AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° T 01-03.585 et N 02-15.383 ;
Donne acte à M. Johan X... de ce qu'il s'associe aux moyens formulés par la compagnie Groupama Alsace, M. Dominique Y... et M. François Z... à l'appui du pourvoi n° T 01-03.585 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'enfant mineur Johan X..., alors qu'il séjournait en vacances chez son grand-père, M. Gilbert X... , s'étant rendu avec ce dernier dans une ferme voisine appartenant à M. Y..., y a provoqué, en enflammant accidentiellement de la paille avec un briquet qu'il y avait trouvé, un incendie qui a causé des dommages matériels à cette propriété et à une propriété voisine ; que MM. Y... et Z..., ainsi que leur assureur commun, Groupama Alsace, venant aux droits de la SAMDA, qui les avaient partiellement indemnisés, ont assigné en réparation les époux Serge et Béatrice X..., père et mère de l'enfant, M. Johan X..., devenu majeur, et leur assureur, la compagnie GPA assurances (GPA), ainsi que M. Gilbert X... et son assureur, la compagnie Assurances générales de France (AGF) ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° T 01-03.585 et les premier et deuxième moyens du pourvoi n° N 02-15.383 :
Attendu que la compagnie Groupama Alsace, MM. Z... et Y... d'une part, M. Serge X... d'autre part, font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur action dirigée contre M. Gilbert X... et la compagnie AGF, et d'avoir condamné in solidum les époux X..., M. Johan X... et la compagnie GPA à les indemniser, alors, selon le moyen :
1 ) que la référence à une décision rendue dans un litige différent de celui soumis à une juridiction, ne saurait, en toute hypothèse, servir de fondement juridique à la décision rendue dans cette dernière ;
que pour débouter M. Y..., M. Z... et la compagnie Groupama Alsace de leur action en responsabilité à l'encontre de M. Gilbert X..., la cour d'appel a relevé "qu'en sa qualité de grand-père hébergeant son petit-fls pendant quelques jours de vacances sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil (Cf. CIV. 2 , 18 septembre 1996, Bull. Civ. II, n° 217), ni sur le fondement de l'alinéa 4 du même texte dont les conditions d'application ne sont pas réunies (Cf. Civ. 2 , 20 janvier 2000, Bull. Civ. II n° 14)" ; qu'en utilisant comme seul fondement juridique de son refus de retenir la responsabilité de M. Gilbert X... des décisions rendues dans d'autres instances, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que pour débouter M. Y..., M. Z... et la compagnie Groupama Alsace de leur action en responsabilité à l'encontre de M. Gilbert X... sur le fondement de l'article 1384 du Code civil, la cour d'appel s'est bornée à considérer que M. Gilbert X..., en sa qualité de grand-père hébergeant son petit-fils pendant quelques jours de vacances, ne pouvait être responsable sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil, ni sur le fondement de l'alinéa 4 du même texte dont les conditions d'application n'étaient pas réunies ; qu'en statuant de la sorte, sans expliquer en quoi la responsabilité de M. Gilbert X... ne pouvait être retenue sur le fondement de ce texte en confrontant les circonstances de fait de l'espèce à ses conditions d'application, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1384, alinéas 1 et 4, du Code civil ;
3 ) que la cessation temporaire et pour une cause légitime de la cohabitation des parents et de l'enfant les met dans l'impossibilité d'exercer leur devoir de surveillance sur l'enfant et d'empêcher le fait dommageable ; qu'en décidant, après avoir constaté que le jeune Johan avait été confié à son grand-père qui habitait un autre département pour ses vacances, que M. Serge X... était responsable de la faute commise par l'enfant dans une propriété dans laquelle il avait accompagné son grand-père, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 4, du Code civil ;
4 ) que les personnes chargées de la surveillance d'un enfant mineur répondent de leur carence ayant causé un préjudice à autrui ; que constitue une faute le fait de laisser un enfant de 11 ans ayant une certaine autonomie évoluer dans une propriété privée appartenant à une tierce personne ; que pour écarter la responsabilité de M. Gilbert X..., la cour d'appel a retenu que celui-ci ignorait que son petit-fils était en possession d'un briquet, que ce dernier se trouvait à portée de voix de son grand-père dans une propriété ne présentant pas, en soi, de danger particulier, et que l'enfant , âgé de 11 ans, avait une certaine autonomie ; qu'en se fondant sur de tels motifs d'où il résultait que M. X... avait au contraire manqué à son devoir de surveillance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que M. Gilbert X... hébergeait son petit-fils pour quelques jours de vacances lorsque celui-ci a provoqué l'incendie et que Johan X... résidait habituellement au domicile de ses parents ; qu'il est établi que Johan X... a mis le feu accidentellement à de la paille avec un briquet qu'il avait trouvé dans la cour et qu'il avait mis en poche avant de le battre pour s'éclairer ; que les investigations des gendarmes ne s'étant pas portées sur l'origine de ce briquet, il est, en l'état du dossier, impossible de savoir à qui il avait appartenu et comment il s'était trouvé dans cette cour de ferme ; que M. Gilbert X... pourrait être personnellement tenu responsable d'une faute pour avoir laissé sans surveillance son petit-fils ; que cependant, il faut observer que Johan X..., âgé de 11 ans, avait une certaine autonomie ; qu'il évoluait dans une propriété privée dont il n'est pas établi qu'elle ait pu présenter