AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 30, 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que l'interdiction d'exercer l'action civile séparément de l'action publique, édictée par le dernier de ces textes, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par les articles 30 et 31 de ladite loi et notamment les citoyens chargés d'un service public ;
qu'une telle qualité est reconnue à celui qui accomplit une mission d'intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société des éditions Albin Michel a publié, le 26 mars 1998, un livre de M. X... intitulé "La mafia des tribunaux de commerce" mettant en cause, au chapitre 4, M. Y..., mandataire liquidateur à Saint-Brieuc, en raison de malversations commises dans plusieurs affaires ; que s'estimant diffamé, M. Y... a fait assigner, par acte d'huissier de justice du 13 mai 1998, M. X... et la société éditrice, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 ; que les défendeurs ont invoqué l'irrecevabilité de la demande, en application de l'article 46 de la loi du 29 juillet 1881, et subsidiairement la nullité de l'assignation, en application de l'article 53 de ladite loi ;
Attendu que pour déclarer l'action irrecevable devant la juridiction civile, l'arrêt retient que le critère permettant de distinguer un citoyen chargé d'un service public, au sens de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881, est la parcelle d'autorité publique dont il est ou non investi ;
que le mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises tient de la loi du 25 janvier 1985 des pouvoirs de décision consistant notamment à établir la liste des créanciers déclarés avec ses propositions d'admission ou de rejet, engager des actions en nullité, saisir le Tribunal de poursuites à l'encontre des dirigeants des entreprises en liquidation ; que ces pouvoirs s'exercent dans le cadre d'une procédure collective dont il est l'un des organes, mandaté à cet effet par le Tribunal ; que si en dernier lieu la décision incombe au juge commissaire ou au Tribunal, il détient le pouvoir de prendre des décisions qui sont le préalable nécessaire aux décisions juridictionnelles ; qu'il s'agit là d'une portion de l'autorité publique faisant de lui un citoyen chargé d'un service public, au sens de l'article 31 précité ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ne disposent d'aucune prérogative de puissance publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 juin 2000, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne M. X... et la société Editions Albin Michel aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes respectives de M. Y..., d'une part, de M. X... et de la société Editions Albin Michel, d'autre part ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille trois.