AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 février 2001), que la société civile immobilière Ternes Guersant (la SCI) a fait signifier pour le 31 décembre 1992 un congé sans offre d'indemnité d'éviction à la société Degi, preneur à bail de locaux à usage commercial de vins, café, restaurant et l'a assignée en paiement d'une indemnité d'occupation ;
que, par acte du 15 novembre 1995, la SCI a informé la société locataire de ce qu'elle entendait exercer son droit de repentir et a offert à cette dernière le renouvellement du bail pour une période de neuf ans à compter du même jour moyennant un loyer annuel principal déplafonné ;
Attendu que la société Degi fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnité d'occupation due par elle pour la période située entre le 1er janvier 1993 et le 15 novembre 1995 à la somme annuelle en principal de 268 821 francs, alors, selon le moyen :
1 / qu'en s'abstenant de rechercher si l'assignation en fixation de l'indemnité d'occupation avait été remise au secrétariat-greffe
-seul acte de nature à saisir le tribunal en temps utile- avant l'expiration du délai de prescription biennale, ce qu'elle devait faire d'office, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 53, 750, 755 et 757 du nouveau Code de procédure civile, 2244 du Code civil et 33 du décret du 30 septembre 1953 (article L 145-60 du Code de commerce) ;
2 / que le locataire n'a pas à subir un préjudice du fait du changement d'avis du bailleur qui exerce son droit de repentir ; qu'en conséquence, il doit être considéré rétroactivement comme ayant toujours été locataire, et non simple occupant, ce dont il résulte que, sauf à porter une atteinte disproportionnée à son patrimoine, l'indemnité d'occupation due entre la date d'expiration du bail et l'exercice du droit de repentir doit être soumise à la règle du plafonnement ; qu'en décidant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé les articles 20, 23-6 et 31 du décret du 30 septembre 1953 (articles L 145-28, L 145-34 et L 145-57 du Code de commerce), ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que l'assignation signifiée le 26 décembre 1994 avait valablement interrompu la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce à laquelle est soumise l'action en fixation de l'indemnité d'occupation dès lors que le point de départ de ce délai de prescription se situait à la date d'expiration du bail soit le 31 décembre 1992, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a fait une exacte application des dispositions de l'article 2244 du Code civil ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a, à bon droit, retenu que l'indemnité d'occupation due entre la date d'expiration du bail et l'exercice du droit de repentir était soumise à l'article 20 du décret du 30 septembre 1953, devenu l'article L. 145-28 du Code de commerce, et que cette indemnité devait en conséquence être fixée à la valeur locative ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 23-1 du décret du 30 septembre 1953 et 23-6 du même décret, devenu l'article L 145-34 du Code de commerce ;
Attendu qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1er à 4e de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction publiée par l'Institut national de la statistique et des études économiques intervenue depuis la fixation initiale du bail expiré ;
Attendu que, pour décider qu'il y a lieu à déplafonnement du loyer, l'arrêt retient qu'ont été annexés aux locaux loués la loge de la concierge de l'immeuble en copropriété et la cuisine de cette loge, le tout ayant été intégré à la cuisine du restaurant par suppression du mur séparatif, et que cette annexion durable constitue une modification notable de la configuration des locaux ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'assemblée des copropriétaires avait décidé de concéder la jouissance de la loge et de la cuisine attenante à la société locataire, d'où il résultait que l'assiette du bail n'avait pas été modifiée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à 263 550 francs en principal et par an à compter du 15 novembre 1995 le loyer du bail renouvelé, l'arrêt rendu le 7 février 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la SCI Ternes Guersant aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Degi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille deux.