AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que, par acte passé le 10 juillet 1991 devant M. X..., notaire associé de la SCP Champennois-Jusot-Claris, M. Y... s'est engagé à vendre un immeuble à la société Reinhard Diaz promotion (RD Promotion), sous, notamment, la condition suspensive de l'exercice de son droit de préemption par la Ville de Paris ; qu'à la suite de la déclaration d'aliéner, cette dernière a décidé d'exercer ce droit ; que le notaire, informé de cette intention a été invité à déposer le titre de propriété de l'immeuble entre les mains de M. Z..., notaire de la ville de Paris chargé de la rédaction du contrat ; que la société RD Promotion, bénéficiaire de la promesse de vente a formé un recours devant le tribunal administratif en annulation de la décision de préemption ; que la vente a été constatée entre M. Y... et la Ville de Paris par acte du 22 octobre 1990, reçu par M. Z..., notaire associé de la société civile professionnelle Mahot de la Querantonnais, Z..., Lièvre et Gouret, avec le concours de M. A..., notaire du vendeur ; que conformément à l'engagement pris lors de la cession, M. Y... a donné congé, sans offre de renouvellement, à M. B... et à la société B..., des locaux à usage commercial loués dans l'immeuble ; qu'en 1993, le tribunal administratif ayant annulé la décision de préemption, la Ville de Paris a assigné M. Y... et la société RD Promotion pour faire déclarer nul l'acte notarié passé devant M. Z..., ordonner la restitution réciproque des prestations fournies à savoir, par la Ville de Paris de l'immeuble et par M. Y..., du prix versé, déclarer qu'elle aura droit au remboursement des indemnités d'éviction commerciale ; que M. Y... a appelé en garantie MM. Z... et X... ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal formé par M. Y... :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 2000) de l'avoir condamné à rembourser à la Ville de Paris les indemnités d'éviction versées à M. B... et à la société B..., alors, selon le moyen, qu'il résulte des articles 1134, alinéa 2, et 1582 du Code civil, que les restitutions consécutives à l'annulation de l'acte de vente, sont limitées à l'objet des obligations réciproques ;
qu'ainsi, l'annulation de la vente ne fait peser sur le vendeur aucune obligation de restitution des indemnités d'éviction versées par l'acquéreur aux locataires commerciaux en contrepartie du congé délivré par ce dernier ; que pareille restitution intéresse exclusivement le rapport entre l'acquéreur et les locataires et est donc étrangère au rapport entre le vendeur et l'acquéreur, de sorte qu'en condamnant M. Y..., en sa qualité de vendeur, à restituer à la Ville de Paris le paiement des indemnités d'éviction versées aux locataires évincés, la cour d'appel a violé les textes précités ;
Mais attendu que le paiement de l'indemnité d'éviction au locataire commercial incombant au propriétaire, c'est à bon droit que la cour d'appel a mis celle-ci à la charge de M. Y..., dès lors que celui-ci était censé, par l'effet de l'annulation de la vente, n'avoir pas perdu sa qualité de propriétaire de l'immeuble litigieux ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du même pourvoi, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Y... reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté l'appel en garantie formé par lui contre les notaires, alors, selon le moyen,
1 ) que ne remplit pas son devoir de conseil le notaire qui se borne à indiquer, dans l'acte de vente, l'existence d'un recours devant la juridiction administrative en annulation de la décision de préempter, sans mettre en garde les parties à l'acte sur les conséquences éventuelles d'un tel recours ; qu'en retenant cependant que MM. X... et Z... avaient rempli leur devoir de conseil en mentionnant, dans l'acte de vente, l'existence d'un tel recours, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2 ) qu'en cas de recours pour excès de pouvoir exercé par le bénéficiaire d'une promesse de vente contre la décision de préemption d'une ville, il appartient au notaire rédacteur d'inciter les parties à prolonger le délai de levée de l'option au moins jusqu'à l'intervention de la décision juridictionnelle, de sorte qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé le même texte ;
Mais attendu que la nullité de l'acte de vente entraînant une restitution de l'indemnité d'éviction commerciale à l'acquéreur, et que cette restitution n'ayant pas de caractère indemnitaire dans les rapports entre les parties au contrat de vente, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les notaires n'avaient pas à garantir M. Y... de ladite restitution ; qu'en ses deux branches le moyen est donc inopérant ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident formé par la société RD Promotion, pris en ses deux branches :
Attendu que la société RD Promotion fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Y... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 ) que la promesse unilatérale de vente consentie à la société RD Promotion stipulait que l'option devait être levée avant le 10 juillet 1991, à condition que le droit de préemption ait été purgé avant cette date ; qu'il était constant que la procédure administrative ayant abouti à l'annulation du droit de préemption n'avait pris fin que le 4 mars 1994 ; qu'ainsi, en jugeant que la société RD Promotion avait abusé de son droit de ne pas lever l'option après avoir poursuivi et obtenu l'annulation de la préemption, la cour d'appel a méconnu les termes de la promesse qui enfermait la possibilité de lever cette option dans un délai expirant le 10 juillet 1991 et a violé l'article 1134 du Code civil ;
2 ) que la cour d'appel ne pouvait imputer à faute à la société RD Promotion le fait de ne pas avoir levé l'option en 1994, sans rechercher si, à cette date, cette société pouvait encore bénéficier d'un droit que la promesse avait enfermé dans un délai expirant le 10 juillet 1991. Faute d'avoir effectué cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que cette société, bénéficiaire jusqu'au 10 juillet 1991 d'une promesse unilatérale de vente sous, notamment, la condition suspensive de la purge du droit de préemption, n'avait pas levé l'option à cette date et que la requête en annulation présentée par la société RD Promotion devant le tribunal administratif ne pouvait valoir levée d'option, laquelle, aux termes de la promesse de vente du 10 mai 1990 devait être effectuée soit par exploit d'huissier, soit par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au promettant, qu'une telle requête avait au surplus un objet différent, et qu'elle s'était abstenu de lever l'option après avoir poursuivi l'annulation de la préemption par une procédure dont elle ne pouvait ignorer qu'elle nécessitait un certain délai ; qu'ainsi, c'est sans méconnaître les termes de la promesse de vente, que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu retenir que la société RD Promotion avait commis une faute génératrice d'un préjudice en mettant M. Y... dans l'obligation de rechercher un autre acquéreur ;
qu'en aucune de ses branches le moyen n'est fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Fais masse les dépens et les laisse pour moitié à la charge de M. Y... et pour moitié à celle de la société Reinhard Diaz promotion ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne M. Y... à payer 1 500 euros à la Ville de Paris, 1 500 euros, ensemble, à la SCP Magot de la Querantonnais, Z..., Lièvre et Gouret et ensemble à la SCP A..., Jusot, X... et Giray ;
rejette la demande formée par la société RD Promotion ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille quatre.