REJET du pourvoi formé par :
- X... Josiane, épouse Y...,
- X... Jean,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, en date du 26 janvier 2000, qui a condamné, la première, pour prise illégale d'intérêts, à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 300 000 francs d'amende, le second, pour complicité de prise illégale d'intérêts et usurpation de fonctions, à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-4, 121-5 et 432-12 du Code pénal, du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Josiane X... et Jean X... respectivement coupables de délit de prise illégale d'intérêts et de complicité de ce délit ;
" aux motifs que Josiane X... a investi les fonds des malades mentaux sans l'autorisation du juge des tutelles dans la SCI Ker Mas dont elle possédait 50 % des parts et son frère Jean 50 % ; que cette SCI avait pour but d'apporter à la SARL La Blanche Hermine les immeubles nécessaires à son exploitation ; que Josiane X... était porteur de 50 % des parts de cette dernière société à sa fondation, Jean X... étant le gérant des deux sociétés ; que des propositions de contrats d'assurance pour un montant de 490 000 francs ont été signées par la gérante de tutelle moyennant une commission destinée à Jean X..., employé du cabinet d'assurances Hochard ;
" alors qu'il résulte de la combinaison des articles 121-5 et 432-12 du Code pénal que la tentative de prise illégale d'intérêts n'est pas incriminée, et que la prise illégale d'intérêts suppose que l'acte reproché au dépositaire de l'autorité publique soit consommé ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que la signature des propositions d'assurances destinées à garantir les placements effectués au nom des majeurs protégés par Josiane X... en sa qualité de gérante de tutelle avaient été conclues sous la condition suspensive de l'autorisation du juge des tutelles ; qu'en conséquence l'agissement reproché à Josiane X... ne peut être appréhendé qu'au regard de la tentative d'obtention d'un intérêt portant sur une opération soumise à la surveillance du gérant de tutelle, le résultat escompté ne se réalisant pas faute d'autorisation du juge des tutelles ; que, dès lors, Josiane X... et son frère ne pouvaient être retenus dans les liens de la prévention, ni au titre du délit d'ingérence faute de consommation, ni au regard de la tentative d'ingérence en l'absence de texte d'incrimination " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Josiane X..., épouse Y..., qui exerçait les fonctions de gérante de tutelle des majeurs protégés de l'hôpital Esquirol, à Saint-Maurice, et projetait de créer une structure d'accueil pour ceux-ci, a constitué avec son frère, Jean X..., la SCI Ker Mas qui devait acquérir les immeubles nécessaires à la réalisation du projet et la société Blanche Hermine, ayant pour objet la gestion du futur établissement ; que le capital des deux sociétés était détenu par les intéressés, Jean X... en étant le gérant ;
Attendu que le financement des activités de la SCI Ker Mas a été assuré, à hauteur de 5 105 000 francs, par des fonds prélevés sur les comptes bancaires de 87 majeurs protégés, ouverts à l'agence du Crédit Lyonnais de Brest, où était employé Jean X... ; qu'en outre, Josiane X..., épouse Y..., a fait souscrire par les majeurs incapables, dont elle gérait le patrimoine, 79 contrats d'assurance pour un montant total de 490 000 francs, par l'intermédiaire de son frère qui venait d'être embauché dans un cabinet d'assurances, à Quimper ;
Attendu que ces opérations financières n'ont pas abouti après qu'elles eurent été portées à la connaissance du juge des tutelles qui a refusé de donner son autorisation ;
Attendu que, pour déclarer Josiane X..., épouse Y..., et Jean X... coupables de prise illégale d'intérêts et complicité, les juges du second degré retiennent que la prévenue a investi les fonds des majeurs protégés, sans l'autorisation du juge des tutelles, dans la SCI Ker Mas dont elle détenait 50 % des parts et en souscrivant pour leur compte des propositions de contrats d'assurance ;
Que les juges ajoutent que Jean X... a personnellement participé à la gestion des fonds des majeurs protégés, par l'ouverture des comptes bancaires de ces derniers et par la transmission des fonds au profit de la SCI Ker Mas, ainsi qu'à la souscription des contrats d'assurances pour lesquels il percevait une commission ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
