AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf mars deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller LE CORROLLER, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE AGF, venant aux droits de la COMPAGNIE D'ASSURANCES PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 6 novembre 2002, qui, après condamnation de Bernard X... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code Civil, 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, L. 376-1, L. 434-1, L. 434-2 et L. 454-1 du Code de la sécurité sociale, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué du 6 novembre 2002 a exclu du préjudice soumis à recours les sommes allouées en réparation de la gêne ressentie pendant la période d'incapacité temporaire totale et du préjudice fonctionnel d'agrément, et en conséquence a condamné Bernard X... et son assureur à payer à Guillaume Y..., après partage de responsabilité la somme de 24 000 euros pour solde de la réparation de son préjudice corporel ;
"aux motifs que, "la Cour ne peut que constater que la CPAM du Havre, dont le décompte détaillé définitif de la créance du 14 novembre 2001 (117 022,07 euros) a été transmis à l'avocat de Guillaume Y... qui communique ce document, n'est pas intervenue dans la présente instance, et que Guillaume Y... ne présente aucune demande au titre de la liquidation de la part de son préjudice soumis au recours de cet organisme social ; si l'article 31 de la loi n 85-677 du 5 juillet 1985 dispose que les recours des tiers-payeurs s'exercent dans les limites de la part d'indemnité qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et aux préjudices esthétique et d'agrément, ce texte n'interdit pas de classer parmi les postes de préjudice personnel non soumis à cette action récursoire, d'une part, la gêne ressentie pendant la période d'incapacité temporaire totale par le blessé dont l'hospitalisation et l'immobilisation à son domicile ont anéanti ou limité l'agrément d'une vie normale, et, d'autre part, la perte définitive de qualité de vie causée par les séquelles conservées à la suite de l'accident et proportionnelles au taux du déficit fonctionnel constaté par le médecin-expert ; eu égard à la nature des blessures dont il a été atteint et à l'importance des soins, interventions et séances de rééducation qu'il a dû subir, le trouble qui en est résulté dans ses conditions normales d'existence pendant les périodes où Guillaume Y... s'est trouvé en incapacité temporaire totale, d'une durée globale de 12 mois justifie, sur la base de 500 euros par mois, l'indemnisation de son préjudice d'agrément antérieur à la date de consolidation par une somme de 6 000 euros ;
les indications communiquées par l'expert judiciaire dans son rapport, déjà rappelées pour l'essentiel, sur la consistance des séquelles conservées par Guillaume Y... et le taux de son incapacité permanente partielle, ainsi que les éléments d'appréciation complémentaires fournis par les attestations et documents concernant ces pratiques sportives, permettent de caractériser l'existence d'un préjudice fonctionnel d'agrément affectant définitivement sa qualité de vie, ses gestes quotidiens, ses activités personnelles, familiales et professionnelles, ses déplacements, ses loisirs et ses relations avec son entourage, distincts du préjudice économique soumis au recours des tiers-payeurs et pouvant être évalués à 30 000 euros ; après application du partage de responsabilité sur la somme globale de 36 000 euros ainsi déterminée (6 000 euros + 30 000 euros), il revient à Guillaume Y... une indemnité complémentaire de 24 000 euros pour solde de la réparation de son préjudice corporel non soumis à recours de la CPAM du Havre" (arrêt, pages 10 et 11) ;
"alors, d'une part, que l'incapacité totale de travail correspond à la période d'indisponibilité pendant laquelle la victime s'est trouvée dans l'impossibilité d'exercer ses occupations habituelles, qu'elles soient d'ordre professionnel, privé ou de loisirs ; que l'indemnisation du préjudice physiologique subi par la victime pendant la durée de l'incapacité totale de travail est soumise au recours des organismes sociaux ; qu'en considérant que le trouble dans les conditions d'existence subi par Guillaume Y... constituait un préjudice personnel échappant au recours des organismes sociaux, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que l'indemnisation des conséquences purement physiologiques de l'incapacité permanente partielle " est soumise au recours des organismes sociaux ; qu'en considérant en l'espèce que les conséquence physiologiques de l'incapacité permanente partielle (soumis à recours) et le préjudice d'agrément (préjudice personnel) pouvaient faire l'objet d'une indemnisation globale sous un poste intitulé "préjudice fonctionnel d'agrément" qui échapperait dans sa totalité au recours des organismes sociaux, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale" ;
Vu les articles 31 de la loi du 5 juillet 1985, L. 376-1, alinéa 3, et L. 454-1, alinéa 3, du Code de la sécurité sociale ;
Attendu que, selon ces textes, les recours des tiers payeurs s'exercent dans les limites de la part d'indemnité qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de celle, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément ; que le préjudice d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence ;
Attendu qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables d'un accident de la circulation, dont Bernard X..., reconnu coupable de blessures involontaires, a été déclaré tenu, pour partie, à réparation, la juridiction du second degré était saisie de conclusions de la partie civile demandant la réparation de son seul préjudice personnel dans la limite du partage préalablement institué ;
Attendu que, pour fixer ce préjudice, l'arrêt retient des sommes correspondant, d'une part, à la gêne dans les actes de la vie courante pendant l'arrêt d'activité avant la consolidation, d'autre part, au "préjudice fonctionnel d'agrément" corrélatif au déficit fonctionnel de la victime et traduisant l'ensemble des troubles dans les conditions d'existence causés après la consolidation par les séquelles affectant définitivement sa qualité de vie, ses gestes quotidiens, ses activités personnelles, familiales et professionnelles, ses déplacements, ses loisirs et ses relations avec son entourage ;
Mais attendu qu'en excluant ainsi du recours du tiers payeur des indemnités réparant l'atteinte objective à l'intégrité physique de la victime, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 6 novembre 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Beaudonnet, Gailly, M. Chaumont conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;