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15/03/2001 | FRANCE | N°99-15165

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 15 mars 2001, 99-15165


Sur le premier et le deuxième moyens, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, qu'à l'occasion d'une émission radiophonique en direct consacrée aux sectes, réalisée par Radio Monte Carlo, le 6 janvier 1996, Mme X..., dont le fils s'était suicidé à 24 ans, a déclaré : " C'est arrivé le 10 janvier et il est venu le matin même me le dire. Un groupe de Témoins de Jéhovah lui avait dit qu'il fallait qu'il donne sa vie à Dieu, qu'il n'avait pas travaillé avec la foi et qu'il fallait absolument qu'il le fasse " ; qu'interrogée par le journaliste sur sa c

ertitude qu'il y avait un rapport entre ce suicide et l'appartenance de so...

Sur le premier et le deuxième moyens, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, qu'à l'occasion d'une émission radiophonique en direct consacrée aux sectes, réalisée par Radio Monte Carlo, le 6 janvier 1996, Mme X..., dont le fils s'était suicidé à 24 ans, a déclaré : " C'est arrivé le 10 janvier et il est venu le matin même me le dire. Un groupe de Témoins de Jéhovah lui avait dit qu'il fallait qu'il donne sa vie à Dieu, qu'il n'avait pas travaillé avec la foi et qu'il fallait absolument qu'il le fasse " ; qu'interrogée par le journaliste sur sa certitude qu'il y avait un rapport entre ce suicide et l'appartenance de son fils aux Témoins de Jéhovah, Mme X...a répondu : " Oh oui, et nous avons porté plainte " ; que s'estimant diffamée par ces propos, l'association Les Témoins de Jéhovah de France (l'association) a fait assigner Mme X..., devant le tribunal de grande instance, en réparation de son préjudice, sur le fondement des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 et subsidiairement sur celui de l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que l'association fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen :

1° que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'ayant constaté que Mme X... désignait nommément les " Témoins de Jéhovah " comme étant l'association à laquelle le groupe auquel elle faisait allusion appartenait et se réclamait, la cour d'appel, qui statue à l'aide de considérations inopérantes, ne tire pas les conséquences légales de ses constatations et partant viole les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2° que toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ; qu'à la question du journaliste de savoir "si vous Mme X... étiez certaine qu'il y a vraiment rapport entre le suicide de votre garçon et son appartenance aux Témoins de Jéhovah", Mme X... a répondu "Oh oui ! Et nous avons porté plainte" ; qu'ainsi, existait l'allégation d'un fait précis, c'est-à-dire un rapport de causalité direct et certain entre le suicide de son fils et l'adhésion de celui-ci à l'association cultuelle ; d'où il suit qu'en statuant comme elle fait, la cour d'appel viole l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

3° qu'en affirmant que les propos de Mme X... n'étaient pas intervenus spontanément, car ils constituaient une réponse à la question d'un journaliste, à l'occasion d'une émission sur les sectes, sans constater que la réponse avait été dictée par le journaliste, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

4° que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec l'intention de nuire et que cette présomption n'est détruite que lorsque les juges du fond s'appuient sur des faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi ; qu'en estimant dès lors qu'il n'était pas démontré que Mme X... avait agi avec l'intention de nuire, la cour d'appel inverse le fardeau de la preuve et viole les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

5° que l'expression d'une opinion n'est pas exclusive de la diffamation, si bien qu'en statuant comme elle le fait, la cour d'appel viole derechef l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu que si c'est à tort que la cour d'appel a estimé que les propos incriminés ne constituaient pas une diffamation envers l'association, alors que sous le couvert d'un groupe de Témoins de Jéhovah, ils visaient nécessairement l'association, et qu'ils imputaient à celle-ci une provocation au suicide, la censure n'est pas encourue de ce chef ; que l'arrêt, après avoir relevé que Mme X... excipait de la bonne foi, retient qu'elle a fait preuve de prudence dans ses propos et s'est abstenue de toute critique contre des personnes déterminées, que son témoignage a été sollicité dans le cadre d'une émission sur les sectes, qu'elle a donné son opinion en termes mesurés dans l'intention évidente et sincère d'informer et de prévenir les auditeurs, qu'on ne saurait qualifier de militants ses propos qui sont ceux d'une mère douloureusement éprouvée par le décès de son fils, ni lui reprocher de vouloir exprimer son opinion sur un sujet qui l'a bouleversée, fût-ce plusieurs années après les faits ;

Que de ces constatations et énonciations, qui caractérisent des faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi et qui rendent inopérants les autres griefs, la cour d'appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que Mme X... avait établi sa bonne foi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que l'action fondée sur des faits reconnus diffamatoires ne peut constituer un abus du droit d'ester en justice ;

Attendu que pour condamner l'association à verser à Mme X... une somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt énonce que la procédure poursuivie par l'association demanderesse à l'encontre de Mme X... présente un caractère d'intimidation en ce qu'elle tend à empêcher l'expression de l'opinion de celle-ci sur le décès de son fils ; qu'en cela elle apparaît abusive et cause un dommage certain à Mme X... ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'élément matériel de la diffamation était caractérisé, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions condamnant l'association à des dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 16 mars 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute Mme X... de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 99-15165
Date de la décision : 15/03/2001
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Faute - Abus de droit - Action en justice - Caractère abusif - Action fondée sur des faits reconnus diffamatoires (non) .

DIFFAMATION ET INJURES - Diffamation - Bonne foi - Effets - Condamnation du demandeur à des dommages-intérêts

ACTION EN JUSTICE - Exercice abusif - Faute - Action en diffamation - Propos reconnus diffamatoires

L'action fondée sur des faits reconnus diffamatoires ne peut constituer un abus du droit d'ester en justice. Dès lors que des propos, tenus par une mère, dont le fils adepte des Témoins de Jéhovah s'est suicidé, visent nécessairement, sous le couvert d'un groupe de Témoins de Jéhovah, une association et imputent à celle-ci une provocation au suicide, caractérisant ainsi, nonobstant des faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi de leur auteur, l'élément matériel de la diffamation, une cour d'appel méconnaît l'article 1382 du Code civil en condamnant cette association à verser à l'auteur des propos incriminés, qui était poursuivi par elle, des dommages-intérêts pour procédure abusive.


Références :

Code civil 1382

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 16 mars 1999


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 15 mar. 2001, pourvoi n°99-15165, Bull. civ. 2001 II N° 57 p. 38
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2001 II N° 57 p. 38

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Buffet .
Avocat général : Avocat général : M. Chemithe.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guerder.
Avocat(s) : Avocats : M. Blondel, la SCP Monod et Colin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2001:99.15165
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