CASSATION sur le pourvoi formé par :
- Z... Catherine, épouse Y...,
contre l'arrêt n° 302 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, en date du 9 mars 1998, qui l'a condamnée, pour complicité de diffamation raciale et complicité de provocation à la discrimination raciale, à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 francs d'amende, ainsi qu'à la publication de la décision, qui a ordonné la confusion de peine avec celle prononcée le même jour par arrêt n° 301, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 24, alinéa 6, 32, alinéa 2, 43, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6, 121-7 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Catherine Y... coupable de complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ;
" aux motifs qu'"en matière d'infraction de presse, le fait de fournir avec conscience à un auteur ou un journaliste la matière d'une telle infraction constitue un acte de complicité par fourniture de moyens, l'acte principal se consommant par la publication elle-même" ; que "la partie poursuivante, en l'espèce le MRAP, dès lors qu'un acte principal a été commis, et quand bien même son auteur, délibérément ou non, a été exclu des poursuites, est parfaitement en droit de ne poursuivre que le complice" ; qu'en l'espèce, il est certain que la citation, laquelle fixe irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de la poursuite, vise exclusivement les propos publiés dans le journal "Le Monde" et qu'aucune poursuite n'a été exercée ni contre le directeur de publication, ni contre l'auteur de l'article ; que, pour autant, Catherine Y... ne peut valablement soutenir, pour prétendre échapper aux poursuites, qu'elle a seulement donné son accord pour la publication non poursuivie dans le "Berliner Zeitung", et que, par voie de conséquence, elle ne peut se voir reprocher un acte de complicité par rapport à la publication effectuée sans son consentement dans "Le Monde" ; qu'en effet, "Catherine Y..., en accordant au journaliste Maxim X... une interview en vue de sa publication, a entendu rendre ses propos publics et a procuré les moyens de le faire" ; que "son accord, certes matériellement uniquement manifesté à ce journaliste, doit être considéré comme s'appliquant à toute publication, sous réserve que cette publication reproduise les propos sans dénaturation" et que tel est bien le cas en l'espèce, le journal "Le Monde" ayant reproduit fidèlement les phrases marquantes de l'interview de Catherine Y... sans le moindre commentaire " ;
" alors que la complicité par fourniture de moyens n'est caractérisée qu'autant que celui qui est réputé complice a fourni les moyens sachant qu'ils serviraient à accomplir l'infraction commise par l'auteur principal ; qu'une personne ayant donné une interview privée à un journal ne peut donc être déclarée complice du délit de presse commis par le directeur de la publication d'un autre journal ayant reproduit dans ses colonnes, sans autorisation, des passages de cette interview constitutifs de ce délit, les moyens dudit délit (le contenu de l'interview n'ayant pas été fourni à cet autre journal par l'intéressé), et que dès lors, en l'espèce, la Cour ne pouvait légalement déclarer Catherine Y... coupable de complicité des délits de complicité de provocation à la discrimination raciale commis par le directeur de la publication du journal "Le Monde", en reproduisant, sans l'autorisation de Catherine Y..., les propos incriminés tenus par celle-ci lors d'une interview privée accordée à un journaliste allemand du "Berliner Zeitung" " ;
Vu l'article 121-7 du Code pénal ;
Attendu que la complicité par aide et assistance prévue par l'alinéa 1er du texte précité n'est punissable que si cette aide a été apportée sciemment à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, qu'en février 1997, Catherine Y..., maire de Vitrolles, a accordé à Maxim X..., correspondant du quotidien allemand Berliner Zeitung, un entretien en français qui, après traduction, a été publié le 24 février 1997 dans ce journal ; que, le journaliste allemand ayant confié à l'un de ses confrères du Monde une copie de l'enregistrement de cet entretien, le quotidien français en a reproduit de larges extraits dans son édition du 26 février 1997 ;
Qu'à la suite de la publication dans Le Monde, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples a fait citer devant le tribunal correctionnel Catherine Y... pour diffamation raciale et provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale ;
Attendu que, pour la retenir dans les liens de la prévention du chef de complicité de ces délits, les juges, après avoir constaté que l'entretien contenant les propos incriminés a eu lieu dans le bureau de la prévenue et sans témoin, qu'il a été accordé, à titre exclusif, au seul journaliste Maxim X..., du périodique allemand Berliner Zeitung, et qu'il n'avait aucun caractère public au moment où il a eu lieu, énoncent néanmoins qu'en accordant un entretien à un journaliste Catherine Y... " a entendu rendre ses propos publics et a procuré les moyens de le faire " ;
Que l'arrêt ajoute que " son accord doit être considéré comme s'appliquant à toute publication, sous réserve que cette publication reproduise les propos sans dénaturation ", ce qui est le cas des extraits parus dans Le Monde ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres énonciations que cette publication n'a été ni voulue ni permise par la prévenue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens proposés :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 9 mars 1998 et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.