par elle-même des dangers particuliers ; que M. Gilbert X..., qui ignorait que son petit-fils était en possession d'un briquet, et qui se trouvait avec lui dans l'exploitation agricole sans être à la vue l'un de l'autre mais à portée de voix, ne peut se voir reprocher une faute personnelle dans la surveillance de l'enfant ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, découlant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis au débat, et dont il résultait que Johan X... avait seul la garde du briquet ayant causé le dommage, la cour d'appel, par une décision motivée, a décidé, à bon droit, que le fait dommageable de ce mineur engageait, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, la responsabilité de plein droit de ses père et mère dès lors qu'il résidait habituellement avec eux et que la responsabilité de M. Gilbert X... ne pouvait être recherchée ni sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ni sur le fondement de l'article 1382 du même Code, et a pu estimer que M. Gilbert X... n'avait pas commis de faute quasidélictuelle ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi n° N 02-15.383 :
Attendu que M. Serge X... fait grief à l'arrêt d'avoir dit que M. Y... n'avait commis aucune faute et de l'avoir débouté de sa demande en partage de responsabilité, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en s'abstenant de rechercher si l'ignorance par M. Y... de l'existence du dépôt dans la cour de sa ferme d'un briquet, objet potentiellement dangereux, n'était pas imputable à sa négligence la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1383 du Code civil ;
2 ) qu'en s'abstenant de rechercher si M. Y... n'avait pas commis de faute en ne faisant pas appel aux sapeurs-pompiers dès l'instant où il avait été avisé de l'existence de l'incendie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que les investigations des gendarmes ne s'étant pas portées sur l'origine du briquet, il est impossible, en l'état du dossier, de savoir à qui il avait appartenu et comment il s'était retrouvé dans cette cour de ferme qu'il n'est même pas établi que M. Y... ait eu connaissance de ce briquet, en sorte qu'il ne peut lui être imputé aucune faute pour avoir eu l'imprudence de laisser à la portée des enfants un tel objet potentiellement dangereux ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a pu estimer que M. Y... n'avait pas commis de faute de négligence ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit en sa seconde branche et comme tel irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur les deuxième et troisième branches du second moyen du pourvoi n° T 01-03.585 et les deuxième, quatrième, sixième et septième branches du quatrième moyen du pourvoi n° N 02-15.383 :
Vu l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, ensemble les articles 1315, alinéa 2, du Code civil, L. 112-2 et L. 112-3 du Code des assurances ;
Attendu, selon le premier de ces textes, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, lesquelles sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ;
que, selon les trois derniers de ces textes, il appartient à l'assureur qui invoque à l'encontre de la victime d'un dommage et de son assuré des clauses de limitation de garantie figurant aux conditions générales du contrat de rapporter la preuve que ces dernières ont été portées à la connaissance du souscripteur lors de l'adhésion ;
Attendu que pour limiter à la somme de 1 020 000 francs la condamnation globale de la compagnie GPA à l'égard de Groupama Alsace et de MM. Y... et Z..., l'arrêt retient que la compagnie GPA ne conteste pas le principe de sa garantie mais se prévaut d'une limitation contractuelle de cette garantie ; que Mme Béatrice X... , qui a seule souscrit le 22 avril 1992 la police "Grand Toit Multirisque Habitation", n'a jamais prétendu que les conditions générales de cette police ne lui avaient pas été communiquées et lui seraient inopposables ; qu'un tel moyen ne saurait être invoqué par un tiers non subrogé dans ses droits, tel que M. Gilbert X... et les AGF, ni même par M. Serge X..., dont il n'est pas établi qu'il soit personnellement bénéficiaire de la garantie de la compagnie GPA ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté par l'assureur des époux X... que M. X..., dont l'épouse avait seule signé le formulaire des conditions personnelles du contrat, avait la qualité personnelle d'assuré, et alors qu'il incombait à la compagnie GPA, d'établir à l'égard de l'assuré et des tiers victimes qui contestaient l'opposabilité des clauses limitatives invoquées, que les conditions générales où figuraient ces clauses avaient été portées à la connaissance du souscripteur et acceptées par lui au moment de la signature du contrat, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige et inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen du pourvoi n° T 01-03.585 et sur les première, troisième et cinquième branches du quatrième moyen du pourvoi n° N 02-15.383 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en en ce qu'il a dit que la condamnation de la compagnie GPA assurances est limitée globalement à la somme principale de 1 020 000 francs, l'arrêt rendu le 22 décembre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société GPA assurances et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la compagnie Groupama Alsace, de MM. Y... et Z... ;
condamne la compagnie Groupama Alsace, MM. Y..., Z... et M. Serge X..., in solidum, à payer à M. Gilbert X... et à la compagnie AGF assurances la somme globale de 1 800 euros ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille quatre.