AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BEYER, les observations de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DU CANTAL, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 26 novembre 2003, qui, dans la procédure suivie contre Jean-Marie X... pour travail dissimulé, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 324-10 et L. 320 du Code du travail, 1382 du Code civil, L. 725-3 du Code rural, 2, 418, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Mutualité Sociale Agricole du Cantal ;
"aux motifs, d'une part, que, Jean-Marie X... est gérant du GAEC de Leyritz à Crandelles (15) ; qu'il résulte des énonciations, désormais définitives et dotées de l'autorité de la chose jugée, du jugement du 3 octobre 2002, qu'il a embauché Guy Y... comme vacher du 11 au 30 juin 2001, mais ne l'a pas déclaré socialement ; qu'il a utilisé en outre les services non qualifiés de Geneviève Z..., épouse d'un ouvrier du GAEC depuis 17 ans, moyennant des avantages en nature et donc sans déclaration sociale de l'intéressée ; ( ... ) que pour la période antérieure au 1er janvier 2001, qui n'est pas visée à la prévention, il apparaît que la MSA du Cantal ne pouvait pas réclamer devant le juge pénal le paiement des cotisations impayées ; que pour la période postérieure, la Mutualité Sociale Agricole avait le choix, selon ce que prescrit l'article L. 725-3 du Code rural, lequel renvoie implicitement ou explicitement aux articles L. 142-9, L. 244-1 et L. 244-9 du Code de la sécurité sociale, entre la voie de la constitution de partie civile et la voie du droit commun de la contrainte ;
que dans le premier cas, le juge pénal est compétent pour arrêter le montant de la créance de cotisations impayées et en ordonner le paiement, tandis que la procédure de droit commun autorise la MSA à se délivrer un titre à elle-même, le contentieux étant alors porté devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ;
mais attendu qu'ayant choisi la voie pénale, comme elle l'indique à la Cour en réponse au deuxième chef de l'arrêt avant dire droit, la MSA du Cantal devait nécessairement, pour se constituer partie civile, s'adjoindre à une poursuite pour défaut de paiement des cotisations sociales (contravention de troisième classe, prévue et réprimée par les textes susdits) ;
que la poursuite en l'espèce a été faite pour d'autres infractions, prévues au Code du travail et sanctionnant les obligations formelles de l'employeur telles que prévues par ce Code ; qu'ainsi, comme le suggérait l'arrêt avant dire droit en son premier chef, il n'existe aucun lien de causalité entre la réclamation des cotisations impayées et le défaut de documents obligatoires, un employeur pouvant être mauvais payeur mais tenir les registres légaux et délivrer des bulletins de paie ou inversement (arrêt attaqué, p. 4 à 6) ;
"alors qu'en prononçant ainsi par des motifs inopérants pris de l'existence d'une incrimination distincte, et alors qu'elle ne pouvait sans se contredire ou mieux s'en expliquer, retenir que le prévenu avait été définitivement condamné pour n'avoir pas effectué de déclaration préalable à l'embauche et affirmer que ce manquement n'avait causé aucun préjudice direct à la partie civile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;
"et aux motifs, d'autre part, qu'enfin, à titre superfétatoire, il faut mentionner qu'avant de se constituer partie civile, la MSA devait délivrer une mise en demeure, exactement comme elle doit le faire avant de délivrer une contrainte ; qu'une telle pièce ne figure pas au dossier de la Cour, puisque le seul courrier recommandé envoyé par la MSA à Jean-Marie X... avant la poursuite, était un rappel des obligations légales, sans aucun chiffrage de sa créance ; que par suite, la constitution de partie civile de la MSA est irrecevable en tout et pour toute la période visée à la prévention (arrêt, p. 6) ;
"alors qu'aux termes de l'article L. 725-3 du Code rural, indépendamment de l'action en constitution de partie civile prévue aux articles 418 et 536 du Code de procédure pénale, les caisses de mutualité sociale agricole peuvent, après avoir mis en demeure les redevables de régulariser leur situation, recouvrer les cotisations et pénalités dues au moyen de contraintes ou d'états exécutoires ; qu'en subordonnant la recevabilité de la constitution de partie civile de la Caisse de mutualité sociale agricole du Cantal à la délivrance d'une mise en demeure préalable alors que cette mise en demeure était seulement le préalable nécessaire à l'émission d'une contrainte ou d'un état exécutoire, la cour d'appel a violé par fausse interprétation les dispositions de ce texte" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Marie X..., exploitant agricole, a été cité devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé pour avoir employé deux salariés, notamment, sans avoir adressé à la mutualité sociale agricole la déclaration préalable à l'embauche ni remis aux intéressés des bulletins de paie ; que la Caisse de mutualité sociale agricole du Cantal s'est constituée partie civile ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable cette constitution de partie civile après avoir retenu la culpabilité du prévenu, les juges énoncent qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la réclamation des cotisations impayées et les infractions au Code du travail objet de la prévention et en déduisent implicitement l'absence d'un préjudice direct né de ces infractions ;
Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, alors qu'elle ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, retenir, notamment, que le prévenu n'avait pas effectué de déclaration préalable à l'embauche auprès de la Caisse de mutualité sociale agricole et affirmer que ce manquement n'avait causé aucun préjudice direct à la partie civile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 26 novembre 2003, en ses seules dispositions déclarant irrecevable la constitution de partie civile de la Caisse de mutualité sociale agricole du Cantal, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application au profit de la Mutualité Sociale Agricole du Cantal, de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Beyer conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;