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29/10/2002 | FRANCE | N°01-87374

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 octobre 2002, 01-87374


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf octobre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller LE CORROLLER, les observations de Me ODENT, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Jacques,

contre l'arrêt de la co

ur d'appel de PARIS, 20 ème chambre, en date du 14 septembre 2001, qui, pour homicide i...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf octobre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller LE CORROLLER, les observations de Me ODENT, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Jacques,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 20 ème chambre, en date du 14 septembre 2001, qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 300 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires ampliatif, additionnel et en défense produits, ainsi que la note en délibéré de l'avocat du demandeur ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 486, 591, 592 du Code de procédure pénale, vice de forme, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué mentionne qu'à l'issue de l'audience des débats publics du 8 juin 2001, le président a "déclaré que l'arrêt serait prononcé le 14 septembre 2001 et, audit jour, le dispositif a été lu par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré conformément aux dispositions de l'article 485 du Code de procédure pénale" ;

"alors que, si l'article 485, alinéa 3, du Code de procédure pénale autorise la lecture de la décision par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré, c'est à la condition que le nom de ce magistrat soit mentionné dans l'arrêt, comme l'exige l'article 486 du même Code ; qu'en se bornant à mentionner que l'arrêt avait été "lu par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré conformément aux dispositions de l'article 485 du Code de procédure pénale", sans mentionner le nom de ce magistrat, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de vérifier la régularité de la composition de la juridiction ayant rendu la décision" ;

Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les mêmes magistrats ont participé aux débats et au délibéré et que l'arrêt a été lu par l'un d'eux, en application de l'article 485 du Code de procédure pénale ;

Que, dès lors, le moyen manque en fait ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi n 2000-647 du 10 juillet 2000, 112-1, 221-6 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le docteur X... coupable d'homicide involontaire et l'a condamné pénalement et civilement ;

"aux motifs que "la preuve est ainsi rapportée de fautes d'imprudence et de négligence imputables au docteur X..., qui n'a pas, dans l'intervention dont Madeleine Y... a été victime, accompli les diligences médicales normales compte tenu de la nature de sa mission, de ses fonctions et de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; que ces fautes, consistant en une sous-évaluation du risque lié à l'intervention et en une conduite insuffisamment rigoureuse de la décision et du processus opératoire, ont directement causé la mort de Madeleine Y... ; qu'il convient, infirmant la décision frappée d'appel, de déclarer le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés" ;

"alors que les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; qu'aux termes de la loi n 2000-647 du 10 juillet 2000 "les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer" ; que la nouvelle loi qui contient des dispositions plus favorables au prévenu s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur ; que doit être annulée en conséquence la décision qui, pour déclarer un médecin coupable d'homicide involontaire, lui reproche des fautes ayant entraîné la réalisation du dommage, sans avoir procédé à un examen de l'affaire au regard des dispositions plus favorables de la nouvelle loi" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6, 221-8 et 221-10 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi n 2000-647 du 10 juillet 2000, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jacques X... coupable d'homicide involontaire et l'a condamné pénalement et civilement ;

