CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- la compagnie Axa Assurances venant aux droits de la compagnie UAP, partie intervenante,
- X... Hélène, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, en date du 16 septembre 1999, qui, après avoir déclaré Gérard Y... et François Z... coupables d'homicide involontaire, a, notamment, déclaré irrecevable l'exception de non-garantie de la compagnie d'assurances UAP et prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I. Sur le pourvoi de la compagnie Axa Assurances venant aux droits de la compagnie UAP ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 124-4-6, L. 231-3-1 du Code du travail, 221-6, alinéa 1, 221-8 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, contradiction et défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François Z..., gérant de la société Deroct, coupable d'homicide involontaire par imprudence sur la personne d'Abdelkader A..., et en ce qu'il a déclaré la société Deroct, assurée auprès de la compagnie Axa Assurances, civilement responsable ;
" aux motifs que François Z..., gérant de la société Deroct, a, quant à lui, déclaré s'être adressé à une société d'intérim (Adia) qui lui fournissait un chauffeur (Abdelkader A...), qu'il a admis n'avoir donné aucune consigne particulière au chauffeur ainsi recruté, faisant valoir que les travaux devaient être effectués sous la seule responsabilité de l'entreprise Lafond-Laville ; que l'inspecteur du Travail a relevé que la victime, employée de travail temporaire occupée à la conduite d'un engin de chantier considéré comme dangereux, aurait dû bénéficier d'une formation à la sécurité renforcée ainsi que d'une information adaptée dans l'entreprise dans laquelle elle intervenait ; qu'il convient de relever que les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire et pour non-respect des règles relatives à l'hygiène et à la sécurité par la seule violation des articles 82 et 170 du décret du 8 janvier 1965 ; que les articles susvisés du décret concernant les seules mesures spécifiques devant être prises lors du retrait d'éléments du dispositif de soutènement, il en résulte que le prévenu François Z..., qui n'est intervenu à aucun titre sur le dispositif de soutènement, doit être relaxé de ce chef et le jugement réformé sur ce point ; qu'il incombait, toutefois, à François Z... de s'assurer que le salarié mis par lui à la disposition de la société Lafond-Laville pour effectuer un travail par nature dangereux, avait bénéficié d'une formation appropriée à la sécurité et avait été informé de manière suffisante sur le travail à effectuer ; qu'il résulte de la procédure et des débats que l'accident a son origine dans une méconnaissance des risques encourus par la victime et, par voie de conséquence, la mise en oeuvre d'un mode opératoire inadapté ; que l'accident n'a été rendu possible que par une formation et une information insuffisantes à la sécurité, l'absence de prise en compte des capacités propres de l'ouvrier concerné à mettre en oeuvre les précautions nécessaires pour assurer sa propre sécurité, la simple recommandation verbale faite par le prévenu à la victime de " faire attention " étant à l'évidence insuffisante eu égard à la nature des travaux en cours ; que le prévenu François Z... qui n'a pas ainsi accompli les diligences normales lui incombant au regard de ses missions, de ses fonctions et de ses compétences et eu égard aux pouvoirs et moyens dont il disposait, a bien ainsi commis une faute d'imprudence et négligence qui a concouru à la réalisation de l'accident ; que le jugement déféré en ce qu'il l'a déclaré coupable d'homicide involontaire, doit être confirmé ; qu'en outre, il convient de relever que l'accident est intervenu au cours de l'exécution de travaux de terrassement incombant à la société Lafond-Laville, que l'entreprise Deroct est intervenue à la seule demande de ladite entreprise, que Gérard Y... a précisé que les modalités du travail aient été élaborées entre le chef de chantier de son entreprise et François Z..., que cette déclaration a été confirmée par le chef de chantier et Robert B..., conducteur de travaux, qui ont affirmé avoir donné des consignes à la victime ; qu'il résulte ainsi de la procédure que la société Lafond-Laville avait bien la direction et le contrôle des opérations de terrassement et se devait par là même d'assurer la sécurité des ouvriers travaillant dans ce cadre ;
