémunéré par les fabricants d'alcool, l'impact des messages sur le public étant le même que le diffuseur ait ou non perçu une rémunération pour cette diffusion ; qu'en dernier lieu, le droit à l'information, la liberté d'expression réaffirmés à de nombreuses reprises et notamment à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, peuvent être soumis à des restrictions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à certaines priorités, au nombre desquelles la protection de la santé ; que les restrictions apportées à la publicité des boissons alcooliques qui frappent aussi bien les produits nationaux que ceux importés des autres Etats membres de la communauté, sont justifiées par des raisons de protection de la santé publique et relèvent dès lors de l'exception prévue par l'article 36 du Traité instituant la communauté économique européenne ; que c'est ainsi que la réglementation française de la publicité en faveur de l'alcool, insérée dans la troisième partie du Code de la santé publique consacrée à "la lutte contre les maladies et dépendances", constitue une mesure nécessaire à la protection de la santé publique justifiant une restriction de la liberté d'expression ; que ces dispositions légales françaises ne sont pas disproportionnées à l'objectif poursuivi de modération de la consommation d'alcool et de la protection de la jeunesse, lequel ne peut être atteint par des mesures moins contraignantes; qu'enfin, la technique du "floutage" qui est largement utilisée pour préserver entre autre le droit à l'image n'altère que très peu les documents, permettant ainsi de fournir au public une information la plus complète possible ; que c'est ainsi qu'en l'espèce, la protection de la santé publique, qui prime la liberté d'expression, justifie d'en passer éventuellement par ce procédé lorsqu'il s'avère nécessaire ;
"et aux motifs propres que, "la publication de la photographie litigieuse, représentant le pilote automobile Michaël Y..., sur un podium derrière lequel apparaît, sur impression de fond, à de nombreuses reprises et en gros caractères, le nom de la marque de bière Fosters et sur lequel, sous la mention, en gros caractères "mumm champagne", sont posées deux bouteilles de champagne, si elle ne peut être considérée comme une publicité directe constitue bien une opération de publicité indirecte, en rappelant ces produits et leurs marques, peu important que le but recherché par la publication litigieuse n'ait pas été la promotion de ces produits mais l'illustration d'un reportage sur le grand prix automobile de Melbourne et que le magazine concerné n'ait reçu aucune contrepartie financière ; qu'elle constitue donc bien une opération de parrainage au sens de l'article L. 3323-2 susvisé ;
qu'aux termes de l'article L. 3323-2 de ce même Code : "la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites, sont autorisées exclusivement : 1 ) dans la presse écrite, à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse, définies au premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse..." ; que toutefois, la loi impose à toute publicité en faveur de l'alcool, et ce pour des raisons de santé publique, un certain nombre de critères définis et limités par l'article L. 3323-4, soit "l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit" et précise que cette publicité "doit être assortie du message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé" ; qu'en l'espèce, s'il n'est pas démontré que le magazine litigieux réponde aux critères légaux des publications destinées à la jeunesse, ni même puisse avoir un impact particulier sur cette catégorie de population, la publicité indirecte pour des boissons alcoolisées, telle que figurant dans la photographie litigieuse, ne fait nullement référence au mode de consommation et aux modalités de vente et n'est pas assortie de l'avertissement quant aux conséquences éventuelles sur la santé ;
que le message publicitaire ainsi délivré, loin de se limiter aux indications autorisées par la loi, donne, de surcroît, de ces boissons, une image valorisante en les associant à la renommée d'un pilote automobile et en les présentant ainsi comme participant à la réussite d'un homme considéré comme un des plus grands coureurs automobiles, image particulièrement attractive pour une population d'hommes et de femmes, jeunes pour la plupart, et eux- mêmes conducteurs d'automobiles ; qu'en outre, c'est par de justes motifs que les premiers juges ont relevé que le droit à l'information et la liberté d'expression, réaffirmés à de nombreuses reprises et notamment à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, pouvaient être soumis à des restrictions prévues par la loi et constituant des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à certaines priorités, au nombre desquelles la protection de la santé, étant observé que ces restrictions sont bien, en l'espèce, proportionnées à l'intérêt public les justifiant et que les limitations ainsi apportées à la publicité des boissons alcooliques qui frappent aussi bien les produits nationaux que ceux importés des autres Etats membres de la communauté, justifiées par ces mêmes raisons de protection de la santé publique, relevaient dès lors de l'exception prévue par l'article 36 du Traité instituant la communauté économique européenne ;
