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28/09/2004 | FRANCE | N°04-80688

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 septembre 2004, 04-80688


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me CARBONNIER, de Me ROUVIERE et de la société civile professionnelle Le GRIEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LA LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME, partie civile,

contre l'arrê

t de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 29 octobre 2003, qui...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me CARBONNIER, de Me ROUVIERE et de la société civile professionnelle Le GRIEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LA LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISEMITISME, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 29 octobre 2003, qui a déclaré irrecevable sa citation directe contre Pierre X... et Michel Y... du chef de contestation de crime contre l'humanité, et l'a condamnée à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication d'un article, dans le journal "Le Courrier Picard", dont Michel Y... est directeur de publication, rapportant les propos tenus par Pierre X..., représentant du parti du Front National, la Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) a fait citer, devant le tribunal correctionnel, ce dernier, ainsi que Michel Y..., du chef de contestation de crime contre l'humanité, au visa de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ; que le tribunal a déclaré irrecevables, d'une part, la citation délivrée à Pierre X..., d'autre part, l'action engagée contre Michel Y... ; que, saisis de l'appel de la LICRA et de Michel Y..., les juges du second degré ont confirmé les dispositions du jugement relatives à Pierre X... et, s'agissant de Michel Y..., ont déclaré irrecevables les poursuites engagées par la LICRA du chef de contestation de crime contre l'humanité, condamnant, en outre, la partie civile à payer à ce dernier une indemnité au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 550, 551, 565, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale, article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, article 53 de la loi du 29 juillet 1881, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la citation délivrée à la requête de la LICRA à l'encontre de Pierre X... ;

"aux motifs propres que "c'est par des motifs pertinents et judicieux que les premiers juges ont déclaré irrecevable cette plainte et la Cour devra tenir pour reproduits les moyens dont ils se sont servis, dès lors que la partie civile est une personne morale, l'exigence fixée par l'article 551, alinéa 4, du Code de procédure pénale, s'applique à la désignation de celui qui agit en justice au nom de la personne morale et, s'il n'est pas satisfait à cette exigence, en l'espèce le dirigeant de la personne morale, la LICRA n'étant pas indiqué, Pierre X... n'était pas en mesure de s'assurer si la citation avait été délivrée à la requête de la personne physique qui avait qualité pour agir à son nom et, par voie de conséquence, pour engager utilement cette action" (arrêt, p. 4, in fine) ;

"et aux motifs adoptés qu'il ressort de l'examen de la citation délivrée à Pierre X..., que celle-ci a été délivrée à la requête de La Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), association dont le siège est situé 42, rue du Louvre (75001) Paris, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège ; que, si les références faites en la matière par l'avocat de Pierre X... à des décisions rendues par des juridictions civiles, ne pourront qu'être écartées s'agissant, en l'espèce, d'une instance pénale, il convient toutefois de rappeler qu'aux termes d'une jurisprudence constante, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que, lorsque la partie civile était une personne morale, l'exigence fixée par l'article 551, alinéa 4, du Code de procédure pénale s'appliquait à la désignation de celui qui agissait en justice au nom de la personne morale ; que, dès lors qu'il n'est pas satisfait à cette exigence, le prévenu n'est pas en mesure de s'assurer si la citation a été délivrée à la requête de la personne physique qui a qualité pour agir au nom de la personne morale et, par voie de conséquence, pour engager cette action ; que le tribunal ne peut que constater que ni l'action publique, ni l'action civile n'ont été régulièrement mises en mouvement, et que la plainte dont il est saisi est, par voie de conséquence, irrecevable (jugement, p. 4 et 5)" ;

