AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué et les productions, que la société de droit danois DFC groupe (société DFC) a assigné la société de droit Coréen Korea foreign insurance company (société KFIC) en paiement du prix d'un chalutier ; que celle-ci a invoqué la nullité de la vente pour non-respect de l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer et a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier résultant de la saisie conservatoire pratiquée sur ses comptes bancaires ;
Sur le premier moyen, pris en ses sept branches :
Attendu que la société DFC reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen :
1 / que si la loi applicable en vertu de l'article 9 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la forme étant régie par l'article 9 et non par l'article 4, peut être évincée à raison des effets attachés à une loi de police, le juge ne peut faire produire effet à la loi de police qu'après s'être assuré que le rapport en cause présentait un lien étroit avec l'Etat dont cette loi émane ; qu'en s'abstenant de rechercher au cas d'espèce si, nonobstant la francisation du navire, la loi de police française présentait un lien suffisamment étroit avec une vente conclue entre une partie danoise et une partie coréenne en vue de l'achat d'un chalutier destiné à développer une industrie moderne de pêche dans les mers de la Corée, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;
2 / qu'à supposer que la loi de police française ait présenté un lien suffisamment étroit avec l'opération, de toute façon, les juges du fond ne pouvaient faire produire effet à la loi de police française sans s'expliquer non seulement sur la nature et l'objet de cette loi, mais également sur les conséquences de son application ou de sa non application ; que si les juges du fond peuvent être regardés comme s'étant expliqués sur l'objet et la nature de l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967, en revanche ils n'ont rien dit des conséquences de l'application ou de la non application de la loi de police française ; qu'à cet égard, l'arrêt est dépourvu de base légale au regard de l'article 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;
3 / que les juges du fond n'ont pas davantage recherché si la situation litigieuse présentait un lien suffisamment étroit avec l'article 230 du Code des douanes pour qu'il soit donné effet à ce texte en tant que loi de police ; qu'à cet égard, l'arrêt est dépourvu de base légale au regard de l'article 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;
4 / que les juges du fond ne se sont pas davantage expliqués sur l'objectif de l'article 230 du Code des douanes ou encore sur le point de savoir quelles pouvaient être les conséquences d'une application ou d'une non application de l'article 230 du Code des douanes en tant que loi de police et que de ce point de vue également, leur décision souffre d'un manque de base légale au regard de l'article 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;
5 / que si la société KFIC a soutenu que la vente était nulle, pour non respect de l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967, et si elle a prétendu que l'émission d'une facture, concernant un navire distinct de celui visé à l'écrit du 26 septembre 1996, ne pouvait créer d'obligations à la charge de la société KFIC, elle n'a pas allégué, en revanche, qu'aucun contrat ne s'est formé, faute d'accord des parties sur la chose, et qu'en statuant comme ils l'ont fait, sans rouvrir les débats, les juges du fond ont violé le principe du contradictoire et l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
6 / que l'écrit du 26 septembre 1996 identifiant l'objet de la vente ainsi que le prix, "je confirme la commande de KFIC pour un chalutier frigorifique CELTIC 1, conformément à vos spécifications que M. X... nous a remises, le prix accepté est de cinq millions de dollars livré" les juges du fond ne pouvaient statuer comme ils ont fait sans constater que cet écrit, eu égard à ses termes, ne pouvait être regardé comme caractérisant une vente au regard des règles du droit danois ; que faute de s'être expliqués sur ce point, les juges du fond ont entaché leur décision d'une insuffisance de motifs ;
7 / que les juges du fond ne pouvaient opposer à la société DFC le fait qu'elle n'aurait pas été propriétaire du navire, à la date de l'écrit du 26 septembre 1996, sans rechercher si, au regard des règles du droit danois, cette circonstance faisait obstacle à l'existence d'une vente ;
qu'à cet égard également, l'arrêt attaqué doit être censuré pour insuffisance de motifs ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a exactement retenu que constitue une loi de police du for au sens de l'article 7-2 de la convention de Rome du 19 juin 1980 applicable, l'article 10 de la loi française du 3 janvier 1967, qui prescrit, pour la forme des actes relatifs à la propriété des navires francisés, la rédaction d'un écrit comportant les mentions propres à l'identification des parties et du navire, dès lors que cette exigence a pour fonction le respect d'une réglementation devant assurer, pour des motifs impérieux d'intérêt général, un contrôle de sécurité de navires armés au commerce ou à la plaisance leur conférant le droit de porter le pavillon français avec les avantages qui s'y rattachent et devant donner au cocontractant toutes les informations sur l'individualisation et les caractéristiques du navire ;
qu'ayant relevé, d'un côté, que le navire litigieux était un navire francisé et qu'il serait resté français au moins dans un premier temps, et, de l'autre, que la télécopie du 26 septembre 1996 portant confirmation de la commande du navire de même qu'aucun autre acte antérieur ne comportaient les mentions obligatoires prévues par la loi du 3 janvier 1967 et l'article 230 du Code des douanes, la cour d'appel qui n'était pas tenue d'effectuer les recherches inopérantes exposées aux première, deuxième, troisième et quatrième branches dès lors qu'elles concernent les conditions d'application des lois de polices étrangères prévues par l'article 7-1 de la convention de Rome, a décidé à bon droit que l'acte était nul ;
Attendu, en second lieu, que les cinquième, sixième et septième branches qui critiquent des motifs surabondants, sont par là même inopérantes ;
D'où il suit que la cour d'appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société DFC à payer à la société KFIC la somme de 700 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt se borne à retenir qu'à la suite du différend opposant les parties, la société DFC a fait bloquer les comptes ouverts par la société KFIC auprès du Crédit Lyonnais pour un montant d'environ 12 000 000 francs et que pendant plus d'une année la société KFIC n'a pu avoir à disposition cette somme, ce qui a nécessairement nui à son activité d'assurance et de réassurance et a entraîné un préjudice financier important ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé par motifs adoptés, que par ordonnance du 17 juillet 1997, le président du tribunal de commerce avait autorisé la société DFC à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société KFIC ouverts au Crédit Lyonnais et sans caractériser l'abus commis par la société DFC dans l'exercice de cette saisie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société DFC à payer à la société Korea foreign insurance company la somme de 700 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 9 mars 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Korea foreign insurance company aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société DFC groupe ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille quatre.