" alors, d'une part, que, pendant la durée de la mission du salarié mis à disposition, en l'absence de travail en commun, l'entreprise utilisatrice est seule responsable de la formation appropriée dudit salarié ainsi que de son information sur le travail à exécuter ; qu'en faisant peser cette obligation sur l'entreprise Deroct qui n'était ni l'employeur habituel d'Abdelkader A... ni l'entreprise utilisatrice, laquelle ne participait en aucune façon au chantier placé sous le contrôle et la garde de la société Lafond-Laville, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 124-4-6 et L. 231-3-1 du Code du travail ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel a laissé dépourvus de toute réponse les chefs péremptoires des conclusions de la demanderesse qui faisaient valoir qu'Abdelkader A..., salarié de la société d'intérim Adia, jouissait d'une expérience de 15 ans dans la conduite des engins de travaux et avait même exercé en cette qualité à son propre compte, ce dont il résultait que la société Deroct, simple intermédiaire ayant fourni une pelle hydraulique " avec chauffeur " à l'entreprise utilisatrice Lafond-Laville, n'était susceptible de lui prodiguer aucune autre formation que celle dont il disposait déjà, de sorte que le grief d'insuffisance de formation n'était nullement constitué " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Lafond-Laville, chargée de travaux de terrassement, a fait effectuer certaines tâches spécifiques par la société Deroct ; qu'au cours de l'exécution de ces tâches, un salarié intérimaire, qui avait été mis à la disposition de la société Deroct par l'entreprise de travail temporaire Adia, a été mortellement blessé par l'effondrement d'une dalle de béton alors qu'il manoeuvrait une pelle hydraulique ;
Attendu que, pour dire le délit d'homicide involontaire caractérisé à l'encontre de François Z..., gérant de la société Deroct, la cour d'appel retient, notamment, que celui-ci ne s'est pas assuré que le salarié, appelé à effectuer un travail par nature dangereux, " avait bénéficié d'une formation appropriée à la sécurité et avait été informé de manière suffisante sur le travail à effectuer " ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, et dès lors que la société Deroct, qui avait conclu un contrat de mise à disposition avec la société Adia, avait la qualité d'entreprise utilisatrice au sens de l'article L. 124-4-6 du Code du travail, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, L. 434-7, L. 438-8, L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, 385-1, 1520 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut et contradiction de motifs :
" en ce que la cour d'appel a déclaré irrecevable l'exception de non-garantie soulevée par la compagnie Axa Assurances ;
" aux motifs qu'il résulte de l'article 385-1 du Code de procédure pénale que l'exception fondée sur une cause de nullité ou sur une clause du contrat d'assurances doit être présentée avant toute défense au fond et n'est recevable qu'autant qu'elle est de nature à exonérer totalement l'assureur de son obligation de garantie ; qu'il en résulte que l'exception de non-garantie de la compagnie d'assurances UAP présentée à titre " infiniment subsidiaire " et tendant à une exonération partielle de garantie, est irrecevable ;
" alors, d'une part, que ni les parties civiles, ni aucune autre partie n'avait opposé à l'assureur en première instance ou en appel la fin de non-recevoir tirée de ce que son exception de non-garantie n'avait pas été présentée avant toute défense au fond ; qu'en relevant ce moyen d'office sans provoquer un débat contradictoire préalable, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 385-1 du Code de procédure pénale ;
" alors, d'autre part, que l'exception présentée par la compagnie Axa Assurances, totalement exonératoire de son obligation de garantie, était recevable même si elle était limitée à une seule partie civile, à savoir la concubine d'Abdelkader A..., puisque aussi bien la garantie consentie à la société Deroct ne concernait que l'indemnisation des ayants droit au sens où l'entendent les articles L. 452-3 et L. 434-8 du Code de la sécurité sociale " ;
Vu l'article 385-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte du premier alinéa de ce texte que, lorsqu'il intervient ou qu'il est mis en cause devant la juridiction pénale, l'assureur peut présenter toute exception de nature à l'exonérer totalement de son obligation de garantie à l'égard des tiers ; que seule l'exception tendant à le mettre hors de cause doit être soulevée par lui avant toute défense au fond ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le père, les frères et les soeurs de la victime ainsi que la concubine de celle-ci se sont constitués partie civile ; que, tant devant les juges du premier degré que devant la cour d'appel, la compagnie UAP, assureur de la société Deroct, a soutenu qu'elle ne garantissait pas l'indemnisation du préjudice subi par la concubine, dès lors que, selon les clauses du contrat d'assurance, seule entrait dans le domaine de la garantie l'indemnisation complémentaire due, en vertu de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à la victime ou à ses ayants droit, au nombre desquels ne figure pas le concubin ;
Attendu que, pour déclarer cette exception irrecevable, la cour d'appel énonce qu'en méconnaissance de l'article 385-1 du Code de procédure pénale, elle a été présentée à titre " infiniment subsidiaire " et qu'elle ne tendait au surplus qu'à une " exonération partielle de garantie " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'exception de non-assurance, qui n'avait été opposée par l'assureur du prévenu qu'à l'une des parties civiles, ne tendait pas à sa mise hors de cause et n'avait donc pas à être invoquée avant toute défense au fond, la cour d'appel, qui aurait dû examiner le bien-fondé de cette exception, laquelle était de nature à exonérer totalement l'assureur de son obligation de garantie à l'égard d'un tiers, a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
