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16/01/2001 | FRANCE | N°00-83608

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 janvier 2001, 00-83608


ANNULATION sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X... Xavier, Y... Christian, Z... Françoise, A... François, B... Jean-Alphonse,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, en date du 9 mars 2000, qui les a condamnés, pour le délit de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile, ou complicité de ce délit, le premier à 20 000 francs d'amende, les deuxième, troisième et quatrième à 10 000 francs d'amende chacun, le dernier à 5 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les p

ourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen...

ANNULATION sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X... Xavier, Y... Christian, Z... Françoise, A... François, B... Jean-Alphonse,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, en date du 9 mars 2000, qui les a condamnés, pour le délit de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile, ou complicité de ce délit, le premier à 20 000 francs d'amende, les deuxième, troisième et quatrième à 10 000 francs d'amende chacun, le dernier à 5 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Xavier X..., François A... et Françoise Z..., pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 66 de la Constitution, 111-4 et 121-3 du Code pénal, 2 de la loi du 2 juillet 1931, 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Xavier X..., Françoise Z... et François A... coupables de complicité de publication, avant décision judiciaire, d'informations relatives à des constitutions de partie civile, leur a infligé une peine d'amende, les a condamnés à verser une indemnité à François C..., partie civile, et a ordonné la diffusion dans des journaux télévisés de France 2 de communiqués résumant la substance de l'arrêt ;
" aux motifs propres et adoptés que le 18 septembre 1997, les consorts D... avaient déposé plainte avec constitution de partie civile pour prise illégale d'intérêts contre X, mais en désignant clairement François C... ; que cette plainte avait fait l'objet d'une première dépêche de l'agence France-Presse diffusée le 18 septembre 1997 à 15 heures 58 sous le titre : " Dépôt d'une plainte contre X visant l'ancien maire de Fréjus, François C... ", puis d'une seconde à 16 heures 08 sous le titre : " Plainte visant François C..., le président de l'UDF porte plainte à son tour " et contenant un communiqué rédigé par François C... faisant part de son intention de déposer plainte à son tour pour dénonciation calomnieuse ; que dans son édition du 18 septembre 1997, le quotidien Le Figaro avait publié un article intitulé : " François C... visé, nouvelle procédure à Fréjus, les plaignants accusent l'ex-maire d'avoir rendu les terrains inconstructibles pour préserver les abords de sa propre villa ", annonçant le dépôt imminent de la plainte ; que le 19 septembre 1997, il avait été rendu compte de celle-ci dans le journal Nice Matin et dans le quotidien Var Matin, ainsi qu'aux journaux télévisés de France 2 de 8 heures et de 13 heures, dont les rédacteurs en chef étaient alors respectivement Françoise Z... et François A..., le directeur de publication étant Xavier X... ; que ces personnes avaient été renvoyées du chef de publication avant décision judiciaire d'information relative à une constitution de partie civile, délit prévu et réprimé par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 (arrêt p. 7 et 8) ; qu'il n'importait que les informations données aient déjà fait l'objet d'une publication ; que la circonstance que François C... ait lui-même donné des renseignements à l'AFP était sans incidence sur les faits commis (arrêt p. 11) ; que la loi du 2 juillet 1931 avait pour objet de prévenir le préjudice susceptible d'être causé à une personne visée par une constitution de partie civile se révélant abusive soit d'emblée soit même seulement à l'issue de l'information, de garantir la présomption d'innocence et de prévenir toute influence sur la justice (arrêt p. 12) ; qu'il résultait des travaux préparatoires de la loi que le but du législateur avait été d'éviter qu'une publicité soit donnée à des procédures qui ne relevaient que de l'initiative des particuliers et étaient susceptibles de faire l'objet d'une décision de non-lieu, étant précisé qu'une telle publicité aurait pour effet de discréditer sans motif légitime la personne visée par la plainte et de servir les rancunes et intérêts privés qui avaient motivé le dépôt de cette dernière (jugement p. 9) ; que le fait justificatif de bonne foi, applicable aux infractions de presse, était sans application au délit prévu par la loi du 2 juillet 1931, et que l'objectivité des auteurs était donc inopérante ; que s'agissant du journal télévisé de 13 heures, les renseignements sur la plainte avec constitution de partie civile avaient été donnés par le présentateur et une journaliste ; que François A... était à l'époque des faits rédacteur en chef de ce journal ;
