AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société d'éditions Flammarion a publié, le 16 septembre 1999, un livre de M. X... intitulé "Mémoires de l'ombre, un homme dans les secrets de l'Etat", consacré en partie à François Y..., qui l'avait nommé en 1981 à la direction du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), devenu la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ; qu'estimant que ce livre portait atteinte à la mémoire de son père, Mlle Z... a fait assigner à jour fixe devant le tribunal de grande instance, par acte d'huissier de justice des 30 septembre et 1er octobre 1999, M. X... et la société Flammarion en responsabilité et indemnisation de son préjudice, en articulant 25 passages du livre ;
que pour 23 passages, la demande a été fondée sur l'article 1382 du Code civil ; que pour deux passages, numérotés 16 et 23, qualifiés de diffamation envers la mémoire des morts, la demande a été fondée sur les articles 23, 29, alinéa 1, 31, alinéa 1, et 34 de la loi du 29 juillet 1881, et, subsidiairement, sur l'article 1382 du Code civil ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mlle Z... fait grief à l'arrêt d'avoir, en confirmant partiellement le jugement déféré, rejeté sa demande relative à 23 passages fondée sur l'article 1382 du Code civil, alors, selon le moyen :
1 / qu'en limitant, en matière de presse, la portée générale de l'article 1382 du Code civil à la faute résultant d'un abus de la liberté d'expression caractérisé par une dénaturation ou une falsification des faits, par une négligence grave dans la vérification des informations traduisant un mépris pour la vérité ou une intention malveillante, ou par une atteinte aux droits fondamentaux de la personne, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2 / que certaines des allégations de Pierre X... portaient atteinte à l'honneur et à la considération de Mazarine Z... en affirmant ou en insinuant qu'elle aurait été directement et personnellement bénéficiaire "d'opérations financières douteuses" puisque ces "pratiques" auraient été "liées à l'avenir de Mazarine" (n 16) et de "manoeuvres frauduleuses", de "manipulations financières directes" puisque ces dernières auraient permis à F. Y... "d'entretenir sa seconde famille" (n° 23) ; que les premiers juges avaient d'ailleurs relevé que M. X... exprime des critiques sévères à l'encontre des "dérives" du comportement de F. Y... dans la vie publique "et de leurs prolongements envers sa proche famille" ; qu'en affirmant que l'ouvrage de M. X... n'a fait qu'exprimer son point de vue sur la personnalité et l'action du chef de l'Etat mais ne comporte aucune allégation outrageante ou méprisante à l'égard de Mlle Z... de nature à lui causer un préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
3 / que la circonstance que des personnes différentes répandent les mêmes rumeurs ne fait pas de celles-ci des informations vérifiées ; que même à s'en tenir aux deux passages précités, les juges du fond n'ont pas constaté l'existence de la moindre tentative, de la part de M. X..., de vérifier l'exactitude des révélations qu'il était censé faire, relatives à l'existence de différentes affaires ; qu'ils se sont bornés à relever que M. X... se prévalait de livres d'autres auteurs et d'attestations de deux de ces auteurs ; qu'en retenant cependant que P. X... n'avait pas commis de négligence ou d'imprudence grave ou manifeste dans la vérification de l'information, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués par le moyen, la décision, en ce qu'elle a rejeté la demande de Mlle Z..., se trouve légalement justifiée ;
Mais sur le premier moyen :
Vu les articles 34 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que, selon le second de ces textes, l'action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 de cette loi ne peut être poursuivie séparément de l'action publique ; que cette prohibition n'est pas applicable à la diffamation envers la mémoire d'un mort, ancien Président de la République, prévue par le premier ;
Attendu que pour renvoyer Mlle Z... à se mieux pourvoir sur les deux passages du livre de M. X... articulés dans l'assignation sous les n° 16 et 23, l'arrêt retient que les faits diffamatoires allégués, se rapportant à des actes de la fonction de Président de la République, relèvent de l'article 31, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 à raison de la cessation de fonction de celui-ci et de son décès ; qu'en matière de diffamation envers la mémoire d'un mort, il y a lieu de se fonder sur la qualité du défunt diffamé pour déterminer s'il y a diffamation envers une personne privée ou publique ; qu'aux termes de l'article 46 de ladite loi, l'action civile résultant du délit de diffamation des articles 30 et 31 ne peut être poursuivie séparément de l'action publique ; que l'article 31, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 est expressément visé dans l'assignation ; que Mlle Z... se trouve mal fondée à soutenir qu'elle se place sur le seul fondement de l'article 34 ; que le fait que ce dernier texte soit également visé n'est pas de nature à faire écarter la règle d'ordre public édictée par l'article 46 ;
En quoi la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a renvoyé Mlle Z... à mieux se pourvoir sur les passages articulés n° 16 et 23 de l'assignation, l'arrêt rendu le 29 juin 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Riom, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Flammarion et de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille trois.