La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/02/2004 | FRANCE | N°02-84472

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 février 2004, 02-84472


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze février deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Roger,

- Y... Brooks, épouse X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BASSE-TERRE, chambre correctionnelle

, en date du 28 mai 2002, qui, pour fraude fiscale, a confirmé un jugement les ayant condamné...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze février deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Roger,

- Y... Brooks, épouse X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BASSE-TERRE, chambre correctionnelle, en date du 28 mai 2002, qui, pour fraude fiscale, a confirmé un jugement les ayant condamnés, chacun, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 500 000 francs d'amende, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1741 et 1743 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de sursis à statuer, déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende et accueilli l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs que les époux X... demandent à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative qu'ils ont saisie, ainsi que de nombreuses autres personnes domiciliées à Saint-Barthélémy, de la question de savoir si les impositions contestées sont dues en raison du statut fiscal et l'île de Saint-Barthélémy, ce sursis à statuer étant de nature selon eux à éviter une contrariété de décision entre la juridiction répressive et le juge administratif, juge de l'impôt ; mais cette demande ne peut valablement prospérer dans la mesure où les poursuites engagées contre les prévenus du chef de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés en omettant volontairement de faire leur déclaration, sur le fondement de l'article 1741 du Code général des impôts, et la procédure engagée devant la juridiction administrative sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre, le juge répressif ayant en effet pour mission de rechercher si les prévenus ont échappé ou tenté d'échapper à l'impôt par des manoeuvres répréhensibles et pour des sommes dépassant la tolérance légale ;

"alors que ce refus de surseoir à statuer, en ce qu'il expose les époux X... à se trouver définitivement jugés coupables de fraude fiscale sans qu'il ait été encore statué par le juge de l'impôt sur le principe même de l'exigibilité de l'impôt prétendument éludé, constitue une atteinte flagrante au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et prive en l'état la déclaration de culpabilité ainsi prononcée de toute base légale à raison même de l'incertitude affectant l'exigibilité de l'impôt prétendument éludé" ;

Attendu que, pour rejeter la demande de sursis à statuer présentée par les prévenus jusqu'à la décision du tribunal administratif qu'ils avaient saisi, l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'il appartenait aux juges répressifs de se prononcer sur l'assujettissement des prévenus à l'impôt dont dépend l'application de la loi pénale, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article 3 du Protocole annexé au Traité du 10 août 1877 portant rétrocession par la Suède à la France de l'île de Saint-Barthélémy, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation du principe de la séparation des pouvoirs, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que l'article 3 du Protocole annexé au Traité du 10 août 1877 par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélémy à la France ne pouvait s'entendre comme ayant pour objet de conférer un droit à une exemption définitive de l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés au profit des habitants de Saint-Barthélémy, déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende et accueilli l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs que, lorsqu'une telle exemption est prévue, elle est réputée n'avoir d'effet qu'à l'égard des impôts et taxes en vigueur à la date à laquelle elle a été prise ; que l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, n'ayant été conçus et institués que postérieurement au Traité du 10 août 1877, ne pouvaient donc faire l'objet d'une exemption par ce Traité ; qu'il s'ensuit que celui-ci, aux termes duquel "la France succède aux droits et obligations résultant de tout acte régulièrement fait par la Couronne de Suède ou en son nom pour des objets d'intérêt public ou domanial concernant spécialement la colonie de Saint-Barthélémy et ses dépendances" (article 3 du Protocole annexé à ce Traité), n'a ni pour objet ni pour effet, en prévoyant la succession de la France aux obligations de la Couronne de Suède, de conférer un droit à une exemption définitive de l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés ; que l'article 3 de la loi du 3 mars 1878 portant approbation du Traité susmentionné prévoit l'application à Saint-Barthélémy des textes publiés ou promulgués à la Guadeloupe ; que l'arrêté du 29 juin 1922 rendant exécutoire une délibération du conseil général de la Guadeloupe, en date du 2 juin 1922, établissant un impôt général sur le revenu a été publié au Journal officiel de la Guadeloupe le 6 juillet 1922 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, les habitants de la commune de Saint-Barthélémy ont été, à compter de l'entrée en vigueur de cette délibération, légalement soumis comme les autres habitants de la colonie de la Guadeloupe et dépendances à un impôt général sur le revenu ;

