AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept novembre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de Me FOUSSARD et de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL D'AMIENS,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 29 novembre 2001, qui a relaxé Jean-François X... et Roland Y... des chefs de prise illégale d'intérêts et complicité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 432-12 du Code pénal ;
Vu ledit article ;
Attendu que, selon ce texte, le délit de prise illégale d'intérêts est constitué, notamment, par le fait, pour une personne investie d'un mandat électif public, de prendre directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou en partie, la charge d'assurer la surveillance ou l'administration ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-François X..., président du conseil général de l'Oise, a, de juillet 1994 à mai 1998, ordonnancé les dépenses de communication du département, la dernière année pour un montant de 18 millions de francs, au profit de la société EURO 2C, dirigée par Roland Y..., attributaire du marché depuis 1988 ; que, dans le même temps, cette société a apporté son soutien financier à la société Séduire, ayant pour objet la vente de produits de parfumerie, dont elle possède 26% du capital et dont Jean-François X... est lui-même actionnaire ; que, notamment, des avances ont été consenties, à plusieurs reprises, à la société Séduire, les dernières, en 1995, pour un montant de 670.000 francs ; qu'à la suite d'une opération de restructuration du capital de cette société, le 17 novembre 1997, en vue de résorber son déficit d'exploitation, toutes ses créances ont été transférées à la société Alizes Holding, chargée du marketing des magasins de parfumerie, dont Jean-François X... est l'administrateur et détient 36% du capital ;
Attendu que, pour relaxer Jean-François X... du chef de prise illégale d'intérêts et Roland Y... du chef de complicité, les juges d'appel relèvent, notamment, que les sociétés Séduire et Alizes, dans lesquelles Jean-François X... détient une participation, n'ont aucun rapport direct ou indirect avec le conseil général de l'Oise et que le prévenu "ne peut avoir pris, reçu ou conservé indirectement un intérêt quelconque dans la société EURO 2C puisqu'il n'avait aucun lien direct avec elle" ;
Qu'ils énoncent que "si, à la limite, le soutien financier de la société EURO 2C envers la société Séduire, s'analyse comme un avantage indirect pour Jean-François X..., cette réalité ne correspond pas à l'interprétation stricte de la prise illégale d'intérêts où il est exigé que les avantages aient été pris dans l'entreprise, ce qui n'est pas le cas en l'espèce" ;
Qu'ils ajoutent que le prévenu avait sollicité ses avocats afin qu'ils lui indiquent si sa situation personnelle pouvait poser une difficulté et que l'étude de la jurisprudence avait conduit à ne trouver aucune décision de condamnation dans une situation analogue à la sienne ;
Que les juges en déduisent que les éléments constitutifs de la prise illégale d'intérêts ne sont pas réunis à l'encontre de Jean-François X... et que la complicité de cette infraction ne peut être reprochée à Roland Branquard ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, d'une part, il résulte de ses propres constatations que Jean-François X..., ordonnateur des dépenses de communication du département de l'Oise payées à la société EURO 2C, avait pris un intérêt indirect dans l'opération dont il avait la charge d'assurer la surveillance, en raison de l'important soutien financier accordé par la société EURO 2C aux sociétés Séduire et Alizes Holding dont l'intéressé est actionnaire et administrateur, que, d'autre part, l'intention coupable est caractérisée du seul fait que l'auteur a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d' appel d'Amiens, en date du 29 novembre 2001, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;