Qu'en effet, le délit de prise illégale d'intérêts est consommé dès que l'agent public a pris ou reçu un intérêt dans une opération dont il avait, au moment de l'acte, la charge d'assurer l'administration ou la surveillance, peu important que, pour des raisons indépendantes de sa volonté, l'opération en cause n'ait pu aboutir ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 175, 59, 60 et 258 de l'ancien Code pénal, 432-12, 433-12 et 121-7 du Code pénal, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X... coupable, à la fois, de complicité de prise illégale d'intérêts et d'usurpation de fonction, pour un même fait ;
" aux motifs que le prévenu a personnellement participé à la gestion des fonds des majeurs protégés, par l'ouverture du compte des malades au Crédit Lyonnais de Brest, la transmission du profit de la SCI Ker Mas et la retenue de la différence de rémunération de (6,5 % à 8 ou 9 %) des placements et la souscription de contrats d'assurances pour lesquels il percevait une commission, ces agissements étant commis tandis que sa soeur Josiane X..., en sa qualité de gérante de tutelle, avait investi les fonds des malades mentaux, sans l'autorisation du juge des tutelles ;
" alors, d'une part, que le délit d'usurpation de fonctions prévu à l'article 433-12 du Code pénal n'est caractérisé que si le prévenu a accompli l'un des actes réservés au titulaire des fonctions, que tel n'est pas le cas lorsque l'agissement retenu constituerait pour le titulaire de la fonction un acte étranger à ses fonctions, comme étant de nature abusive ; qu'en l'espèce la gestion des fonds des majeurs protégés, leur placement et la souscription de contrats d'assurances ne sont des actes relevant de la compétence du gérant de tutelle des malades mentaux que si le juge des tutelles les a autorisés, et qu'à défaut, étant étrangers à ses fonctions, l'immixtion de fonctions ne peut être constituée ; qu'ainsi en déclarant Jean X... coupable d'usurpation de fonctions pour avoir ouvert un compte bancaire au nom de chacun des majeurs protégés, avoir effectué des placements et perçu une commission prétendument indue et avoir ensuite souscrit des contrats d'assurance à leur nom, la cour d'appel a violé l'article 433-12 du Code pénal ;
" alors, d'autre part, que, s'agissant d'un fait unique commis par une même personne, les qualifications de complicité de prise illégale d'intérêt et d'usurpation de fonctions sont incompatibles ; qu'en effet le délit d'usurpation de fonctions n'est pas constitué si l'acte accompli par la personne dépourvue de qualité est étranger aux fonctions du titulaire, mais encore constituerait pour ce dernier un agissement délictueux ; que, par ailleurs, la prise illégale d'intérêts, anciennement qualifiée d'ingérence, suppose toujours un abus de fonction du dépositaire de l'autorité publique ; que, dès lors, l'aide apportée au dépositaire de l'autorité publique qui commet un acte étranger à ses fonctions en prenant un intérêt dans une opération dont il avait la surveillance, ne peut être qualifiée concomitamment d'acte d'usurpation de fonctions, celles-ci ayant été abusées ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a donc pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que, pour déclarer Jean X... coupable à la fois de complicité de prise illégale d'intérêts et d'usurpation de fonctions, la juridiction du second degré se prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que, d'une part, le délit d'usurpation de fonctions est constitué sans qu'il soit nécessaire que l'acte de la fonction dont l'auteur n'était pas investi ait été régulièrement accompli ;
Que, d'autre part, les deux qualifications de complicité de prise illégale d'intérêts et d'usurpation de fonctions ne sont pas incompatibles entre elles et peuvent être retenues pour un même fait, dès lors qu'elles sanctionnent la violation d'intérêts distincts, comportent des éléments constitutifs différents et qu'une seule peine a été prononcée conformément aux articles 5 ancien et 132-3 du Code pénal ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.