que devant le juge d'instruction, il avait reconnu les faits, indiquant qu'il avait visionné l'enquête effectuée par le journaliste, et qu'il lui avait semblé que ce dernier relatait les faits dans leur parfaite exactitude mais qu'il ignorait l'existence de la loi de 1931 et que c'était en toute bonne foi qu'il avait laissé diffuser le reportage ; que, devant la cour, il prétendait, avec Xavier X..., qu'il avait commis une erreur de droit, et qu'en tout état de cause l'élément intentionnel faisait défaut ; que l'erreur de droit au sens de l'article 122-3 du Code pénal n'est exonératoire que si elle ne pouvait être évitée ; qu'il appartenait à un professionnel de l'information de se renseigner sur les limites apportées par la loi au droit d'information du public ; que l'élément intentionnel était caractérisé par la diffusion volontaire des propos incriminés ; que cependant François A..., qui n'avait pas diffusé lui-même les propos, mais seulement donné son accord en tant que rédacteur en chef, devait au même titre que Xavier X..., en sa qualité de directeur de publication de la chaîne, être déclaré complice de la publication (arrêt p. 12 et 13) ; qu'en effet, le directeur de publication d'un journal qui autorisait la publication d'un article dont il avait nécessairement connaissance dans l'exercice de ses fonctions de contrôle, participait sciemment de façon active, en qualité de complice, par aide et assistance et par fourniture de moyens, au délit (arrêt p. 11) ; que, s'agissant du journal télévisé de 8 heures, les propos donnant des renseignements sur le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile avaient été tenus par le présentateur et la même journaliste ; que Françoise Z... était rédacteur en chef ; qu'elle avait admis, lors de sa comparution devant le juge d'instruction, avoir diffusé l'information ; qu'il était bien dans ses attributions et pouvoirs de rédacteur en chef, comme l'avait d'ailleurs reconnu François A..., de s'y opposer ; que contrairement à ce que soutenait Françoise Z..., la loi n'incriminait pas seulement la divulgation d'informations, ce qui pourrait effectivement donner à entendre qu'il n'y aurait pas d'infraction en cas de publication d'une information déjà divulguée, mais la publication d'informations, même déjà portées à la connaissance du public par d'autres médias ; que comme pour François A..., l'élément intentionnel était caractérisé par la diffusion volontaire de l'information, quelles qu'aient été les précautions prises dans un souci louable d'objectivité en annonçant que François C... avait déposé plainte pour dénonciation calomnieuse ; que cependant, Françoise Z..., au même titre que Xavier X..., devait être déclarée coupable de complicité du délit reproché (arrêt p. 13) ;
" 1° alors que, d'une part, l'incrimination de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile a seulement pour objet de protéger le crédit et la considération des personnes mises en cause pénalement, et ne tend pas à garantir la présomption d'innocence ni l'autorité et l'indépendance de la justice, qui sont protégées par d'autres incriminations ; qu'en conséquence le prévenu d'infraction à l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 échappe à la responsabilité pénale si la publication a été effectuée en termes prudents et objectifs et a ménagé la considération de la personne mise en cause en s'abstenant de présenter sa culpabilité comme certaine ; que la Cour constatait que les journaux télévisés de France 2 avaient diffusé en termes objectifs la nouvelle de la plainte avec constitution de partie civile déposée contre François C..., et annoncé que ce dernier avait lui-même réagi en portant plainte contre ses accusateurs, ce dont il résultait que le crédit et la considération de la personne mise en cause avaient été ménagés, et que la culpabilité des rédacteurs en chef et directeur de publication de ces journaux ne pouvait être retenue ;
" 2° alors que, d'autre part, les restrictions admises à la liberté d'expression font l'objet d'un contrôle strict de proportionnalité qu'il appartient au juge national de mettre directement en oeuvre en vertu du principe de subsidiarité du droit conventionnel européen ; que la Cour n'a pu en l'espèce refuser d'exercer pareille compétence motif pris de la volonté émise par le législateur en 1931 dont elle s'est bornée à prendre acte ; qu'il lui appartenait au contraire de rechercher si la prohibition litigieuse répondait toujours à une " impérieuse nécessité " dans une société démocratique en l'état notamment de la publicité déjà donnée par le plaignant lui-même à l'information dont il reproche la publication aux demandeurs, de l'intérêt public s'attachant à une information relative à un acte de la fonction d'un homme politique, enfin de la présentation faite de bonne foi d'une information délivrée au public en termes objectifs et mesurés, respectueuse tant de la réputation que de la présomption d'innocence du plaignant ;
