AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 3 novembre 1999) que M. X... et divers autres membres de la communauté de la Thébaïde ont fait assigner devant le tribunal d'instance de Saint-Marcellin M. Jacques Y..., aux fins d'obtenir une indemnité d'un franc pour chacun d'eux en réparation de leur préjudice moral dû à la publication au journal officiel du 5 mars 1996 d'une circulaire datée du 29 février 1996, signée par lui ès qualités de garde des sceaux, "relative à la lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens commises dans le cadre des mouvements à caractère sectaire", comportant en annexe une liste de 172 mouvements "pouvant être qualifiés de sectaires " au regard des critères définis par la dite circulaire dont leur communauté ; que le Tribunal s'étant, par jugement du 27 octobre 1998, déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris, l'arrêt attaqué, statuant sur contredit, a fait droit au déclinatoire de compétence du préfet de l'Isère et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir jugé que les tribunaux judiciaires étaient incompétents pour connaître du litige alors, selon le moyen :
1 / qu'une faute commise par un agent de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions peut être une faute personnelle relevant de la juridiction judiciaire, si elle présente une gravité certaine ; d'où il suit qu'en affirmant que la faute ayant été commise dans l'exercice de ces fonctions n'était pas de la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en se bornant à une affirmation de principe sans répondre aux conclusions dont elle était saisie, faisant état d'une imprudence caractérisée du ministre, constitutive d'une faute personnelle dénonçant nommément des groupes comme sectaires, ce qui portait atteinte aux droits et aux libertés individuelles de la compétence des juges judiciaires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, en retenant, d'une part, que la faute personnelle était celle qui révélait "l'homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences", d'autre part, qu'elle devait être détachable de l'activité de son auteur, après avoir constaté que l'acte incriminé ne répondait à aucun de ces deux critères, répondant aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt de ne pas avoir répondu à ses conclusions par lesquelles il soutenait qu'étaient constitutifs d'une voie de fait les agissements du Garde des Sceaux, en faisant publier la liste de 172 mouvements qualifiés de sectaires, publication qui constituait un acte de dénigrement désignant nommément les mouvements à la vindicte publique, dénonçant des comportements prétendument asociaux ;
Mais attendu qu'en énonçant que l'acte se rattachait directement à l'exercice de la fonction de son auteur, ce qui excluait qu'il put constituer une voie de fait, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche enfin à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors que la circulaire du 29 février 1996 publiée au JO mentionnait en annexe 172 mouvements identifiés nommément désignés comme sectaires, ainsi que l'imputation de fait précis délictueux à leur encontre, que cette annexe était en vente libre à l'Assemblée nationale, ainsi qu'il résulte du JO du 5 mars 1996, que l'ensemble constitué par la circulaire et l'annexe, visant des groupes identifiés et identifiables de personnes auxquels des faits délictueux précis sont imputés constitue une immixtion dans le fonctionnement du service public de la justice ; d'où il suit qu'en tenant pour superfétatoire l'annexe pour décider que la circulaire avait pour objet la politique pénale, et en déduire que les tribunaux judiciaires étaient incompétents, la cour d'appel a dénaturé l'objet du litige violant l'article 4 du nouveau Code de procédure civile et L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
Mais attendu que la cour d'appel prenant en considération l'ensemble formé par la circulaire litigieuse et son annexe, a relevé que la première était une circulaire de politique pénale par laquelle le ministère de la justice donnait des instructions générales aux parquets et ne se rapportait pas au déroulement de procédures judiciaires particulières, même si la seconde comportait une liste de 172 mouvements pouvant être qualifiés de sectaires ; qu'elle n'a en rien modifié l'objet du litige ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille deux.