La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/06/2004 | FRANCE | N°01-17478

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 03 juin 2004, 01-17478


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 3 octobre 2001) et les productions, que, le 12 janvier 2001, entre 7 heures 45 et 8 heures 30, France Culture a diffusé en direct une interwiew, par Pierre X..., de Mme Y..., belle-mère de Yasser Z... et auteur d'un livre "Palestine, mon histoire" ; qu'au cours de cet entretien, alors que M. X... remarquait que l'opinion publique appréhendait difficilement que certains Palestiniens puissent être chrétiens, puisque "dans l'es

prit des gens, tout Palestinien est un Arabe et tout Arabe est un m...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 3 octobre 2001) et les productions, que, le 12 janvier 2001, entre 7 heures 45 et 8 heures 30, France Culture a diffusé en direct une interwiew, par Pierre X..., de Mme Y..., belle-mère de Yasser Z... et auteur d'un livre "Palestine, mon histoire" ; qu'au cours de cet entretien, alors que M. X... remarquait que l'opinion publique appréhendait difficilement que certains Palestiniens puissent être chrétiens, puisque "dans l'esprit des gens, tout Palestinien est un Arabe et tout Arabe est un musulman", Mme Y... a répondu : "Bien maintenant, l'importance, ou ce que j'ai constaté, en France, est le nom musulman, on regarde avec un dédain, c'est pas avec... c'est, c'est, c'est une mentalité des croisades contre les musulmans, c'est incroyable, et les juifs de France sont en train d'employer cette guerre médiatique pour faire peur aux Français, on dirait que les musulmans sont des terroristes, sont des islamistes avec des barbes, sont des gens qui sont des sauvages et moi je suis choquée d'entendre ça dans ce débat" ; qu'elle a ensuite ajouté : "Mais vraiment, c'est du racisme incroyable et, pour gagner l'Europe, on doit dire que les Arabes sont des musulmans sauvages, terroristes etc. mais du racisme des juifs de France !... Le respect des autres religions, c'est ça que nous avons appris, même le judaïsme qui devient raciste ici, ça me fait très peur... ça me fait très peur..." ; que le journaliste a interrompu alors la conversation pour faire place aux informations de 8 heures et à la revue culturelle de la station, ainsi qu'à l'évocation d'une lettre publiée le même jour dans le journal Libération, contenant les adieux d'Eric Le A..., lecteur du journal, à Abdelhamid B..., peintre palestinien, tué quelques jours auparavant près de son village, Maccrabah, qu'il avait rencontré au centre culturel de Gaza ; que faisant part de son émotion, Mme Y... a enchaîné sur le fait qu'elle revenait d'Amérique et affirmé : "Je vois ce que c'est que le lobby juif en Amérique. L'influence sur le congrès. L'influence sur la Maison Blanche. L'influence sur tout, même les décisions de Clinton, même les décisions ... tous ses dossiers sont préparés par le groupe lobby juif. On sait bien ce qui se passe là-bas et ici, il y a l'influence du lobby juif, c'est triste parce qu'ils sont en train de faire beaucoup de mal aux Israéliens de l'intérieur. Ils leur font du mal ..." ; que Mme Y... a expliqué ensuite : "J'ai dit lobby juif pour que les juifs sachent : c'est assez de faire le lobby en Occident. C'est assez, c'est-à-dire qu'on fait le lobby, on le fait à l'intérieur, pour éduquer les gens pour une paix, pour une coexistence" ;

que Mme Y... s'est insurgée enfin : "Mais un million de juifs extrémistes à Jérusalem et le lobby qu'ils font pour, c'est-à-dire aider Israël, pour aider les gouvernements à supporter Israël, à soutenir Israël... ça c'est une critique que je fais. C'est assez ! C'est assez !... C'est assez, ce que j'ai vu avec le lobby juif. Qu'est ce qu'ils veulent, en fin de compte ? Faire agenouiller tout un peuple ? Tuer tout un peuple ? Massacrer tout un peuple ? On ne peut pas !" ; que l'association Avocats sans frontières (l'association) a sollicité un droit de réponse, auprès du président de Radio France, qui lui a été refusé ; que l'association a alors saisi le juge des référés aux fins d'ordonner la diffusion d'un communiqué au titre du droit de réponse ;

Sur le moyen unique, pris en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches réunies :

Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande, alors, selon le moyen :

1 / que la généralisation d'une imputation diffamatoire à l'ensemble des membres d'un groupe de personnes précis et identifiable entre dans les prévisions de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a confondu la généralité des propos incriminés avec celle des individus visés par l'imputation diffamatoire, violant ainsi le texte précité ;

2 / que le fait d'imputer à l'ensemble d'une communauté religieuse des sentiments racistes porte atteinte à l'honneur et à la réputation de cette communauté ; que les propos incriminés stigmatisant le "racisme des juifs de France" visent à accréditer l'idée selon laquelle l'ensemble d'une communauté religieuse vivant en France éprouve des sentiments racistes ; que ces propos constituent une imputation précise susceptible de porter atteinte à l'honneur et à la réputation d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance religieuse ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;

