AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique TENUE au Palais de Justice à PARIS, le deux décembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BEAUDONNET, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La SOCIETE RENAULT, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 20 novembre 2002, qui a déclaré ses demandes irrecevables après relaxe de Franco X... des chefs de contrefaçon de modèle et contrefaçon de marque ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 122-4, L. 335-2, L. 511-1, L. 511-2, L. 511-3, L. 511-5, L. 511-6, L. 513-1, L. 521-3, L. 521-4, L. 711-1, L. 712-1, L. 713-1, L. 713-2A, L. 713-2 B, L.713-3A, L. 713-3B, L. 716-1, L. 716-9, L. 716-9A, L. 716-11-1, L. 716-13, L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle, 30 et 36 du Traité CE devenus 28 et 30 du traité, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision ayant prononcé la relaxe de Franco X..., ordonné la restitution de l'intégralité des pièces saisies et déclaré, en conséquence, la constitution de partie civile de la société Renault régulière mais irrecevable ;
"aux motifs propres qu'après avoir analysé les prétentions de chacune des parties le tribunal, par une motivation précise et circonstanciée, a rappelé la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes en date du 26 septembre 2000 et le principe qui en découle, à savoir que le transit intracommunautaire qui consiste à transporter des marchandises d'un Etat membre à un autre, en traversant le territoire d'un ou de plusieurs Etats membres, n'entraîne aucune utilisation de l'apparence du modèle ou de dessin protégé et qu'ainsi il ne relève pas de l'objet spécifique du droit de propriété industrielle ou commerciale sur les dessins ou modèles, et en a déduit les conséquences de droit ; qu'il est en effet constant en l'espèce que les marchandises retenues en provenance d'Italie et à destination de la Belgique ne faisaient que transiter sur le territoire français ; qu'adoptant pour le surplus la motivation du tribunal notamment en ce qui concerne la nullité de la retenue douanière et l'application à l'espèce de l'article 472 du Code de procédure pénale, la Cour estimant que c'est à bon droit que les premiers juges ont relaxé Franco X... des fins de la poursuite, confirmera en toutes ses dispositions la décision entreprise tant sur l'action publique que sur l'action civile (arrêt p.5) ;
"et aux motifs adoptés que (...) la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé le 26 septembre 2000 qu'en mettant en oeuvre, sur le fondement du Code de la propriété intellectuelle, des procédures de retenue par les autorités douanières dirigées contre des marchandises légalement fabriquées dans un Etat membre de la Communauté européenne et destinées, après avoir transité par le territoire français, à être mises sur le marché d'un autre Etat membre, où elles peuvent être légalement commercialisées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité C.E. (devenu, après modification, article 28 CE)" ; que la société Renault soutient que cet arrêt n'est pas applicable en l'espèce car la preuve n'est pas rapportée que les marchandises saisies ont été légalement fabriquées en Italie ; qu'il résulte des motifs de l'arrêt susvisé que la Cour de justice des communautés européennes s'est fondée pour prendre sa décision sur le fait que le transit intracommunautaire, qui consiste à transporter des marchandises d'un Etat membre à un autre en traversant le territoire d'un ou de plusieurs Etats membres, n'entraîne aucune utilisation de l'apparence du modèle ou du dessin protégé et qu'ainsi il ne relève pas de l'objet spécifique du droit de propriété industrielle ou commerciale sur les dessins ou modèles ; qu'elle relève que, dans cette situation, le produit est commercialisé non pas sur le territoire français où il ne fait que transiter, mais dans un autre Etat membre où le produit n'est pas protégé et peut donc être licitement vendu ; qu'elle conclut que la fabrication et la commercialisation du produit étant licites dans les Etats membres où ces opérations se déroulent et le transit ne relevant pas de l'objet spécifique du droit sur le dessin ou modèle dans l'Etat membre où s'effectue le transit, force est de considérer que l'entrave à la libre circulation des marchandises causée par la retenue en douane du produit dans ce dernier Etat afin d'empêcher son transit n'est pas justifiée par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale ; qu'il est constant en l'espèce que les marchandises retenues, en provenance d'Italie et à destination de la Belgique, ne faisaient que transiter sur le territoire français ;
