AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle ANCEL et COUTURIER-HELLER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Philippe,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 5 novembre 2003, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de dénonciation calomnieuse et usurpation de fonctions, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits ;
Sur la recevabilité du mémoire additionnel déposé le 7 avril 2004 :
Attendu que le mémoire additionnel a été produit après le dépôt du rapport ; qu'il y a lieu de le déclarer irrecevable en application de l'article 590 du Code de procédure pénale ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 433-12 du Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse aux conclusions ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que Philippe X... a commis une faute sur le fondement de l'article 433-12 du Code pénal et l'a condamné à payer à Saïd Y... la somme de 1 000 euros à titre de dommages intérêts ;
"aux motifs que s'il ressort de l'audition de M. Z..., chef d'établissement de la maison d'arrêt de Meaux, que Philippe X... l'avait informé, courant janvier 1998, du fait que Saïd Y... faisait passer du haschich à la maison d'arrêt, rien ne permet en revanche de retenir, comme le soutient Philippe X..., qu'il avait l'accord de sa hiérarchie pour faire une enquête interne et élaborer, selon ses propres termes, un "plan, en collaboration avec un détenu pour confondre l'infirmier" ; qu'en montant un stratagème pour interpeller en flagrant délit un infirmier travaillant au sein de l'établissement pénitentiaire, Philippe X... a eu un comportement excédant les pouvoirs d'un surveillant et ce d'autant que cette "enquête" interne n'était pas dirigée contre un détenu mais vers une personne extérieure à l'administration pénitentiaire, et sans aval avéré ou directive de sa hiérarchie ;
que la faute commise sur le fondement de l'article 433-12 du Code pénal est donc établie ;
"alors que, d'une part, l'usurpation de fonction suppose l'accomplissement d'un acte réservé au titulaire d'une fonction publique ; que la cour d'appel qui se borne à relever que Philippe X... a excédé les pouvoirs d'un surveillant sans caractériser l'accomplissement d'un acte réservé au titulaire d'une fonction publique, a privé de base légale sa décision ;
"alors que, d'autre part, la cour d'appel qui relève que "dans le cadre de l'enquête diligentée par le commissariat de Meaux, Saïd Y... a été placé en garde à vue" et impute à Philippe X... d'avoir monté "un stratagème pour interpeller en flagrant délit un infirmier travaillant au sein de l'établissement pénitentiaire", la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires ;
"alors qu'enfin la cour d'appel a omis de répondre aux motifs du jugement à la confirmation duquel concluait Philippe X... qui avait retenu qu'il ne résulte pas des différentes déclarations des protagonistes que Philippe X... ait accompli l'un des actes dont le Code de procédure pénale réserve l'exercice aux officiers ou agents de police judiciaire ; que l'enquête interne qu'il a menée et la rencontre placée sous sa surveillance entre le pourvoyeur désigné et son client déclaré n'avait, en l'état des charges réunies, d'autre objet que de s'assurer de la véracité des graves accusations portées par un détenu à la crédibilité pour la moins douteuse" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement auquel la cour d'appel se réfère expressément que Philippe X..., premier surveillant à la maison d'arrêt de Meaux, a dénoncé au procureur de la République un trafic de stupéfiants au sein de l'établissement mettant en cause Saïd Y..., infirmier, et un détenu trouvé en possession d'un morceau de résine de cannabis à sa sortie de l'infirmerie ; qu'à l'issue de l'enquête diligentée en flagrant délit, au cours de laquelle Saïd Y... a été placé en garde à vue par un officier de police judiciaire, la procédure a été classée sans suite ;
Attendu que, cité directement par Saïd Y..., devant le tribunal correctionnel des chefs de dénonciation calomnieuse et usurpation de fonctions, Philippe X... a été relaxé ;
Attendu que, sur le seul appel de la partie civile, l'arrêt, pour infirmer partiellement le jugement entrepris, déclarer constitué le délit prévu par l'article 433-12 du code pénal et prononcer sur l'action civile, énonce que Philippe X... a procédé à une "enquête" interne sans l'accord avéré de sa hiérarchie et monté un stratagème destiné à provoquer l'interpellation d'un infirmier travaillant au sein de l'établissement pénitentiaire ;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs, desquels il ne résulte pas que le prévenu a accompli les actes d'une fonction dont il n'était pas titulaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et sur le moyen relevé d'office, pris de la violation du principe de la séparation des pouvoirs ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu que, d'une part, les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d'une administration ou d'un service public en raison d'un fait dommageable commis par l'un de leurs agents ; que, d'autre part, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ;
Attendu qu'en se reconnaissant compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu sans rechercher si la faute imputée à celui-ci, fonctionnaire de l'administration pénitentiaire, présentait le caractère d'une faute personnelle détachable de la fonction, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est derechef encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris en date du 5 novembre 2003 et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;