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03/07/2003 | FRANCE | N°00-15468

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 03 juillet 2003, 00-15468


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort (tribunal d'instance de Lorient, 3 février 2000), que M. X..., comédien metteur en scène, a été recruté en qualité d'intervenant extérieur afin d'animer une activité de théâtre dans une école élémentaire de Kervignac ; que le 8 octobre 1998, à l'occasion d'une réunion entre professeurs et parents d'élèves de la classe de CM2 tenue dans l'enceinte de l'école pour faire notam

ment le bilan de cette activité, Mme Y... a imputé à M. X... des attouchements sur une...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort (tribunal d'instance de Lorient, 3 février 2000), que M. X..., comédien metteur en scène, a été recruté en qualité d'intervenant extérieur afin d'animer une activité de théâtre dans une école élémentaire de Kervignac ; que le 8 octobre 1998, à l'occasion d'une réunion entre professeurs et parents d'élèves de la classe de CM2 tenue dans l'enceinte de l'école pour faire notamment le bilan de cette activité, Mme Y... a imputé à M. X... des attouchements sur une élève nommément désignée ; que s'estimant diffamé, M. X... a fait assigner Mme Y... devant le tribunal d'instance en réparation de son préjudice, sur le fondement des articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que Mme Y... fait grief au jugement d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le moyen, que :

1 ) le fait de tenir des propos qualifiés diffamatoires devant les seuls membres d'un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts ne constitue pas une diffamation publique au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ; que les parents d'élèves d'une même classe, réunis avec l'institutrice dans un local de l'école pour discuter du programme de l'année, constituent un groupement de cette nature ; qu'en estimant le contraire pour conclure au caractère public des propos tenus par Mme Y..., le Tribunal a violé les articles 23 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du Code civil ;

2 ) l'élément de publicité n'est caractérisé que si les propos ont été tenus devant une ou plusieurs personnes étrangères au groupement lié par une communauté d'intérêts ; qu'en relevant que les propos de Mme Y... avaient été entendus par la dizaine de participants à la réunion de parents d'élèves, sans constater qu'une personne étrangère aurait assisté à la réunion et entendu les propos, le Tribunal a, à nouveau, violé les articles 23 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du Code civil ;

3 ) le terme "attouchement" employé, selon le Tribunal, par Mme Y..., à propos de M. X..., animateur chargé d'une activité scolaire de théâtre, n'était que la présentation plus prudente et plus nuancée des déclarations de la mineure concernée, Sarah Z..., qui avait indiqué devant les enquêteurs que l'intéressé lui avait mis "une main sur les fesses" et lui avait "caressé les fesses" ; qu'en refusant néanmoins à Mme Y... le bénéfice de la bonne foi, le Tribunal a violé les articles 29, alinéa 1, 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 ainsi que l'article 1382 du Code civil ;

4 ) le caractère affirmatif de l'imputation n'était pas excessif, dès lors que les faits avaient été affirmés de façon crédible par la mineure concernée devant l'institutrice et la directrice d'école, puis réitérés devant les enquêteurs, et qu'ils avaient été confirmés par Clotilde Y..., témoin ayant assisté à la scène; qu'en excluant néanmoins toute bonne foi de Mme Y..., le Tribunal a violé les articles 29, alinéa 1, et 31, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, ainsi que 1382 du Code civil ;

5 ) la sanction de l'exercice de la liberté d'expression d'une mère d'élève, s'exprimant au cours d'une réunion de parents d'élèves, n'est ni nécessaire dans une société démocratique ni proportionnée au but poursuivi pour garantir la protection de la réputation ou les droits d'autrui, lorsqu'il s'agit pour l'intéressée de signaler des faits d'attouchement commis par un pédagogue sur une jeune élève et dénoncés par cette dernière ; qu'il s'ensuit que l'ingérence dans la liberté d'expression de Mme Y..., que constitue la sanction prononcée par la décision attaquée, ne correspond pas à un besoin social assez impérieux pour primer la liberté d'expression justifiée, en l'espèce, par la nécessaire protection des mineurs et le droit au respect de la vie familiale ; que, dès lors, la cour d'appel a violé les articles 10, alinéa 2, et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, sur les deux premières branches, que le jugement retient qu'il n'est ni allégué ni justifié que la réunion entre enseignants et parents d'élèves se soit tenue dans un bureau particulier de l'établissement, que l'école publique est un lieu public par destination, que le fait d'avoir un enfant en classe de CM2 ne suffit pas à caractériser une communauté d'intérêts ; que de ces constatations et énonciations, le Tribunal a déduit à bon droit que la réunion avait un caractère public ;

Attendu, sur les troisième et quatrième branches, que le jugement retient qu'en ce qui concerne la preuve de la bonne foi de Mme Y..., si ni la sincérité ni la légitimité du but poursuivi par l'intéressée ne peuvent être mises en doute, s'agissant pour elle d'expliquer les raisons pour lesquelles elle ne souhaitait pas que sa fille bien qu'elle n'ait pas été victime, participe à nouveau à l'activité de théâtre, et le souci de protéger les enfants de comportements tels que celui dénoncé correspondant à un but légitime, il reste que Mme Y... ne justifie pas avoir fait preuve de la prudence nécessaire à toute information, même grave, dès lors que les attestations produites quant à la réunion du 8 octobre 1998 révèlent que Mme Y... a imputé à M. X..., de façon affirmative, des attouchements, terme particulièrement connoté et lourd de sens ;

Attendu que de ces constatations et énonciations, le Tribunal a pu déduire que l'absence de précaution dans les termes employés et de prudence dans la présentation des faits ne permettait pas de retenir la bonne foi de Mme Y... ;

D'où il suit que le moyen, nouveau, mélangé de fait et de droit et comme tel irrecevable en sa cinquième branche, est pour le surplus mal fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mme Y... à payer à M. X... la somme de 2 200 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille trois.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 00-15468
Date de la décision : 03/07/2003
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Publicité - Eléments constitutifs - Réunion entre parents et professeurs constituant une communauté d'intérêts (non).

1° Ayant relevé qu'une réunion entre parents d'élèves et professeurs s'était tenue dans l'enceinte d'une école, qu'il n'était ni allégué ni justifié qu'elle se fût tenue dans un bureau particulier de l'établissement, que l'école publique est un lieu public par destination et que le fait d'avoir un enfant scolarisé ne suffisait pas à caractériser une communauté d'intérêts, un tribunal en déduit à bon droit que la réunion avait un caractère public.

2° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Bonne foi - Exclusion - Cas - Absence de précaution dans les termes employés et de prudence dans la présentation des faits.

2° L'absence de précaution dans les termes employés et de prudence dans la présentation des faits ne permettent pas de retenir la bonne foi.


Références :

Décision attaquée : Tribunal d'instance de Lorient, 03 février 2000

A RAPPROCHER : (1°). Chambre civile 2, 2002-01-24, Bulletin 2002, II, n° 2, p. 1 (cassation), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 03 jui. 2003, pourvoi n°00-15468, Bull. civ. 2003 II N° 228 p. 189
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2003 II N° 228 p. 189

Composition du Tribunal
Président : M. Ancel.
Avocat général : M. Domingo.
Rapporteur ?: M. Guerder.
Avocat(s) : la SCP Waquet, Farge et Hazan, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:00.15468
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