"aux motifs que chargés par le juge d'instruction de dire ensuite si ces erreurs constituent des fautes médicales et si elles ont, par un lien de causalité directe, entraîné le décès de Madeleine Y..., les experts concluent "que dans la mesure où il s'agissait, pour Madeleine Y..., d'une chirurgie à visée purement esthétique, l'évaluation du risque que comporte une telle intervention doit être effectuée de manière particulièrement minutieuse afin que la patiente soit pleinement consciente du risque avant d'accepter une telle intervention ; qu' il ressort de l'examen des pièces du dossier médical et des dires des différents intervenants que le risque thromboembolique que pouvait présenter Madeleine Y... a probablement été sous-évalué ; que la prévention a été conduite de façon standard comme s'il s'agissait d'une maladie à risque faible, alors que ses antécédents et l'intervention projetée impliquaient une discussion plus approfondie sur l'opportunité d'une intervention aussi longue et la conduite d'une prophylaxie thromboembolique plus appropriée" ; que le rapport d'expertise indique aussi clairement que l'état de santé de Madeleine Y... nécessitait une confrontation "minutieuse" des appréciations médicales de chacun des trois spécialistes concernés par l'intervention, ainsi qu'un protocole préventif plus approprié ; que les experts en déduisent que si cette confrontation avait été menée, elle aurait été de nature à modifier la stratégie opératoire et aurait permis de rechercher, en accord avec la cliente, une meilleure façon de procéder aux interventions souhaitées pour en minimiser les risques ; que, contrairement aux affirmations du docteur X..., cette discussion n'a pas eu lieu, puisque l'avis du cardiologue a été uniquement mentionné par écrit dans le dossier de Madeleine Y... et que le chirurgien et l'anesthésiste ont, selon les propres indications du docteur X..., examiné ensemble le cas de la cliente seulement le matin même de l'opération, soit quelques minutes avant qu'elle ne débute, à un moment où toutes les dispositions d'organisation et de réservation du bloc opératoire et des personnels nécessaires avaient été prises ; qu'il résulte également de cette chronologie qu'au moment où la nature, l'étendue et les conditions de l'intervention chirurgicale ont été arrêtées, soit plusieurs semaines avant la date de l'opération, le docteur X... ne disposait pas de l'avis du cardiologue sur les risques particuliers liés à l'opération, ce spécialiste n'ayant examiné Madeleine Y... pour une seule et unique consultation que la veille de l'intervention ; que les antécédents de Madeleine Y... (double prothèse des hanches, stripping veineux bilatéral des jambes) et leurs conséquences sur l'état de santé de sa cliente étaient connus du docteur X... aussi bien par les indications fournies par la patiente elle-même que, s'agissant de l'état veineux des membres

inférieurs, par leur aspect manifeste, ainsi qu'il résulte du témoignage non contesté de Mme Z... ; que dans ces conditions, l'avis du cardiologue représentait un aspect essentiel de la décision à prendre sur l'acte chirurgical envisagé, alors que les risques de thrombose consécutive à une liposuccion des membres inférieurs font partie des complications déjà connues de ce type d'intervention à la date où elle a été pratiquée sur Madeleine Y... ; qu'il s'ensuit que le docteur X... n'est pas fondé, comme il l'a fait au cours de l'instruction et des débats, à s'en remettre à la volonté fermement arrêtée de Madeleine Y... de le voir pratiquer, malgré les risques dont il dit l'avoir avisée, les actes de chirurgie esthétique qu'elle désirait, alors qu'il ne disposait pas lui-même à cette époque des indications médicales, nécessaires à une décision entièrement éclairée ; que, par ailleurs, les restrictions contenues dans le rapport d' expertise, dont le docteur X... se prévaut, n'en modifient pas les conclusions générales ; que l'indication des experts selon laquelle "la prestation individuelle de chacun des praticiens n'appelle pas de critique particulière" ne contredit pas la constatation des fautes reprochées au docteur X... ; que, dès lors, en effet, qu'il est médicalement constaté que la faute essentielle et déterminante à la fois dans la décision d'intervention et dans la conduite d'ensemble du processus opératoire consiste en un manque de confrontation des points de vue des divers spécialistes concernés par l'acte, l'absence de mise en commun des données recueillies séparément par chacun des spécialistes intervenus auprès de Madeleine Y... est d'autant plus fautive qu'une analyse contradictoire aurait permis de mettre en évidence, par rapprochement critique des informations, le risque global couru par la victime, risque qui ne pouvait se déduire d'indications parcellaires, pourtant séparément pertinentes ; que, de même l'appréciation des experts selon laquelle le docteur X... a probablement sous évalué le risque médical que présentait l'intervention pour Madeleine Y... constitue seulement une hypothèse expliquant pourquoi le prévenu n'a pas estimé nécessaire de procéder à la mise en commun critique des indications recueillies auprès du cardiologue et de l'anesthésiste ; qu'elle n'introduit aucun doute sur les fautes de méthode commises par le docteur X... et sur leur relation directe avec le décès de la cliente, qui sont par ailleurs précisément décrites dans le rapport ; qu'il convient en effet de relever qu'à aucun moment les experts ne présentent comme accidentel l'épisode thromboembolique dont Madeleine Y... est décédée, dont le risque était avéré et aurait pu être déduit, avec ses conséquences par le docteur X... des données médicales qu'il était en mesure de rassembler ;