"alors, d'une part, que, constitue une opération de parrainage le soutien matériel apporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue d'en retirer un bénéfice direct ; que tel n'est pas le cas de la publication dans un magazine de la photographie d'un événement d'actualité sportive faisant apparaître sans "floutage" des bouteilles de champagne et des marques de boissons alcooliques, publication faite dans un but d'information et non de promotion et sans aucune rémunération des fabricants ; qu'en retenant au contraire qu'une telle publication constituait une opération de parrainage pour la seule raison que ladite photo rappelait les boissons alcooliques, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, d'autre part, que, si la protection de la santé publique constitue un intérêt général légitime pouvant justifier des restrictions à la libre circulation des produits et services au sein de l'Union, chacune de ces restrictions doit être non seulement nécessaire mais aussi proportionnée au but ainsi poursuivi ; qu'en retenant en l'espèce que l'interdiction de la publication dans un magazine de la photographie d'un événement d'actualité sportive faisant apparaître sans "floutage" des bouteilles de champagne et des marques de boissons alcooliques relevait de l'exception prévue par l'article 30, anciennement 36, du Traité aux motifs généraux que, justifiées par la protection de la santé publique, les restrictions apportées à la publicité des boissons alcooliques frappent aussi bien les produits nationaux que ceux importés des autres Etats membres de la communauté et sont nécessaires et proportionnées au but ainsi poursuivi qui ne pourrait pas être atteint par des mesures moins contraignantes, sans rechercher, concrètement, si l'interdiction prononcée dans les conditions de l'espèce n'a pas pour effet de rendre la commercialisation des magazines nationaux plus difficile et plus coûteuse et ne constitue pas en elle-même une mesure entravant inutilement et de manière disproportionnée le commerce entre Etats membres, la cour d'appel n'a, sur ce point encore, pas légalement justifié sa décision ;
"alors, enfin, que, si la protection de la santé publique constitue un intérêt général légitime pouvant justifier des restrictions à la liberté d'expression, ces restrictions doivent être non seulement nécessaires mais aussi proportionnées au but ainsi poursuivi ; qu'en retenant en l'espèce, qu'il y a lieu d'interdire la publication dans un magazine de la photographie d'un événement d'actualité sportive faisant apparaître sans "floutage" des bouteilles de champagne et des marques de boissons alcooliques, aux motifs généraux que les restrictions apportées à la liberté d'expression par la réglementation française de la publicité en faveur de l'alcool sont justifiées par la protection de la santé publique et sont nécessaires et proportionnées au but ainsi poursuivi, sans rechercher ni justifier concrètement et spécifiquement que, en elle-même, l'interdiction prononcée dans les conditions de l'espèce était nécessaire et proportionnée au but de santé publique poursuivi, la cour d'appel n'a, à cet égard encore, pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué qu'en avril 2002, le magazine "Action Auto Moto" a publié une photographie d'un célèbre pilote de course automobile laissant apparaître le nom et le logo de la marque de bière "Foster's", reproduits à plusieurs reprises et en gros caractères, ainsi que l'appellation "Mumm champagne", celle-ci étant également illustrée par la présence de deux bouteilles de cette marque ;
que Paul X... , directeur de la publication du magazine et gérant de l'entreprise de presse, a été cité par l'association nationale de prévention de l'alcoolisme (ANPA) pour publicité illicite en faveur de boissons alcooliques, délit prévu et réprimé par les articles L. 3323-2, L. 3323-3, L. 3323-4 et L. 3351-7 du Code de la santé publique ;
Attendu que, pour entrer en voie de condamnation, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les dispositions précitées, qui constituent une mesure nécessaire à la protection de la santé, proportionnée à l'objectif poursuivi et concernant tant les produits nationaux que les produits importés, ne sont pas contraires à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et relèvent de l'exception prévue par l'article 30 du traité CE ; que les juges retiennent que la publication de la photographie litigieuse, qui rappelle des boissons alcooliques et leur marque, constitue une publicité indirecte ; qu'ils ajoutent que cette publicité, qui ne fait pas référence au mode de consommation ou aux modalités de vente, n'est pas assortie du message sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé et donne une image valorisante des boissons ; qu'enfin, ils constatent que Paul X... , qui a reconnu que la photographie avait été délibérément choisie en vue de sa publication, doit être déclaré auteur principal de l'infraction ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, exempts d'insuffisance, la cour d'appel, qui a caractérisé le délit poursuivi, a justifié sa décision ;
Qu'en effet, on entend par publicité illicite au sens des articles L. 3323-2, L. 3323-3 et L. 3351-7 du Code de la santé publique, tout acte en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article ayant pour effet, quelle qu'en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique sans satisfaire aux exigences de l'article L. 3323-4 du même code ;
Que, par ailleurs, dès lors qu'en l'absence de mesures communautaires d'harmonisation, il appartient au législateur national de décider du niveau auquel il entend assurer la protection de la santé publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint, la cour d'appel, qui a justement apprécié le caractère non discriminatoire et proportionné des dispositions nationales limitant la publicité en faveur des boissons alcooliques, n'avait pas à justifier mieux qu'elle ne l'a fait leur application aux faits reprochés au prévenu ;
Qu'il s'ensuit que le moyen, qui en sa première branche critique des motifs erronés mais surabondants, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Paul X... à payer à l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme la somme de 2 500 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Agostini conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Castagnède, Mme Guirimand conseillers de la chambre, Mmes Gailly, Guihal, M. Chaumont, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;