"alors que les juridictions répressives sont radicalement incompétentes pour procéder à l'interprétation de traités et conventions internationales, seul le ministre des Affaires Etrangères étant habilité à le faire, de sorte que la Cour, qui, en l'espèce, a prétendu déduire des termes de l'article 3 du Protocole annexé au Traité du 10 août 1877 par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélémy à la France qu'il n'avait ni pour objet ni pour effet de conférer un droit d'exemption définitif de l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés aux habitants de cette île, a, en prétendant ainsi interpréter le sens et la portée de cet article, porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et privé sa décision de toute base légale" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation du décret royal du 25 septembre 1811 "portant organisation du Gouvernement de l'île de Saint-Barthélémy", 1741 et 1743 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception préjudicielle tirée de l'inégalité du principe de l'exigibilité de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés à Saint-Barthélémy, déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende et accueilli l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs que le tribunal a considéré justement que, sous le Gouvernement suédois, Saint-Barthélémy n'a jamais bénéficié d'un régime d'exemption du paiement des impôts directs à titre définitif et irrévocable, le décret royal du 25 septembre 1811 portant organisation de l'île ayant mis en place un régime fiscal particulier provisoire en contrepartie d'obligation pour les habitants d'entretien de routes et autres corvées ; que, par ailleurs, l'acte royal en date du 26 mars 1804 décrétant que Saint-Barthélémy devait conserver son caractère de port franc avec les avantages qui y sont liés s'est borné à ajourner l'instauration d'une capitation et d'un impôt foncier, mais n'a nullement reconnu aux habitants de l'île un droit à exemption définitive et irrévocable d'impôts directs ;

