AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :
Attendu que Jean-Claude X..., employé par la société Holophane, fabricant d'optiques pour phares de voitures automobiles, de 1949 à 1956 et de 1960 à 1992, a été atteint d'un cancer bronchique qui a été reconnu comme maladie professionnelle du tableau n° 30 à compter du 2 février 1994 ; qu'il est décédé des suites de cette maladie le 17 novembre 1994 ; que sa veuve a saisi la juridiction de sécurité sociale d'une demande d'indemnisation supplémentaire pour faute inexcusable de l'employeur ; que l'arrêt attaqué (Rouen, 24 octobre 2000) a accueilli sa demande ;
Attendu que la société Holophane fait grief à la cour d'appel d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :
1 / que la société Holophane ne pouvait être condamnée comme auteur d'une faute inexcusable pour une action insuffisante à partir de 1950 et méconnaissance d'une réglementation qui ne lui était pas applicable puisqu'elle concernait les établissements où la fabrication expose le personnel à l'action des poussières d'amiante ; que ni le tableau 30 des maladies professionnelles qui vise les travaux d'extraction, de manipulation ou de traitement de l'amiante, ni le décret n° 77-669 du 17 août 1977 applicable aux locaux où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre, et non de fibres, n'étaient applicables à la société, qui fabrique des optiques de phares, dans la composition desquelles l'amiante n'intervient à aucun titre ; que le seul fait que des outils de travail, soit manches protecteurs ou des palettes de réception, aient été recouverts d'amiante ne pouvait justifier la condamnation de la société Holophane sur le seul fondement du décret du 6 juillet 1913, du décret du 30 août 1950 inscrivant l'asbestose pour inhalation de poussières d'amiante au tableau n° 30 et du décret n° 77-949 du 17 août 1977, ce qui traduit une violation conjointe de ces textes et des articles L.452-1, L.452-2 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale ;
2 / subsidiairement, que l'arrêt, qui ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations, ne caractérise pas la faute inexcusable, impliquant notamment omission volontaire et conscience du danger, qu'aurait commise la société Holophane, dans la mesure où il admet lui-même que -bien que les travaux qu'elle effectuait n'étaient pas créateurs de poussière- cette société a travaillé dès 1976, c'est-à-dire avant l'intervention du décret du 17 août 1977, à la neutralisation des effets éventuels de l'amiante avec le concours du médecin du Travail et, progressivement, mis en oeuvre des procédés d'aspiration, de travail avec masque, de substitution de plaques de céramique aux plaques d'amiante, en fonction de l'évolution des connaissances et de la mise au point de nouveaux matériaux ; que la gravité de la faute ne peut de surcroît être déduite de l'importance de ses conséquences, ces deux données étant juridiquement totalement distinctes (manque de base légale au regard des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale) ;
3 / que l'arrêt est entaché d'un défaut de réponse à conclusions dans la mesure où il n'examine pas l'argumentation de la société tirée, pièces justificatives à l'appui, de ce qu'elle avait à son service un médecin du travail dont les rapports répétitifs établissent le sérieux des mesures prises dès 1975 pour protéger le personnel d'éventuels risques liés à l'amiante ; que le rapport 1976 rappelle que les appareils d'aspiration efficaces ont été mis en place et qu'une étude a été réalisée avec le concours des ingénieurs de la Caisse de sécurité sociale auxquels il a été demandé de pratiquer des mesures de particules d'amiante ; que le rapport 1977 fait apparaître la même recherche de sécurité, avec prises de contact avec l'ingénieur de la caisse régionale d'assurance maladie, avec la direction, les ingénieurs et les responsables de la sécurité de l'usine, ainsi qu'avec l'Inspection du Travail, ce même rapport faisant état de 18 examens de dépistage impliquant l'existence de contrôles ; que toutes ces mesures antérieures à la publication du décret du 18 août 1977 étaient à elles seules exclusives de la notion de faute inexcusable ; qu'après cette date, un rapport établi par l'APAVE, requis à l'occasion de la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du 3 octobre 1980, fait état de résultats nettement inférieurs aux maxima admissibles ; qu'en 1984, un appareil aspirateur a été mis en place pour l'utilisation de l'amiante ; qu'en 1987 un capotage a été à son tour mis en place, tandis que des plaques prédécoupées étaient livrées et qu'une surveillance en service spécialisé était organisée avec le concours du CHU de Rouen ; qu'en 1988, une fibre céramique, produit de substitution, a été mise en place, un rapport du CHSCT faisant apparaître que "les fibres d'amiante sont en quantité tolérable et au-dessous des normes autorisées" ; que des rapports du CHSCT des 27 mars 1990 et 23 juin 1992 confirment le fonctionnement des explorations fonctionnelles respiratoires au CHU de Rouen ; que l'arrêt ne pouvait négliger ces données essentielles établissant qu'avant 1977 et depuis cette date l'entreprise, bien qu'elle n'utilise pas l'amiante dans ses fabrications, n'a cessé de se préoccuper de l'éventuel danger présenté par les simples outils dont la nature commandait l'emploi par son personnel (défaut de réponse à conclusions, articles 455 et 458 du nouveau Code procédure civile) ;
4 / que l'arrêt ne caractérise nullement la conscience du danger que devait avoir l'entreprise non spécialiste de l'amiante, dans la mesure où aucun texte ne lui imposait, avant la publication du décret n° 77-949 du 17 août 1977, et même après la publication de ce décret, des mesures spécifiques de protection pour simple utilisation d'une palette d'amiante et dépose de pièces de verre sur plaques d'amiante, l'utilisation de ce matériau, communément employé, n'ayant été interdite qu'à compter du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996, assorti de surcroît de divers aménagements (violation des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, 1 et suivants des décrets des 17 août 1977 et 24 décembre 1996) ;
5 / que rien ne justifie, surabondamment, une majoration au taux maximal de la rente servie, le fait que les conséquences des omissions critiquées aient été importantes ne pouvant en soi caractériser l'exceptionnelle gravité de la faute, la faute et le dommage étant deux notions totalement et juridiquement distinctes (violation des articles L.452-1, L.452-2 et suivants du Code de la sécurité sociale) ;
Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait, d'une part, que la société avait conscience du danger lié à l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel, qui n'encourt aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Holophane avait commis une faute inexcusable ;
Et attendu que, dès lors qu'elle a retenu l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, c'est à bon droit que la cour d'appel a fixé au maximum la majoration de la rente versée à Mme X... ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Holophane aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille trois.