AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Canal + (la société) a diffusé les 23, 24 et 28 février 2000, au cours de l'émission appelée "Les Guignols de l'Info", trois sketches mettant en scène les marionnettes d'un présentateur de télévision et de M. X..., avocat, en leur prêtant des propos relatifs au procès en cours de M. Y..., accusé de viols sur des mineurs et dont M. X... assurait la défense ; que M. X... et M. Y... s'estimant respectivement victimes, le premier d'une atteinte à sa réputation professionnelle, le second d'une atteinte au respect de sa présomption d'innocence, ont fait assigner, le 28 mars 2000, devant le tribunal de grande instance, la société et les auteurs de l'émission en réparation de leur préjudice, d'une part, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, d'autre part sur celui de l'article 9-1 et à titre subsidiaire 1382 du même Code ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir annulé l'assignation introductive d'instance, alors, selon le moyen :
1 ) que M. X... avait soutenu dans ses conclusions d'appel que l'émission litigieuse l'avait présenté sous une forme satirique comme un défenseur peu sérieux ignorant tout du dossier qu'il devait plaider et que c'était les appelants qui avaient estimé qu'en réalité il leur reprochait "de lui avoir imputé le fait précis de recourir à un moyen de défense inefficace ce qui porterait atteinte à sa considération professionnelle", ce que M. X... contestait en précisant que "cette analyse est erronée" ; qu'en énonçant néanmoins que M. X... reproche notamment à la société Canal + de lui avoir imputé le fait de recourir à un moyen de défense inefficace, ce qui portait atteinte à sa considération professionnelle, pour en déduire que le fait reproché devait être qualifié de diffamation, la cour d'appel a attribué à tort à M. X... une argumentation qu'il avait au contraire combattue et qui provenait des conclusions de ses adversaires, dénaturant ainsi les conclusions d'appel de M. X... en violation de l'article 1134 du Code civil ;
2 ) qu'en attribuant à M. X... une argumentation qui était invoquée dans les conclusions d'appel de la société Canal +, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé derechef l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que le délit de diffamation est caractérisé par une allégation ou une imputation se présentant sous la forme d'une articulation précise de fait de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; que la présentation, dans une oeuvre de fiction satirique, d'un personnage connu sous un aspect ridicule et caricatural sans imputation d'un fait précis constitue une faute au sens de l'article 1382 du Code civil lorsque cette présentation est de nature à déconsidérer l'homme et sa fonction ainsi que ses compétences professionnelles ; qu'en affirmant néanmoins que la diffusion de l'émission Les Guignols de l'Info présentant M. X... sous l'aspect d'une marionnette tenant au sujet des moyens de défense de l'abbé Y..., son client, des propos grotesques et tellement absurdes qu'ils ne pouvaient pas être pris au premier degré, était susceptible de constituer exclusivement une diffamation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil par refus d'application et l'article 53, paragraphe 1er, de la loi du 29 juillet 1881 par fausse application ;
4 ) qu'il appartient au juge d'analyser lui-même les termes ou propos litigieux afin d'apprécier si les éléments constitutifs du délit de diffamation sont constitués ; qu'en s'abstenant de toute référence aux propos tenus par la marionnette représentant M. X... au cours de l'émission litigieuse et en se bornant à citer l'analyse, attribuée d'ailleurs à tort à M. X..., qui figurerait dans les écritures d'appel des parties, sans rechercher si cette analyse était fondée, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de base légale au regard des articles 29 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Et attendu qu'après avoir relevé que les propos incriminés portaient atteinte à la considération professionnelle de M. X..., l'arrêt retient que l'assignation délivrée à la requête de ce plaignant devait se conformer aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoit dans son article 53, alinéa 1er, lequel est d'ordre public, sans qu'il y ait lieu de distinguer si le litige est porté devant le juge pénal ou le juge civil, l'obligation de préciser quel est le texte de loi dont l'application est requise ; que M. X... n'a pas respecté cette obligation, les références aux articles 1382 et 9-1 du Code civil étant dépourvues de portée ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit la nullité de la procédure engagée à la requête de M. X... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que le juge, doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ;
Attendu que pour annuler en totalité l'assignation introductive d'instance, l'arrêt retient que l'assignation annulée ne saurait être divisée en ce qui concerne les poursuites diligentées au nom de M. Y..., par le même acte, sur le fondement du non-respect de la présomption d'innocence ;
Qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à s'expliquer sur le moyen relevé d'office et pris d'une indivisibilité de l'assignation introductive d'instance comportant différentes demandes présentées sur des fondements distincts par plusieurs personnes, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, en ce qu'il a annulé, à l'égard de M. Y..., l'assignation introductive d'instance du 28 mars 2000, l'arrêt rendu le 20 septembre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de MM. X... et Y... d'une part, de la société Canal +, de MM. Z..., de A..., B..., C... et D... d'autre part ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, signé et prononcé par M. Guerder, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du nouveau Code de procédure civile, en l'audience publique du vingt-trois septembre deux mille quatre.