3 / que le fait d'imputer à l'ensemble d'une communauté religieuse la pratique d'une activité de "lobbying" visant à étendre son influence sur le "Congrès", la "Maison Blanche", "sur tout", dans l'objectif supposé de "faire agenouiller", "tuer tout un peuple", ou "massacrer tout un peuple" est susceptible de porter atteinte, par l'évolution de faits suffisamment précis, à l'honneur et à la réputation de cette communauté ;

qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;

4 / qu'en énonçant que les propos incriminés n'évoquaient pas des faits suffisamment précis pour constituer des imputations diffamatoires à l'égard de la communauté religieuse mise en cause dès lors qu'ils s'inscrivaient dans le cadre d'un combat politique et étaient l'expression d'une opinion, la cour d'appel s'est prononcée par un motif radicalement inopérant au regard de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 qu'elle a violé ;

Mais attendu que, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, quand bien même une telle preuve ne serait pas admise en matière de diffamation raciale ;

Et attendu que l'arrêt retient que, même s'ils dénoncent le "racisme des juifs de France", l'influence du "lobby juif" en Amérique sur le Congrès, la Maison Blanche, sur tout, et même si leur auteur s'interroge sur le but poursuivi par ce lobby qui pourrait vouloir "faire agenouiller" ou "massacrer tout un peuple", les propos incriminés s'inscrivent dans le cadre du combat politique mené par Mme Y..., présentée comme étant la belle-mère de Yasser Z... et auteur d'un livre intitulé "Palestine, mon histoire", qu'ils constituent l'expression d'une opinion sur les dangers qui menaceraient le peuple palestinien ;

Que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que les propos incriminés ne comportaient pas, par leur généralité même, l'évocation de faits suffisamment précis pour justifier un droit de réponse ;

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, septième et huitième branches réunies :

Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande, alors, selon le moyen :

1 / que les associations remplissant les conditions fixées par l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse peuvent exercer un droit de réponse dans le cas où des imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée auraient été diffusées dans le cadre d'une activité de communication audiovisuelle ; qu'en énonçant que ces dispositions impliquaient une interprétation stricte des conditions de mise en oeuvre du droit de réponse lorsque celui-ci est exercé par une association habilitée, la cour d'appel a introduit un principe d'interprétation qui ne s'évinçait pas des termes de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 qu'elle a, en conséquence, violé ;

2 / que l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ne déroge pas au caractère personnel du droit de réponse lorsque sont invoquées des imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation d'un groupe de personnes ; qu'en faisant une application stricte des conditions de mise en oeuvre du droit de réponse au motif erroné que la disposition évoquée dérogeait au caractère personnel du droit de réponse, la cour d'appel a violé le texte précité ;

3 / que n'est pas justifié le refus de diffusion d'une réponse qui ne mettrait pas en cause d'autres personnes que des tiers ayant participé aux débats ; que Mme Raymonda Y..., auteur des propos incriminés, ne pouvait être considérée comme étrangère aux débats ; qu'en refusant néanmoins d'ordonner la diffusion de la réponse de l'association Avocats sans frontières, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;

4 / que ne saurait être considérée comme portant atteinte à l'honneur du journaliste une réponse dont les termes ne dépassent pas en gravité et en vivacité ceux des propos auxquels il a été répondu ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si la gravité des termes figurant dans la réponse dépassait ou non celle des imputations diffamatoires exprimées à raison de la seule appartenance religieuse d'un groupe d'individus, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;

Mais attendu que l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 subordonne l'exercice du droit de réponse à l'existence d'imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation ;

Que la cour d'appel ayant constaté à bon droit l'absence de telles imputations, le moyen est inopérant ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'association Avocats sans frontières aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société nationale de radiodiffusion Radio France et de M. C... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 01-17478
Date de la décision : 03/06/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Allégation ou imputation de faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne - Conditions - Détermination.

1° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Allégation ou imputation de faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne - Diffamation envers un groupe de personnes appartenant à une race ou à une religion déterminée - Preuve - Exclusion - Cas.

1° Pour constituer une diffamation, l'obligation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, quand bien même une telle preuve ne serait pas admise en matière de diffamation raciale.

2° PRESSE - Procédure - Droit de réponse - Exercice - Conditions - Détermination.

2° RADIODIFFUSION-TELEVISION - Droit de réponse - Imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de la personnne visée - Constatations - Nécessité.

2° L'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 subordonne l'exercice du droit de réponse à l'existence d'imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation.


Références :

2° :
Loi 82-652 du 29 juillet 1982 art. 6

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 03 octobre 2001

Sur le n° 1 : Sur l'exclusion de la preuve de la vérité des faits diffamatoires envers une race ou une religion déterminée, dans le même sens que : Chambre criminelle, 2004-03-16, Bulletin criminel, n° 67, p. 257 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 03 jui. 2004, pourvoi n°01-17478, Bull. civ. 2004 II N° 271 p. 229
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2004 II N° 271 p. 229

Composition du Tribunal
Président : M. Ancel.
Avocat général : M. Kessous.
Rapporteur ?: M. Grignon Dumoulin.
Avocat(s) : la SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Rouvière.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:01.17478
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award