"alors qu'une faute d'imprudence ou de négligence ne peut entraîner la responsabilité de son auteur que si elle a été la cause certaine du dommage causé à la victime ; qu'en l'espèce, ni le rapport d'expertise, ni l'arrêt de la cour d'appel ne constatent que si la concertation entre le chirurgien, les anesthésistes et le cardiologue avait eu lieu, le décès de la patiente ne serait pas intervenu ; qu' ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3, alinéa 3, et 221-6 du Code pénal ;

"alors que, lorsqu'un acte ou une omission a seulement créé la situation ayant permis la réalisation du dommage, la personne l'ayant accompli n'est responsable que si elle a commis une faute délibérée ou une faute caractérisée ; que la faute consistant en l'absence de concertation entre le chirurgien, les anesthésistes et le cardiologue pour déterminer l'opportunité et les risques de l'intervention à la suite de laquelle Madeleine Y... est décédée, n'a été que la cause indirecte du dommage, la cause directe de ce décès étant l'intervention elle-même au cours de laquelle aucune faute n'a été commise ; que, par conséquent, la cour d'appel qui retient la responsabilité du docteur X... pour n'avoir pas procédé à une concertation avec le cardiologue et l'anesthésiste avant l'intervention en considérant que cette omission a été la cause directe du décès et sans avoir recherché s'il avait commis une faute caractérisée, violé les articles 121-3 et 221-6 du Code pénal" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Madeleine Chapuis, épouse Y..., agée de 64 ans, dotée d'une double prothèse des hanches et ayant récemment subi un stripping veineux des jambes, est décédée d'une embolie pulmonaire massive consécutive à une thrombose bilatérale des vaisseaux poplité survenue cinq jours après une intervention de chirurgie esthétique effectuée par Jacques X... et consistant en un lifting cervico-facial, une reprise des paupières inférieures et supérieures et une liposuccion associée à un lifting de la face interne des cuisses ;

Attendu que, pour déclarer Jacques X... coupable d'homicide involontaire, la juridiction du second degré prononce par les motifs repris aux moyens ;

Qu'elle retient notamment, à sa charge, comme "faute essentielle et déterminante" ayant directement entraîné le décès, la décision d'intervention et la conduite d'ensemble du processus opératoire sans qu'ait été suffisament examiné et pris en compte le risque avéré de thrombose présenté par la victime en raison de son âge et de ses antécédents ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que Jacques X... n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de la nature de sa mission et de sa fonction, de sa compétence ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal, tant dans leur rédaction antérieure à la loi du 10 juillet 2000 que dans leur rédaction issue de cette loi ;

D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, MM. Roman, Blondet, Palisse, Béraudo conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Beaudonnet, Gailly, MM. Valat, Lemoine, Mmes Menotti, Salmeron conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-87374
Date de la décision : 29/10/2002
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Lien de causalité - Causalité directe - Articles 121-3 et 221-6 du Code pénal modifiés par la loi du 10 juillet 2000.

RESPONSABILITE PENALE - Homicide et blessures involontaires - Lien de causalité - Causalité directe - Articles 121-3 et 221-6 du Code pénal modifiés par la loi du 10 juillet 2000

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin-chirurgien - Homicide et blessures involontaires - Faute - Lien de causalité - Causalité directe

Les juges qui, pour déclarer un chirurgien coupable d'homicide involontaire, retiennent à sa charge comme faute essentielle et déterminante ayant directement entraîné le décès, la décision d'intervention et la conduite d'ensemble du processus opératoire sans qu'ait été suffisamment examiné et pris en compte, à l'occasion d'une opération de chirurgie esthétique, le risque avéré de thrombose présenté par la victime en raison de son âge, constatent par là même que ce prévenu a causé directement le dommage. (1).


Références :

Code pénal 121-3, 221-6 (rédaction loi 2000-647 du 10 juillet 2000)

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 septembre 2001

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 2001-10-23, Bulletin criminel 2001, n° 218, p. 692 (rejet) et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 29 oct. 2002, pourvoi n°01-87374, Bull. crim. criminel 2002 N° 196 p. 728
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2002 N° 196 p. 728

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : Mme Commaret.
Rapporteur ?: M. Le Corroller.
Avocat(s) : M. Odent, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, la SCP Nicolay et de Lanouvelle.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:01.87374
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