"alors que l'inobservation des formes prescrites par les articles 550 et suivants du Code de procédure pénale n'entraîne pas la nullité de la citation lorsque le prévenu n'a pu se méprendre sur l'objet et la portée de l'acte par lequel il a été attrait devant le tribunal ; qu'en l'espèce, la citation à été délivrée à Pierre X... "à la requête de la Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), association dont le siège est situé 42, rue du Louvre (75001) Paris agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège" ; qu'en considérant que, dès lors que la partie civile est une personne morale, la citation doit mentionner les nom, prénoms et domicile réel ou élu de celui qui agit en justice en son nom, et en déclarant en conséquence irrecevable la citation délivrée à Pierre X... par la LICRA, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que celui-ci ait pu se méprendre sur l'objet et la portée de l'acte par lequel il était attrait devant le tribunal correctionnel, a méconnu les textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la citation délivrée par la LICRA à Pierre X..., l'arrêt énonce que l'acte ne satisfait pas aux exigences de l'article 551, alinéa 4, du Code de procédure pénale, en ce qu'il ne précise pas l'identité du dirigeant de l'association et n'a pas permis au prévenu de s'assurer que la citation avait été délivrée à la requête de la personne physique ayant qualité pour agir en son nom ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;

Qu'en effet, en vertu de l'article 551, alinéa 4, du Code de procédure pénale, la citation délivrée à la requête de la partie civile doit mentionner les nom, prénoms, profession et domicile réel ou élu de celle-ci ; que, lorsque la partie civile est une personne morale, cette exigence s'applique à la désignation de celui qui agit en justice au nom de la personne morale ;

D'où il suit que le moyen sera écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 24 bis, 47, 48 et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881, 2-4 et suivants, 390, 550, 551, 591 et 593 du Code de procédure pénale, article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, dénaturation et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la citation délivrée à la requête de la LICRA à l'encontre de Michel Y... ;

"aux motifs que, "si l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 autorise toute association régulièrement déclarée d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'auteur d'une contestation de crime contre l'humanité, l'article 48 de la même loi énonce très précisément les parties lésées qui peuvent exercer la poursuite et ne cite pas les victimes de contestation de crime contre l'humanité ; qu'en effet, s'il en avait été autrement, le législateur dans la loi du 15 juin 2000, qui précise la loi du 29 juillet 1881, aurait ajouté que, dans les cas prévus à l'article 24 bis de cette loi, leur poursuite pouvait être exercée à la requête de la personne lésée, ce qui n'a pas existé ; que "de manière supplémentaire, il ressort de l'examen de la citation délivrée à Michel Y... que la LICRA n'a pas demandé que la responsabilité pénale de Michel Y... soit reconnue et il en résulte que Michel Y... ne sait pas pour quel délit il est poursuivi, ce qui est contraire aux dispositions du Code de procédure pénale, s'agissant d'une action intentée par la partie civile devant un tribunal correctionnel, alors que l'action civile devant les juridictions répressives ne peut être exercée qu'accessoirement à l'action pénale (arrêt, p. 5)" ;

"et aux motifs adoptés qu'il ressort de l'examen de la citation délivrée à Michel Y... que la LICRA n'a effectivement, ni dans les motifs, ni dans le dispositif de celle-ci, demandé que la responsabilité pénale de Michel Y... soit reconnue, seule une réparation civile ayant été sollicitée ; qu'outre la méconnaissance qui en résulte pour Michel Y... de la qualité en laquelle il est attrait devant le tribunal, ce qui est contraire aux dispositions du Code de procédure pénale, il convient de rappeler que l'action civile devant les juridictions répressives ne peut être exercée qu'accessoirement à l'action pénale (jugement, p. 5)" ;

"alors, d'une part, que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'infraction de contestation de l'existence de crimes contre l'humanité, et dispose, en conséquence, du droit de mettre en mouvement l'action publique ; qu'en considérant que la LICRA, dont il n'était pas contesté qu'elle est régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés, n'est pas recevable à exercer la poursuite, la cour d'appel a méconnu les disposition susvisées ;

