AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'une information a été ouverte en 1990 par le Parquet de Paris contre les responsables de la société Basco Landaise de change (la société) et diverses autres personnes, des chefs de recel et blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants ; que, dans le cadre de cette information, l'ensemble des comptes, avoirs ou valeurs de la société ainsi que tous les dépôts clients ont été placés sous scellés le 15 mai 1991 ; que, par jugement du 13 septembre 1991, un administrateur provisoire a été désigné ; que M. X..., gérant de la société, placé en détention provisoire le 20 mai 1991 et remis en liberté le 14 mai 1992, a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu ; que les scellés ont été restitués à la société par arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 juin 1997 ; que la société, ayant saisi le tribunal de grande instance de Bayonne d'une demande d'indemnisation à l'encontre de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, en réparation d'une faute lourde constituée par le fonctionnement défectueux du service de la justice, cette juridiction l'en a déboutée par jugement du 12 avril 1999 ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action, alors, selon le moyen :
1 / que constitue une faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, au sens de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission ; que pour débouter la société Basco Landaise de change de sa demande de réparation du préjudice que lui a causé le fonctionnement défectueux du service public de la justice, l'arrêt énonce que la faute lourde du magistrat susceptible d'entraîner la responsabilité de l'Etat s'entend de la faute commise par un juge, sous l'influence d'une erreur grossière incompatible avec la conscience normale de ses devoirs ou de la mauvaise foi, l'animosité personnelle ou l'intention de nuire ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2 / qu'en se bornant à examiner si chacun des griefs formulés par la société Basco Landaise de change au titre d'un fonctionnement défectueux des services de justice, pris isolément, pouvait caractériser une faute lourde personnelle du magistrat instructeur sans rechercher si ces griefs, pris dans leur ensemble, ne caractérisaient pas une déficience objective du service public de la justice à remplir sa mission, susceptible de fonder une responsabilité de l'Etat pour faute lourde quand bien même la société aurait focalisé ses griefs sur le comportement des juges d'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
3 / que l'absence d'exercice d'une voie de recours par celui qui allègue un fonctionnement défectueux du service de la justice ne saurait constituer un critère d'appréciation ou d'exclusion de la faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à ce titre ; qu'en relevant que ni la désignation d'un administrateur judiciaire ni l'omission prétendue de statuer sur la restitution des scellés à l'occasion de l'ordonnance de non-lieu n'avaient fait l'objet d'un recours pour rejeter toute faute lourde en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
4 / que l'article 177 du Code de procédure pénale fait obligation au juge d'instruction qui ordonne le non-lieu de statuer, dans la même ordonnance, sur la restitution des objets placés sous main de justice, laquelle ne peut être refusée, aux termes de ce texte, que si elle présente un danger pour les personnes et les biens ; qu'en retenant que l'absence de mention sur la restitution des scellés s'analyse en un rejet implicite et que le maintien des scellés à la disposition de la justice, alors que le juge d'instruction était saisi "in rem" et certains mis en cause renvoyés devant le Tribunal, se justifiait dans la mesure où ces objets pouvaient être confisqués par le Tribunal, motif de non-restitution non visé par l'article 177 du Code de procédure pénale seul applicable, la cour d'appel a violé le texte précité ;
Mais attendu, d'une part, que le seul énoncé d'une interprétation abandonnée de la loi ne suffit pas à caractériser une violation de celle-ci, dès lors qu'il n'en a pas été fait une application erronée ;
Attendu, de deuxième part, que le fait, pour la cour d'appel, d'avoir procédé à un examen de chacune des fautes prétendument commises et non à leur appréciation d'ensemble ne saurait davantage constituer une irrégularité de nature à entraîner la cassation de sa décision, dès lors qu'il ressort de ses constatations que ces griefs sont inexistants ou anodins, de sorte que leur réunion ne pouvait constituer une faute lourde ;
Attendu, enfin, que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne pouvant être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué, c'est à bon droit que la cour d'appel, constatant que ni la désignation d'un administrateur judiciaire, ni l'omission prétendue du juge d'instruction portant sur la restitution des scellés n'avaient fait l'objet des recours prévus par la loi, en a déduit qu'une faute lourde du service de la justice n'était pas caractérisée, peu important le motif surabondant critiqué par la dernière branche du moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 559 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour condamner la société à une amende pour appel abusif, la cour d'appel énonce que le premier juge avait clairement explicité les motifs du refus de restitution des scellés par le juge d'instruction ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette considération, à la supposer justifiée, ne portait que sur l'un des moyens invoqués par la société à l'appui de son appel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société appelante à payer une amende pour appel abusif, l'arrêt rendu le 10 janvier 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare non abusif l'appel de la société Basco Landaise de change ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de l'agent judiciaire du Trésor ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille trois.