" 3° alors, en toute hypothèse, que le délit de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile n'est réalisé que si l'auteur de la publication avait conscience de porter atteinte au crédit et à la considération de la personne mise en cause ; que la Cour, qui constatait la prudence et l'objectivité de la présentation des faits donnée par les journaux de France 2, ne pouvait retenir l'intention coupable des prévenus " ;
Et sur le moyen d'annulation relevé d'office pour Christian Y... et Jean-Alphonse B..., pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Vu ledit article ;
Attendu que, selon l'article 10 précité, toute personne a droit à la liberté d'expression ; que l'exercice de ce droit ne peut comporter de conditions, restrictions, ou sanctions prévues par la loi, que lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite de la publication de plusieurs articles parus dans les quotidiens " Le Figaro ", " Var Matin ", " Nice Matin " et d'informations diffusées par la chaîne de télévision France 2 relatant le dépôt, par les consorts D..., d'une plainte avec constitution de partie civile, pour prise illégale d'intérêts, qui mettait en cause François C..., celui-ci a engagé des poursuites contre les journalistes sur le fondement de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, interdisant de publier, avant décision judiciaire, toute information relative à des constitutions de partie civile ; que Christian E...et Thierry F..., signataires de l'article publié dans " Nice Matin ", Jean B..., auteur de l'article du " Figaro ", Françoise Z... et François A..., rédacteurs en chef des journaux télévisés de France 2, ainsi que Xavier X..., Christian Y... et Jean-Pierre G..., directeurs de publication, ont été condamnés de ce chef ;
Mais attendu que l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, par l'interdiction générale et absolue qu'il édicte, instaure une restriction à la liberté d'expression qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10. 2 de la Convention susvisée ; qu'étant incompatible avec ces dispositions conventionnelles, il ne saurait servir de fondement à une condamnation pénale ;
D'où il suit que l'arrêt doit être annulé ; que par application de l'article 612-1 du Code de procédure pénale, il y a lieu d'en étendre les effets à Christian E..., Thierry F...et Jean-Pierre G... qui ne se sont pas pourvus ;
Par ces motifs :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 9 mars 2000 ;
Et vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Attendu qu'il ne reste rien à juger, les faits poursuivis ne pouvant être l'objet d'aucune incrimination ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 00-83608
Date de la décision : 16/01/2001
Sens de l'arrêt : Annulation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10.2 - Liberté d'expression - Presse - Publication d'informations relatives à une constitution de partie civile - Compatibilité (non).

PRESSE - Publication d'une information relative à une constitution de partie civile - Convention européenne des droits de l'homme - Article 10 - Compatibilité (non)

Le délit de publication, avant décision judiciaire, d'information relative à des constitutions de partie civile, prévu à l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, par l'interdiction générale et absolue qu'il prévoit, instaure une restriction à la liberté d'expression qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés à l'article 10.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; étant dès lors incompatible avec l'article 10 de la Convention précitée, l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 ne saurait servir de fondement à une condamnation pénale. (1).


Références :

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10.2
Loi du 02 juillet 1931 art. 2

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 09 mars 2000

CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Cour européenne des droits de l'homme Affaire X... et autre c/ France, 2000-10-03.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 jan. 2001, pourvoi n°00-83608, Bull. crim. criminel 2001 N° 10 p. 21
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2001 N° 10 p. 21

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : M. de Gouttes.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Karsenty.
Avocat(s) : Avocats : la SCP de Chaisemartin et Courjon, M. Bouthors.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2001:00.83608
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