"alors, d'autre part, que la citation doit notamment énoncer le fait poursuivi et viser le texte de la loi qui le réprime ;

qu'en l'espèce, il résulte de la citation délivrée à Michel Y... que la LICRA faisait notamment valoir que "Michel Y..., directeur de la publication, a tenté d'échapper à la responsabilité qui lui incombe en vertu de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 en exposant que les propos de Pierre X... étaient graves et qu'il convenait de leur donner toute la publicité voulue pour une bonne information des lecteurs ; que cette explication n'est pas admissible ; qu'il appartenait, en effet, à Michel Y..., directeur de la publication, de réfléchir aux conséquences de cette publication ; qu'en publiant cette interview, Michel Y... lui donne une importance considérable en n'ignorant pas que les propos tenus par Pierre X... ont déjà été condamnés en justice ; que Michel Y... aurait donc dû réfléchir sur les conséquences de son acte dommageable et sa décision de publier l'interview est fautive au sens de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881" ; que, dans cette même citation, la LICRA concluait : "L'attitude de Michel Y..., qui a publié l'interview, est elle-même coupable au sens de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881" ; qu'il s'ensuit que la citation délivrée par la LICRA énonçait le fait poursuivi et visait le texte de loi qui le réprime ; qu'en considérant cependant qu'"il ressort de l'examen de la citation délivrée à Michel Y... que la LICRA n'a pas demandé que la responsabilité pénale de Michel Y... soit reconnue et il en résulte que Michel Y... ne sait pas pour quel délit il est poursuivi", la cour d'appel a dénaturé la citation et méconnu les dispositions susvisées" ;

Vu l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, selon ce texte, toute association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés, peut mettre en mouvement l'action publique en cas de délit prévu par l'article 24 bis de cette loi ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'action engagée par la LICRA contre Michel Y... du chef de contestation de crime contre l'humanité, les juges prononcent par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il n'est pas contesté que cette association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions concernant Michel Y..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Amiens, en date du 29 octobre 2003, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

DECLARE IRRECEVABLE la demande présentée par Michel Y... au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Nocquet, Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Guihal conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Mouton ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-80688
Date de la décision : 28/09/2004
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° EXPLOIT - Citation - Mentions - Partie civile - Citation délivrée à sa requête - Personne morale partie civile.

1° JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Citation - Mentions - Partie civile - Citation délivrée à sa requête - Personne morale partie civile.

1° L'article 551, alinéa 4, du Code de procédure pénale exige que la citation, si elle est délivrée à la requête de la partie civile, mentionne les noms, prénoms, profession et domicile réel ou élu de celle-ci ; lorsque la partie civile est une personne morale, cette exigence s'applique à la désignation de celui qui agit en justice en son nom.

2° PRESSE - Procédure - Action publique - Mise en mouvement - Contestation de crime contre l'humanité - Association régulièrement déclarée se proposant par ses statuts de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés.

2° ACTION PUBLIQUE - Mise en mouvement - Partie civile - Conditions - Recevabilité de l'action civile - Presse - Contestation de crime contre l'humanité.

2° Il résulte de l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits se proposant, par ses satuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés, peut mettre en mouvement l'action publique en cas de délit prévu par l'article 24 bis de ladite loi.


Références :

1° :
2° :
Code de procédure pénale 551 al. 4
Loi du 29 juillet 1881 art. 24 bis, art. 48-2

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 29 octobre 2003

Sur le n° 1 : Dans le même sens que : Chambre criminelle, 2004-06-03, Bulletin criminel, n° 148, p. 555 (rejet)

arrêt cité. Sur le n° 2 : A rapprocher : Chambre criminelle, 2002-12-17, Bulletin criminel, n° 227 (3), p. 832 (cassation partielle sans renvoi et action publique éteinte), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 sep. 2004, pourvoi n°04-80688, Bull. crim. criminel 2004 N° 223 p. 796
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 223 p. 796

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Mouton.
Rapporteur ?: Mme Ménotti.
Avocat(s) : Me Carbonnier, Me Rouvière, la SCP Le Griel.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:04.80688
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