AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 octobre 2001) rendu sur renvoi après cassation (2e Civ, 18 mars 1999, pourvoi n° 97-13.857), que l'association Union des étudiants juifs de France (l'association), ayant pour objet de lutter contre l'antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes et de préserver la mémoire, a assigné en référé, devant le président d'un tribunal de grande instance, M. X..., commerçant, afin qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de cesser toute diffusion, par vente directe ou vente par correspondance, d'articles militaires nazis ou vichystes, présentés dans son catalogue intitulé "JMF Militaria" et son annexe, édition 1995-1996, et de cesser toute diffusion dudit catalogue sauf à en retrancher les articles incriminés ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande, alors, selon le moyen :
1 / que la cour d'appel, qui relève simplement, pour caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite, que la commercialisation en cause contrevient "aux conditions et modalités de commercialisation habituelles licites", sans préciser ni en quoi consistaient et d'où résultaient ces règles, ni leur valeur ou force, ni en quoi il les aurait manifestement méconnues, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que dénature manifestement les termes clairs de l'avertissement litigieux, la cour d'appel qui en tire la reconnaissance aux exactions nazies d'un rang d'égalité avec les faits d'armes alliés et ainsi la banalisation du nazisme et de l'antisémitisme, bien que cet avertissement ne fasse état que d'une volonté de collectionner dans un but historique, sans arrière-pensées idéologiques, des effets militaires de toutes les armées qui se sont affrontées durant la Deuxième Guerre mondiale, et notamment de l'armée allemande, qui ne se confond pas avec le nazisme, sans allusion ni au nazisme ou à l'antisémitisme, ni aux "faits d'armes" des diverses armées ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
3 / qu'en statuant ainsi après avoir repris les termes exprès de l'avertissement, les juges d'appel n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations et ont violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'avertissement figurant en tête du catalogue, tendait en fait à reconnaître aux exactions nazies un rang d'égalité avec les faits d'armes alliés, et ainsi à banaliser le nazisme et l'antisémitisme par l'oblitération du souvenir de la barbarie attachée à la mémoire collective et qu'il en était de même de l'étalage des objets qui se rapportent à la "militaria allemande" diffusés par le biais de ce catalogue, la cour d'appel a pu, sans dénaturer les termes de l'avertissement, déduire de ces constatations l'existence d'un trouble manifestement illicite ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné, sous astreinte, à cesser toute diffusion de son catalogue et des articles présentés "JMF Militaria", alors, selon le moyen :
1 / que les mesures d'interdictions de diffusion des articles et du catalogue sauf à y retrancher les objets y figurant rappelant la période nazie ne pouvaient être ordonnées que dans la mesure où la vente de ces objets constituait un trouble illicite ou un dommage imminent ; que, bien que la cour d'appel ait constaté que la vente des objets litigieux n'était nullement prohibée et que seuls les termes de l'avertissement apparaissaient contestables, elle a confirmé une telle mesure ; qu'en statuant ainsi, par une mesure manifestement excessive pour prévenir le trouble prétendument illicite relevé par la cour d'appel, puisque le retrait de l'avertissement suffisait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, règle à valeur constitutionnelle qui imposait au juge des référés de prendre la mesure la plus strictement circonscrite au trouble, et l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en tout état de cause, l'absence de motifs sur la nature des articles interdits prive l'arrêt de base légale au regard de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en limitant l'interdiction de diffusion et de vente aux objets incriminés, la cour d'appel a souverainement apprécié le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le troisième moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille quatre.