"alors que la Cour, qui, de même que les premiers juges, s'est contentée d'affirmer, sans aucunement en justifier par une quelconque analyse des dispositions en cause, que le décret royal du 25 septembre 1811 portant organisation de l'île avait mis en place un régime fiscal particulier uniquement à titre provisoire et que l'acte royal en date du 26 mars 1804 n'aurait fait qu'ajourner l'instauration d'une capitation et d'un impôt foncier de sorte qu'aucun de ces textes n'aurait reconnu aux habitants de l'île un droit à exemption définitive et irrévocable d'impôts directs et sans répondre davantage à l'argumentation péremptoire des conclusions faisant valoir, en se fondant sur une analyse minutieuse des mêmes textes, que le décret royal du 25 septembre 1811 avait eu principalement pour objet d'instituer un processus décisionnel spécifique en matière fiscale ayant pérennisé l'exemption d'impôts directs, n'a pas, en l'état de ces motifs radicalement entachés d'insuffisance, mis la chambre criminelle ne mesure d'exercer son contrôle sur l'interprétation de ces textes qui, bien que pris en leur temps par une autorité étrangère, en l'occurrence le roi de Suède, sont réputés, du fait de la rétrocession de l'île de Saint-Barthélémy à la France, comme des normes françaises" ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des dispositions de l'article 2 de la loi du 19 mars 1946, 1er et 20 du décret du 30 mars 1948, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception préjudicielle tirée de l'illégalité du principe de l'exigibilité de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés à Saint-Barthélémy, déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende et accueilli l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs que l'article 3 de la loi du 3 mars 1878 portant approbation du Traité susmentionné prévoit l'application à Saint-Barthélémy des textes publiés ou promulgués à la Guadeloupe ; que l'arrêté du 29 juin 1922 rendant exécutoire une délibération du conseil général de la Guadeloupe, en date du 2 juin 1922, établissant un impôt général sur le revenu a été publié au Journal officiel de la Guadeloupe le 6 juillet 1922 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, les habitants de la commune de Saint-Barthélémy ont été, à compter de l'entrée en vigueur de cette délibération, légalement soumis comme les autres habitants de la colonie de la Guadeloupe et dépendances à un impôt général sur le revenu ; que la loi du 19 mars 1946 qui a érigé en département français les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française dispose, en son article 2, que "les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront... l'objet de décrets d'application à ces nouveaux départements" ; qu'au terme de l'article 1er du décret du 30 mars 1948 pris régulièrement sur le fondement de cette disposition législative "sous réserve des exceptions, dérogations et mesures transitoires énumérées dans les articles qui suivent, sont déclarés exécutoires dans le département de la Guadeloupe à compter du 1er janvier 1948 et pour autant que leurs dispositions n'y sont pas déjà introduites : le Code général des impôts directs et taxes assimilées en vigueur dans la France métropolitaine au 19 mars 1946 et les textes qui l'ont modifié ou complété, les lois et ordonnances relatives aux contributions directes et taxes assimilées en vigueur dans la France métropolitaine à la même date et non codifiées ou complétées, les décrets et arrêtés pris pour l'application du Code et des textes susvisés" ; que l'article 20 du décret susmentionné dispose que "le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et Saint-Barthélémy est maintenu provisoirement en vigueur" ; qu'à la date où intervenu le décret du 30 mars 1948, les habitants de l'île de Saint-Barthélémy n'étaient pas, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, placés sous un régime différent de celui applicable aux autres habitants du département de la Guadeloupe ; que, dès lors, les dispositions précitées de l'article 20 de ce décret ne peuvent être interprétées comme ayant pour objet de maintenir provisoirement en vigueur un régime juridique particulier aux habitants de cette île en matière d'impôts sur le revenu ; qu'à supposer même que l'impôt général sur le revenu institué par la délibération du conseil général de la Guadeloupe, en date du 2 juin 1922, n'ait pas été effectivement mis en recouvrement sur l'île de Saint-Barthélémy durant toute la période antérieure à la départementalisation de la colonie, la disposition de l'article 20 précité n'a pas pu, eu égard à la portée de l'habilitation de l'article 2 de la loi du 19 mars 1946, avoir légalement eu pour objet et pour effet de conférer une base juridique à un régime particulier d'exonération résultant d'une situation de fait illégal en plaçant la dépendance de Saint-Barthélémy en dehors du champs d'application de l'article 1er dudit décret ;

"alors, d'une part, que les traités ayant une autorité supérieure à celle de la loi et le législateur n'ayant pas compétence pour fixer dans une loi d'autorisation de ratification des limites au traité dont il entend autoriser la ratification, il s'ensuit que la Cour ne pouvait, sans violer ce principe d'ordre public, considérer que l'article 3 de la loi du 3 mars 1878 portant approbation du Traité du 10 août 1877 aurait, nonobstant les dispositions de l'article 3 du Protocole annexé à ce traité imposant à la France le respect de tous les actes régulièrement faits par la Couronne de Suède pour des objets d'intérêt public ou domanial, permis en l'absence du respect du processus décisionnel spécifique en matière d'impôts, à l'arrêté du 29 juin 1922 de soumettre les habitants de Saint-Barthélémy à l'impôt général sur le revenu institué par délibération du conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 ;