II. Sur le pourvoi d'Hélène X... ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé à Hélène X... l'indemnisation du préjudice matériel qu'elle a subi du fait de la disparition de son concubin ;
" aux motifs que c'est à bon droit et par des motifs qu'il convient d'adopter que les premiers juges ont rejeté les demandes au titre de réparation des préjudices matériels sollicités par la partie civile Hélène X... ;
" alors que tout jugement ou arrêt correctionnel doit être motivé ; qu'en se bornant à confirmer la décision des premiers juges qui, pour débouter Hélène X... de sa demande d'indemnisation de son préjudice matériel, avaient relevé qu'elle ne justifiait par aucune pièce du montant du budget du couple et de la perte de ressources qu'elle subirait, bien qu'en cause d'appel, Hélène X... ait versé aux débats les justificatifs des revenus de son concubin disparu et de sa propre absence de revenus et se soit référée de façon précise à ces pièces, dans ses conclusions régulièrement versées, pour indiquer le montant de la perte de ressources, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision " ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ;
Attendu que, devant le tribunal correctionnel, Hélène X..., concubine de la victime, a demandé réparation de son préjudice matériel ; que les juges du premier degré l'ont déboutée de cette demande aux motifs qu'elle ne produisait " aucune pièce permettant d'apprécier le budget du couple et de déterminer précisément la perte de ressources subie " par elle ;
Attendu que, sur l'appel de la partie civile, les juges du second degré ont confirmé sur ce point le jugement entrepris après en avoir adopté les motifs ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la partie civile faisait état dans ses conclusions devant la cour d'appel de diverses pièces, versées aux débats, contenant des éléments d'appréciation dont l'absence avait été constatée par les premiers juges, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 500 du Code de procédure pénale :
" en ce que la cour d'appel a déclaré irrecevable l'appel d'Hélène X... en date du 4 juin 1998 ;
" aux motifs que, le 25 mai 1998, Hélène X..., partie civile, a relevé appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de réparation du préjudice matériel, que postérieurement, le 4 juin 1998, elle a relevé appel de l'ensemble des dispositions civiles du jugement la concernant ; qu'il convient de déclarer le second appel irrecevable, la partie civile ayant épuisé son droit à recours par l'exercice qu'elle en avait déjà fait ;
" alors que l'appel interjeté par une partie contre certaines dispositions d'un jugement ne la prive pas du droit de former ultérieurement un appel incident contre d'autres dispositions de celui-ci durant le délai prévu par l'article 500 du Code de procédure pénale " ;
Vu l'article 496 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'aucune disposition légale n'interdit à une partie d'interjeter appel par 2 déclarations successives, dès lors qu'elles interviennent dans le délai légal et ne portent pas sur les mêmes dispositions du jugement entrepris ;
Attendu qu'il résulte des pièces de procédure que, par déclaration en date du 25 mai 1998, Hélène X..., partie civile, a interjeté appel du jugement rendu contradictoirement le 22 mai 1998 par le tribunal correctionnel mais uniquement en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en réparation du préjudice matériel ; qu'après que les prévenus eurent relevé appel, les 26 et 29 mai suivants, la partie civile a effectué, le 4 juin, une seconde déclaration d'appel visant toutes les dispositions civiles du jugement ; que, devant la cour d'appel, elle a demandé, notamment, que l'indemnité fixée par le tribunal correctionnel en réparation de son préjudice moral soit augmentée ;
Attendu que, pour refuser de prononcer sur cette demande, la cour d'appel énonce que, la partie civile ayant épuisé son droit de recours par l'usage qu'elle en avait fait, le second appel interjeté par elle est irrecevable ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que cet appel, formé dans le délai prévu par l'article 500 du Code de procédure pénale, portait sur des dispositions du jugement qui n'avait pas fait l'objet du premier recours, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, sur les pourvois des demanderesses, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 16 septembre 1999, mais uniquement en ses dispositions déclarant irrecevable l'exception de non-garantie de la compagnie d'assurances UAP et en celles prononçant sur les demandes d'Hélène X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.