AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu que l'Union syndicale des marins pêcheurs a assigné la société Seafrance et appelé en intervention le Syndicat maritime Nord CFDT, aux fins notamment d'annulation du protocole d'accord d'entreprise signé le 22 avril 1996, par la société et le Syndicat maritime Nord CFDT, en ce qu'il instituait un système de congés moins favorable que celui mis en oeuvre en application du protocole d'accord du 10 février 1975, modifié par celui du 28 mai 1982 ;
Attendu que l'Union syndicale fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 16 mai 2000) de l'avoir déboutée de cette demande alors, selon le moyen :
1 ) que la détermination du régime le plus favorable résulte d'une appréciation globale avantage par avantage ; que l'article X du protocole d'accord de branche du 17 juin 1968, prévoit l'institution d'un nombre de jours de congés par mois d'embarquement au titre des congés légaux, du congé contractuel et de la compensation des repos hebdomadaires et des jours fériés ; que la réglementation conventionnelle des congés forfaitaires est étrangère à la réglementation relative à la durée du travail et, partant, à la durée des temps de repos issue de l'article 212-1 du Code du travail, par l'effet de l'article 24 de la loi du 13 décembre 1926 portant Code du travail maritime, et de l'article 6 du décret n 83-793 du 6 septembre 1983, relatif aux durées annuelles maximales de travail ; qu'en l'absence en l'espèce, d'accords collectifs dérogatoires prévoyant une annualisation du temps de travail, seuls susceptibles de globaliser les jours forfaitaires de congés et les jours de repos à terre, les jours de congés et les jours de repos à terre afférents au temps d'embarquement constituent respectivement des droits d'ordre public irréductibles, et de nature différente, qui ne peuvent être pris ensemble comme un avantage global pour déterminer le régime le plus favorable ; qu'après avoir, à juste titre, rappelé qu'en créant un régime conventionnel forfaitaire de congés payés pour les marins, les partenaires sociaux n'ont pas entendu supprimer les jours de repos dont bénéficie le personnel pendant la période d'embarquement, la cour d'appel, qui a cependant écarté la comparaison sollicitée par la société basée sur les seuls congés forfaitaires, dont il se déduisait que l'accord du 28 mai 1982 était plus favorable que celui du 22 avril 1996, pour se fonder sur une comparaison des durées annuelles du travail, impliquant une globalisation au titre d'un avantage unique des jours de congés et des jours de repos, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 132-13 du Code du travail ;
2 ) qu'il résulte des seules constatations de l'arrêt, d'une part qu'en application de l'accord du 28 mai 1982, le marin dispose d'un temps de congé et de repos à terre cumulé de (123+242 :2=121) 243 jours par an, les jours de travail devant être divisés par 2 par l'effet du système binaire et d'autre part, qu'en application de l'accord du 22 avril 1996, le marin dispose en revanche d'un temps de congé et de repos à terre cumulé de 234,64 jours seulement par an dans le cadre d'un système binaire ; qu'en décidant cependant que l'accord du 22 avril 1996 est plus favorable que l'accord du 28 mai 1982, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, a, de nouveau, violé, par fausse application, l'article L. 132-13 du Code du travail ;
3 ) qu'après avoir relevé que les jours de repos étaient maintenus à côté des congés forfaitaires, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme l'y invitaient les conclusions d'appel de la société, quel était le nombre de jours de repos à terre inclus dans les jours d'embarquement en application de l'accord du 28 mai 1982, se bornant à cet égard à relever que le nombre total de jours d'embarquement était de 242, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 132-13 du Code du travail ;
4 ) que l'Union syndicale des marins et pêcheurs avait soutenu, à titre subsidiaire, dans ses conclusions d'appel, que, selon une note versée aux débats par la société Seafrance, le marin disposait, en application de l'accord du 28 mai 1982, de 120 jours de repos dans le cadre des 240 jours d'embarquement, ce dont il se déduisait que le total cumulé des jours de repos précités et des jours de congés (124) était de 244 jours par an, tandis qu'en application de l'accord du 22 avril 1996, ce même total n'était que de 234,5 jours ; qu'en ne répondant aucunement à ces conclusions d'appel, dont il se déduisait que, même en cumulant les jours de repos et les jours de congés, l'accord de 1982 était plus favorable que l'accord de 1996, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 ) qu'il résulte des articles 21 et 22 de la