"et alors, d'autre part, que l'article 1er du décret du 30 mars 1948 ayant expressément prévu l'application dans le département de la Guadeloupe du Code général des impôts directs et taxes assimilées ainsi que de tous les textes annexes à compter du 1er janvier 1948 mais "sous réserve des exceptions, dérogations et mesures transitoires énumérées dans les articles qui suivent" dont précisément l'article 20 qui dispose que "le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et Saint-Barthélémy est maintenu provisoirement en vigueur" établissent de manière incontestable qu'il existait bien à ce moment un régime spécifique à l'île de Saint-Barthélémy et consistant en l'exonération de l'impôt sur le revenu l'article 2 de la loi du 19 mars 1946 n'ayant aucunement interdit l'impossibilité d'exceptions, dérogations ou mesures transitoires ; qu'en décidant par conséquent que l'article 20 n'aurait pas eu pour effet le maintien en vigueur d'un régime juridique spécifique aux habitants de Saint-Barthélémy en matière d'impôts sur le revenu, la Cour a violé les textes susvisés" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour écarter les conclusions des prévenus qui soutenaient que les habitants de l'île de Saint-Barthélémy étaient exonérés de l'impôt sur le revenu et sur les sociétés et les déclarer coupables de fraude fiscale, les juges, après avoir relevé qu'antérieurement au traité du 10 août 1877, par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélémy à la France, cette île n'avait bénéficié d'aucun privilèges fiscaux permanents et irrévocables, énoncent qu'il s'ensuit que les stipulations de l'article 3 du protocole annexé audit traité, aux termes desquelles "la France succède aux droits et aux obligations résultant de tous actes régulièrement faits par la Couronne de Suède ou en son nom pour des objets d'intérêts public ou domanial concernant spécialement la colonie de Saint-Barthélémy et ses dépendances", n'ont eu ni pour objet ni pour effet de conférer aux habitants de cette île un droit à être définitivement exemptés des impôts sur le revenu et sur les sociétés ;

Que les juges relèvent que les dispositions de l'article 3 de la loi du 3 mars 1878, portant approbation du traité précité, aux termes desquelles "toutes les lois, tous les règlements et arrêtés publiés ou promulgués à la Guadeloupe auront force et vigueur à Saint-Barthélémy à partir du jour de l'installation de l'autorité française dans cette île" ont entraîné de plein droit l'application à Saint-Barthélémy du régime fiscal en vigueur à la Guadeloupe ;

Qu'ils constatent que la délibération du conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922, rendue exécutoire par un arrêté du 29 juin 1922, ayant établi un impôt général sur le revenu, n'a prévu aucune exemption au profit des contribuables de Saint-Barthélémy ;

Qu'ils retiennent qu'à la date où est intervenu le décret du 30 mars 1948, pris en application de la loi du 19 mars 1946, ayant érigé en département français notamment la colonie de la Guadeloupe, les habitants de Saint-Barthélémy n'étaient pas placés, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, sous un régime différent de celui applicable aux autres habitants de ce département et que, dès lors, les dispositions de l'article 20 du décret précité aux termes desquelles "le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et Saint-Barthélémy est maintenu provisoirement en vigueur", ne peuvent être interprétées comme ayant eu pour objet de maintenir provisoirement en vigueur un régime particulier d'exonération, résultant d'une situation de fait illégale, plaçant l'île de Saint-Barthélémy en dehors du champ d'application de l'article 1er dudit décret dont l'objet a été de déclarer exécutoires, dans le département de la Guadeloupe, les dispositions du Code général des impôts en vigueur en France métropolitaine, à la même date ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il est de l'office du juge d'interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen, sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'avis d'une autorité non juridictionnelle, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Mais sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 111-3 nouveau du Code pénal et de l'article 1741 du Code général des impôts ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende ;

"alors que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi si l'infraction est un crime ou un délit ; que l'article 1741 du Code général des impôts, en sa rédaction résultant de l'ordonnance 2000-916 du 19 septembre 2000, applicable en la cause comme instituant des dispositions plus favorables au prévenu, dispose que le maximum de l'amende encourue est de 37 500 euros ; qu'en prononçant tant à l'encontre de Roger X... que de son épouse une amende supérieure à ce montant, la cour d'appel a méconnu les principes précités" ;

Vu l'article 111-3 du Code pénal, ensemble l'article 1741 du Code général de impôts ;

Attendu que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;

Attendu qu'après avoir déclaré Roger X... et Brooks X... coupables de fraude fiscale, l'arrêt attaqué confirme le jugement les ayant condamnés, chacun, à 500 000 francs d'amende ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi une peine excédant le maximum prévu par l'article 1741 du Code général des impôts réprimant le délit reproché, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 28 mai 2002, mais en ses seules dispositions ayant condamné Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., chacun à 500 000 francs d'amende, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que le montant de l'amende due par chacun des prévenus est de 37 500 euros ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Basse-Terre, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel, Mme Salmeron conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 02-84472
Date de la décision : 11/02/2004
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° IMPOTS ET TAXES - Dispositions communes - Fraude fiscale - Procédure - Contestation sur l'assujettissement à l'impôt - Sursis à statuer jusqu'à la décision du tribunal administratif saisi (non).