qu'il n'est par ailleurs pas contesté que la fabrication et la commercialisation de pièces de véhicule automobile, même protégées en France, sont licites dans les autres pays de la Communauté européenne ; qu'en conséquence au regard des considérants de l'arrêt en date du 26 septembre 2000 de la Cour de Justice des Communautés européennes déclarant incompatibles les retenues et poursuites effectuées par l'administration des Douanes et la société Renault sur le fondement du Code de la Propriété Intellectuelle avec une norme de droit supérieur, l'article 30 du traité de Rome, d'applicabilité directe dans l'ordre interne relative à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté, l'administration des Douanes françaises n'était pas fondée à retenir des pièces, même s'il s'agissait de copies non autorisées, dès lors qu'elles provenaient d'un Etat membre de la Communauté européenne et étaient à destination d'un autre Etat membre, Etats dans lequel elles pouvaient être légalement commercialisées et qu'elles ne faisaient que transiter sur le territoire français ; qu'il y a lieu de prononcer la nullité de la retenue douanière et des actes qui l'ont suivie, de relaxer Franco X... des fins de la poursuite et d'ordonner la restitution de l'intégralité des pièces saisies (jugement pp.10 et 11) ;
"alors, d'une part, qu'en application de l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 26 septembre 2000, seules sont contraires au droit communautaire les poursuites concernant des marchandises légalement fabriquées dans un Etat membre de la Communauté européenne et destinées, après avoir transité sur le territoire français, à être mises sur le marché d'un autre Etat membre où elles peuvent être légalement commercialisées ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations expresses du jugement confirmé que Franco X... avait reconnu que les pare-chocs avants destinés aux Renault Twingo et Renault 19 provenaient de la société Tong-Yang de Taiwan et n'avaient donc pas été fabriquées dans un Etat membre de la communauté européenne ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations ;
"alors, d'autre part, que la société Renault avait précisément fait valoir dans ses conclusions d'appel que les pièces détachées litigieuses ne pouvaient pas être légalement commercialisées en Belgique, leur pays de destination, où la commercialisation de pièces de carrosserie automobiles reproduisant les caractéristiques originales de pièces protégées sans l'autorisation du titulaire de droits est sanctionnée au titre du droit d'auteur comme un acte de contrefaçon ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait sans répondre au moyen péremptoire précité" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué que les agents de l'administration des Douanes françaises ont, le 13 février 1996, retenu à Beaune un camion transportant des pièces détachées de véhicules Renault, expédiées par la société italienne Prasco à destination de la Belgique ; qu'après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon, la société Renault, exposant que les pièces saisies reproduisaient les caractéristiques esthétiques de pièces composant trois de ses véhicules et comportaient la reproduction de ses marques, a déposé plainte avec constitution de partie civile ; qu'à l'issue de l'information, Franco X..., dirigeant de la société Prasco, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Dijon des chefs de contrefaçon de modèles et de marques ;
Attendu que, pour dire irrecevables les demandes de la partie civile, après avoir prononcé la relaxe du prévenu, les juges retiennent que les pièces saisies sont semblables aux pièces d'origine et interchangeables ; que les boucliers proviennent d'un fabricant italien, et les pare-chocs, dont certains comportent le logo Renault, de la société Tong-Yang à Taïwan ; que ces pièces, fabriquées sans le consentement de la société Renault, constituent des contrefaçons des droits d'auteur, de modèle et de marque dont est titulaire cette société ; que, cependant, au regard des considérants de l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 26 septembre 2000, l'administration des Douanes françaises n'était pas fondée à retenir ces pièces, dès lors qu'elles provenaient d'un Etat membre de la Communauté européenne et étaient à destination d'un autre Etat membre, Etats dans lesquels elles pouvaient être légalement commercialisées, et qu'elles ne faisaient que transiter sur le territoire français ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de la partie civile, qui faisait valoir que certaines pièces retenues en douanes avaient été fabriquées, sans son consentement, à Taïwan, pays tiers à la Communauté européenne, et qui ajoutait que les pièces ainsi retenues ne pouvaient être légalement commercialisées en Belgique, Etat membre dans lequel elles étaient protégées par un droit d'auteur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt précité de la cour d'appel de DIJON, en date du 20 novembre 2002, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de LYON à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge où à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Farge conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Beaudonnet conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;