AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'en janvier 1997, la société Fideicomi, associée d'une SCI propriétaire d'un hôtel, a été approchée par la société Pelat en vue de l'acquisition de cet hôtel ; que les parties avaient respectivement pour avocats la société civile professionnelle Lefèvre Pelletier et associés et M. X... ; que bien que la société Fideicomi ait d'abord fait savoir à la société Pelat qu'elle était déjà en discussion avec un acquéreur, des pourparlers ont été engagés ; qu'après plusieurs propositions et contre-propositions, faites par échanges épistolaires entre avocats, les négociations ont été rompues et la société Fideicomi a conclu la vente avec un tiers acquéreur, la société Privilège ; qu'estimant que cette rupture était imputable à la société Fideicomi et que celle-ci avait feint une négociation pour temporiser la conclusion du contrat avec le tiers, la société Pelat a assigné celle-ci et la SCP d'avocats en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Pelat fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 6 juin 2001) d'avoir écarté des débats les correspondances échangées entre les avocats et communiquées par elle sous les numéros 22 à 28 alors, selon le moyen :
1 / que la cour d'appel n'aurait pas répondu au moyen selon lequel la règle "fraus omnia corrumpit" écarte l'application de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;
2 / que la confidentialité des lettres entre avocats ne produit aucun effet lorsqu'elle est invoquée pour couvrir la fraude d'une partie réalisée avec la complicité de son conseil ; que la société Pelat soutenait que son propre avocat, M. X..., avait reçu de la SCP Lefèvre, Pelletier et associés, avocat de la société Fideicomi, diverses lettres afin de prolonger artificiellement des négociations qui, dans les prévisions de la société Fideicomi et de son conseil, n'avaient aucune chance d'aboutir et que cette faute dans la négociation se trouvait adroitement occultée par la confidentialité attachée aux lettres entre avocats, ce qui caractérisait une fraude manifeste des parties adverses ; que ces manoeuvres caractérisaient également la participation de l'avocat à la fraude de son client et écartaient nécessairement la règle de la confidentialité attachée aux lettres entre avocats ; qu'en décidant pourtant de ne pas ordonner la production des lettres échangées entre avocats, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, tout aussi bien que la règle "fraus omnia corrumpit" ;
3 / qu'en ne permettant pas la production des pièces litigieuses, la cour d'appel a privé la société Pelat d'un procès équitable et a méconnu le principe de l'égalité des armes, violant ainsi l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt attaqué, répondant aux conclusions, retient a bon droit, par motifs propres et adoptés, que le principe du secret professionnel est imposé par la loi pour les échanges de correspondances entre avocats de sorte qu'en invoquant ce secret, la société Fideicomi et la SCP d'avocats ne pouvaient encourir le reproche de fraude à la loi ; qu'ensuite, la cour d'appel a décidé à bon droit que le caractère absolu de ce secret ne saurait contrevenir aux dispositions de l'article 6,1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est donc pas fondé en ses deux autres branches ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes de la société Pelat tendant à la production de pièces détenues par la société Fideicomi, en l'occurrence le contrat de vente et les courriers échangés entre cette société et le tiers acquéreur, alors, selon le moyen :
1 / qu'en refusant de faire droit à la demande de communication du contrat de vente conclu entre la société Fideicomi et le tiers acquéreur de même que les lettres ayant précédé ce contrat, au motif que cette demande concernait un tiers au litige, la cour d'appel a violé l'article 10 du code civil ;
2 / que la cour d'appel qui a refusé de faire droit à cette demande en estimant inopportune la production en justice des pièces, sans caractériser l'existence d'un motif légitime, a violé l'article 11 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'en écartant cette production, la cour d'appel a privé la société Pelat d'un procès équitable, méconnaissant le principe de l'égalité des armes et violant ainsi l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu, que c'est dans l'exercice d'un pouvoir laissé à sa discrétion que la cour d'appel, saisie d'une demande de communication de pièces par la société Pelat contre la société Fideicomi et non contre un tiers, a statué comme elle l'a fait sans violer l'article 10 du Code civil ni l'article 6,1 , de la Convention précitée ; que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé en ses deux autres ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SNC Pelat et compagnie aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille quatre.