Donne acte aux sociétés Lutz et Sécuritas du désistement partiel de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Contesse ;
Donne acte à M. X..., ès qualités de liquidateur de la société Frasgo de sa reprise d'instance ;
Joint les pourvois n°s 98-15.546 formé par les sociétés Lutz et Sécuritas et 98-16.103 formé par la société Arslan Gumrukleme Nakliye Ticaret qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, 17 janvier 1995, Bull n° 18), que la société de droit turc Arslan Gumrukleme Nakliye Ticaret Ve Sanayi As (le transporteur) a été chargée de transporter de Turquie en France des marchandises destinées à la société Frasgo (le destinataire) ; que ces marchandises ayant été détruites au cours de leur déplacement, le destinataire a assigné en réparation de ses dommages, devant le tribunal de commerce de Paris, le transporteur ; que celui-ci a appelé en garantie la société de droit allemand Contesse Handelsgesellchaft, son donneur d'ordre, la société de droit allemand Sécuritas Bremen, son assureur, la société de droit allemand Lutz, son courtier d'assurance, ainsi que le propriétaire du véhicule de transport ; que le transporteur a soulevé l'exception d'incompétence territoriale de la juridiction saisie au profit du tribunal de son domicile ; que la cour d'appel a rejeté l'exception d'incompétence, condamné le transporteur et son assureur à indemniser le destinataire de son préjudice et s'est déclarée incompétente pour connaître du recours intenté par le transporteur contre son assureur ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 98-15.546, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Sécuritas Bremem et la société Lutz reprochent à l'arrêt d'avoir dit le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l'action en responsabilité formée par le destinataire contre le transporteur et son assureur alors, selon le moyen :
1° que loin d'être en contradiction, les articles 31 de la CMR et 46 du nouveau Code de procédure civile doivent être appliqués en combinaison, le premier se bornant à attribuer, outre la compétence du lieu du domicile du défendeur, une compétence générale aux juridictions du pays sur le territoire duquel a eu lieu la prise en charge et de celui sur le territoire duquel est situé le lieu prévu pour la livraison, tandis que le second permet de déterminer, à l'intérieur de ce pays, la juridiction effectivement compétente ; qu'en l'absence de livraison effective, l'article 46 du nouveau Code de procédure civile n'attribue compétence qu'au lieu du domicile du défendeur ; qu'en déclarant compétent le tribunal de commerce de Paris que ne désignait aucune règle de compétence interne, la cour d'appel a violé les articles 31 de la CMR et 46 du nouveau Code de procédure civile ;
2° que l'article 31 de la CMR attribue expressément compétence aux juridictions du pays sur le territoire duquel le défendeur a sa résidence habituelle ou son siège principal ; qu'en énonçant que " la désignation des juridictions d'Istanbul, lieu du domicile du défendeur, serait contraire aux dispositions de l'article 31 de la CMR ", la cour d'appel a violé ce texte ;
3° qu'aucune règle de compétence interne ne désigne le tribunal du domicile du demandeur, ni ne permet de considérer " la localisation de la juridiction et la spécialisation de l'une de ses formations " ; qu'en fondant la compétence du tribunal de commerce de Paris sur de tels éléments inopérants, la cour d'appel a violé l'article 46 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir à bon droit, énoncé que le demandeur, autorisé, par application de l'article 31-1-b de la convention de Genève du 19 mai 1956 " CMR ", à saisir la juridiction du pays du lieu prévu pour la livraison, ne pouvait se voir privé de ce droit par l'absence d'une règle de droit interne reconnaissant ce critère de désignation du for, la cour d'appel, qui a considéré que la saisine du tribunal de commerce de Paris, dans le ressort duquel les marchandises auraient dû être livrées était conforme aux exigences d'une bonne administration de la justice, a, par ce seul motif et abstraction faite de celui qui est justement critiqué par la deuxième branche, justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 98-16.103, pris en ses deux branches :
Attendu que le transporteur reproche également à l'arrêt d'avoir jugé le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l'action en responsabilité formée par le destinataire contre le transporteur, alors, selon le moyen :
1° que sans contradiction avec l'article 46 du nouveau Code de procédure civile qui n'a pas le même objet, l'article 31 de la CMR, impose, pour parvenir à la désignation de la juridiction compétente, de mettre en oeuvre successivement et cumulativement d'abord la règle de compétence générale qu'il pose et qui a pour seul objet de déterminer l'Etat dont les tribunaux sont compétents et ensuite les règles de compétence internes de l'Etat ainsi désigné ; que dès lors, une juridiction française ne peut se déclarer compétente sur le seul fondement de l'article 31 de la CMR, quand sa compétence ne trouve aucun fondement dans les règles de compétence territoriale interne ; qu'en retenant néanmoins la compétence des juridictions françaises et particulièrement celle du tribunal de commerce de Paris, qui était exclue par nos règles internes de compétence territoriale, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 31 de la convention de Genève du 19 mai 1956, dite CMR ;
2° que pour les litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la CMR, le demandeur peut notamment saisir les juridictions du pays sur le territoire duquel le défendeur a sa résidence habituelle ou son siège principal ; qu'en retenant néanmoins, que la société Frasgo ne pouvait assigner la société Arslan transporteur ayant son siège principal en Turquie, au lieu de son domicile dès lors que l'article 31 de la CMR y faisait obstacle, la cour d'appel a violé ce texte ;
Mais attendu qu'en l'absence d'une règle de droit interne consacrant le critère de désignation du for prévu par l'article 31-1-b de la convention de Genève du 19 mai 1956 " CMR ", la juridiction saisie, qui ne peut refuser au demandeur le droit qu'il tient de ce texte de saisir une juridiction française, doit se reconnaître compétente dès lors qu'elle a un lien suffisant avec le litige et que sa saisine est conforme à une bonne administration de la justice ; qu'abstraction faite du motif justement critiqué par la seconde branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le second moyen du pourvoi n° 98-16.103 :
Attendu que la société Arslan reproche à la cour d'appel de s'être déclarée incompétente sur le recours en garantie dirigé contre son assureur la société Securitas, sur le fondement d'une clause attributive de compétence que l'article 12-4° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 excluait dès lors qu'il existait en l'espèce une obligation d'assurance à la charge du transporteur ;
Mais attendu que ce moyen n'a pas été invoqué devant la cour d'appel ; qu'il est nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable devant la Cour de Cassation ;
Mais sur le second moyen du pourvoi n° 98-15.546, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 3 du Code civil ;
Attendu que si l'action directe de la victime contre l'assureur du responsable est régie, en matière de responsabilité contractuelle comme en matière de responsabilité quasi délictuelle, par la loi du lieu du dommage, le régime juridique de l'assurance est soumis à la loi du contrat ;
Attendu que pour condamner la société d'assurances allemande Securitas à indemniser la société française Frasgo pour la perte, survenue en France en 1985, de marchandises au cours du transport exécuté par son assurée la société turque Arslan, l'arrêt attaqué énonce que l'assureur de responsabilité ne peut opposer au tiers lésé, en vertu de l'article R. 124-1 du Code des assurances, une déchéance fondée sur un manquement de l'assuré à ses obligations commis postérieurement au sinistre ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que cette question relevait de la loi régissant le contrat d'assurance dont il n'était pas jugé qu'il fût soumis à la loi française, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Sécuritas à indemniser la société Frasgo, l'arrêt rendu le 13 janvier 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.