loi du 13 décembre 1926 portant Code du travail maritime que, pendant les temps "de repos" à bord au sens de l'article 5, alinéa 2, du décret du 6 septembre 1983, le marin est, d'une part, tenu d'effectuer le travail de mise en état de propreté de son poste d'équipage, des annexes de ce poste, de ses objets de couchage et des ustensiles de plat, et, d'autre part, tenu de travailler au sauvetage du navire, de ses débris, des effets naufragés et de la cargaison ; que ces temps "de repos" précités constituent en réalité des astreintes pendant lesquelles le marin doit se tenir à la disposition permanente et immédiate de l'employeur afin d'être en mesure d'effectuer les travaux précités au service de l'armateur ;
que ces temps ne constituent pas un avantage pouvant être comparé avec les jours de congés et de repos à terre, pendant lesquels le marin peut vaquer librement à ses occupations personnelles sans être à la disposition de l'armateur ; qu'en comparant cependant les temps de travail effectifs annuels réalisés en application des deux accords, la cour d'appel, qui a, de ce fait, comparé de manière cumulative, les jours de congés, les jours de repos à terre, ainsi que les temps "de repos" à bord précités, lesquels, par l'effet de l'article 5, alinéa 2, précité du décret du 6 septembre 1983, ne sont pas compris dans les temps de travail effectif, la cour d'appel a, là encore, violé, par fausse application, l'article L. 132-13 du Code du travail ;
6 ) que la comparaison doit être effectuée avantage par avantage ; que la cour d'appel a comparé les 234,64 jours de congé et de repos à terre cumulés par an résultant de l'accord du 22 avril 1996, avec les 226,72 jours qu'elle affirme correspondre au cumul des jours de congés et de repos à terre résultant de l'accord du 28 mai 1982 ; qu'il résulte cependant des constatations de l'arrêt que les 226,72 jours précités correspondent en réalité au cumul de jours de congés et des temps de repos à bord, dès lors que la cour d'appel a obtenu ce chiffre de 226,72, en enlevant aux 365 jours de l'année 138,28 jours de travail effectif fictifs (1936 : 14), et qu'elle a, en outre évalué à 1936 heures par an l'horaire de travail effectif en omettant de déduire des 242 jours à bord les 121 jours de repos à terre (en système binaire, 242 : 2) ; qu'en comparant, dès lors, d'un côté, le cumul des temps de congé et de repos à bord (234,64 jours résultant de l'accord de 1996), et, de l'autre, le cumul des temps de congé et de repos à terre (226,72 jours résultant de l'accord de 1982), la cour d'appel, qui n'a pas comparé des avantages identiques, a, de ce chef encore, violé, par fausse application, l'article L. 132-13 du Code du travail ;
7 ) que le juge ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office les moyens tirés, d'une part, d'une comparaison des temps de travail effectifs, résultant des deux accords, et, d'autre part, d'une comparaison des jours de congés et de repos à terre par transposition des paramètres de l'accord du 22 avril 1996 sur les données de fait résultant de l'application de l'accord du 28 mai 1982, sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 16, alinéa 3, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, qu'en application de l'article 5 du décret du 6 septembre 1983, pris pour l'application de l'article 25 du Code du travail maritime, est considéré comme temps de repos, le temps pendant lequel le personnel embarqué est en droit de séjourner dans les locaux qui lui servent d'habitation à bord ;
Et attendu, ensuite, que la cour d'appel ayant relevé qu'en raison de la complexité du régime des congés résultant de la combinaison de quatre accords successifs, lesquels n'utilisent pas les mêmes modalités de calcul ni le même régime de veille et de conduite du navire -3 bordées dans l'accord de 1982, 2 bordées dans l'accord de 1996- a pu décider de retenir, comme base de raisonnement comparatif, les données annuelles ; que, procédant de la sorte à la comparaison des deux accords en cause, la cour d'appel a constaté, sans relever d'office un moyen et sans encourir aucun des autres griefs du moyen, qu'en application du protocole d'accord du 28 mai 1982, les marins avaient un horaire annuel de travail effectif supérieur et un nombre de jours à terre, après cumul des congés et jours de repos, inférieur à ceux résultant du protocole d'accord du 12 avril 1996 ; qu'ayant ainsi retenu que ce dernier accord était plus favorable, elle a exactement décidé qu'il devait recevoir application ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Union syndicale des marins et pêcheurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Seafrance ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze octobre deux mille deux.