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Sursis à statuer - Conditions.

1° Il appartient aux juges répressifs de se prononcer sur l'assujettissement des prévenus à l'impôt dont dépend l'application de la loi pénale. Dès lors, c'est à bon droit qu'une cour d'appel rejette la demande de sursis à statuer jusqu'à la décision du tribunal administratif saisi par les prévenus sur le principe de leur imposition au regard du statut fiscal de l'île de Saint-Barthélémy (1).

2° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Principes généraux - Interprétation - Traité invoqué dans la cause - Office du juge.

2° Il est de l'office du juge d'interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen, sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'avis d'une autorité non juridictionnelle. Il s'ensuit que la cour d'appel n'a fait qu'user de ses pouvoirs en interprétant elle-même les dispositions du traité du 10 août 1877, par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélémy à la France (2).

3° IMPOTS ET TAXES - Impôts directs et taxes assimilés - Fraude fiscale - Personnes assujetties à l'impôt - Habitants de l'île de Saint-Barthélémy (Guadeloupe).

3° Les dispositions de la loi du 3 mars 1878 donnant force et vigueur, à Saint-Barthélémy, à toutes les lois, tous les règlements et arrêtés publiés à la Guadeloupe et en vertu de laquelle a été régulièrement ratifié et publié le traité du 10 août 1877, ont entraîné de plein droit l'application à Saint-Barthélémy du régime fiscal en vigueur à la Guadeloupe et les stipulations de l'article 3 du protocole annexé audit traité n'ont eu ni pour objet ni pour effet de conférer aux habitants de cette île un droit à être définitivement exemptés des impôts sur le revenu et sur les sociétés. A la date à laquelle est intervenu le décret du 30 mars 1948, pris en application de la loi du 19 mars 1946 ayant érigé la Guadeloupe en département français, le régime fiscal propre à Saint-Barthélémy ne comportait en droit aucun régime particulier d'exonération de l'impôt sur le revenu de nature à placer cette commune, en vertu de l'article 20 du décret précité, en dehors du champ d'application de l'article 1er du même décret qui a déclaré exécutoire à la Guadeloupe les dispositions du Code général des impôts en vigueur en France métropolitaine. Dès lors, a justifié sa décision la cour d'appel qui a déclaré coupables de fraude fiscale les prévenus, habitants de Saint-Barthélémy, pour s'être soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement des impôts sur le revenu et sur les sociétés.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Basse-Terre, 28 mai 2002

CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 1983-06-20, Bulletin criminel 1983, n° 189 (2), p. 474 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (2°). (2) A rapprocher : Chambre civile 1, 1995-12-19, Bulletin 1995, I, n° 470, p. 326 (rejet) ; Conseil d'Etat, Ass., 1990-06-29, Rec. Lebon, p. 171. En sens contraire : Chambre criminelle, 1972-06-29, Bulletin criminel 1972, n° 226, p. 591 (cassation) ; Chambre criminelle, 1976-06-30, Bulletin criminel 1976, n° 236, p. 620 (cassation) ; Chambre criminelle, 1988-05-10, Bulletin criminel 1988, n° 201, p. 521 (rejet). A comparer : Chambre criminelle, 1999-03-30, Bulletin criminel 1999, n° 60, p. 155 (rejet) ; Chambre criminelle, 1999-05-27, Bulletin criminel 1999, n° 110, p. 293 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 fév. 2004, pourvoi n°02-84472, Bull. crim. criminel 2004 N° 37 p. 150
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 37 p. 150

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Di Guardia
Rapporteur ?: M. Dulin
Avocat(s) : la SCP Roger et Sevaux, Me Foussard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:02.84472
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award