AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq novembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Gilles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 22 mai 2002, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'escroquerie, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, alinéa 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme et 510 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel qui a rendu l'arrêt attaqué comprenait dans sa composition : M. Godinot, conseiller, ayant participé précédemment à un arrêt de la même Cour en date du 27 septembre 2000, dont le prévenu devait découvrir l'existence postérieurement à l'arrêt attaqué et qui, à propos des mêmes faits reprochés au prévenu, s'était prononcé sur la demande d'indemnité formée par les parties civiles contre l'expert-comptable et le commissaire aux comptes des sociétés en cause, dont l'arrêt attaqué relève que le comportement a donné aux réticences dolosives du prévenu forme et crédit permettant de les qualifier d'escroquerie ;
"alors que, dans ces circonstances, l'exigence d'impartialité a été méconnue" ;
Vu l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 510 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que ne peut faire partie de la chambre des appels correctionnels le magistrat qui, à l'occasion d'une instance civile, s'est déjà prononcé sur tout ou partie des faits qui ont justifié le renvoi du prévenu devant le juge pénal ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Gilles X..., poursuivi du chef d'escroquerie à la suite de la vente à Jean-Paul Y... des actions de la société Automobile X..., a été condamné à des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant pour l'acquéreur de manoeuvres frauduleuses caractérisées par la dissimulation d'un contrat de cession de droits incorporels et d'un transfert de charges ayant eu une incidence sur la présentation de la situation financière de l'entreprise et corroborée par l'intervention de tiers de nature à lui donner force et crédit, en l'occurrence l'établissement des comptes par un expert-comptable et leur certification par un commissaire aux comptes ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites par le demandeur que l'un des magistrats qui avait siégé à la chambre des appels correctionnels avait préalablement participé à l'arrêt de la chambre civile de la cour d'appel, en date du 27 septembre 2000, qui, saisie d'une action en responsabilité dirigée contre ces professionnels à raison des dommages causés par leur négligence ayant consisté à n'avoir pas révélé l'existence du contrat de cession et, en ce qui concerne le transfert anormal des charges, à n'avoir pas surveillé la régularité et la sincérité des comptes, a constaté l'existence des anomalies dénoncées et jugé qu'en ne les signalant pas, l'expert-comptable et le commissaire aux comptes avaient commis une faute, les comptes de fin d'année n'ayant pas donné une image fidèle de la réalité de l'entreprise ;
Mais attendu qu'en cet état, alors que le même magistrat ne pouvait, sans méconnaître l'exigence d'impartialité, siéger au sein de la chambre correctionnelle appelée à prononcer sur les mêmes faits, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Reims, en date du 22 mai 2002 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mme Nocquet conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Samuel, Chaumont conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;