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13/12/2000 | FRANCE | N°00-82617

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 décembre 2000, 00-82617


REJET et CASSATION PARTIELLE sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X..., Y..., le procureur général près la cour d'appel de Montpellier,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de ladite cour d'appel, en date du 18 janvier 2000, qui, dans l'information suivie contre X..., Y... et autres des chefs de prise illégale d'intérêts et complicité, a constaté l'incompétence du juge d'instruction et a statué sur des requêtes en annulation de la procédure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 3 mai 2000, joignant les pourvois et

prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits en demande et...

REJET et CASSATION PARTIELLE sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X..., Y..., le procureur général près la cour d'appel de Montpellier,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de ladite cour d'appel, en date du 18 janvier 2000, qui, dans l'information suivie contre X..., Y... et autres des chefs de prise illégale d'intérêts et complicité, a constaté l'incompétence du juge d'instruction et a statué sur des requêtes en annulation de la procédure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 3 mai 2000, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur la recevabilité du mémoire du procureur général contestée en défense ;
Attendu que la recevabilité du mémoire du procureur général ne saurait être contestée, dès lors que l'ordonnance du 3 mai 2000, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat, ne lui avait fixé aucun délai pour déposer ses moyens de cassation ; qu'en outre le mémoire du procureur général ayant été déposé avant même l'expiration du délai accordé aux autres demandeurs pour présenter leurs propres observations, aucune atteinte n'a été portée aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Sur le fond :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'un domaine, dit Z..., situé sur la commune de Castelnou (Pyrénées-Orientales) a été adjugé le 21 août 1995, au cours d'une vente judiciaire, à une société civile immobilière A..., puis sur surenchère à Y... ; qu'à ce dernier a été substituée la SCEA B... dont C..., maire de Castelnou, et Y... étaient les associés ; que, le 27 novembre 1995, la SAFER du Languedoc-Roussillon a exercé son droit de préemption sur ce bien à l'acquisition duquel les consorts D... et la société B... se sont portés candidats ; que le domaine a été en définitive attribué à cette société ;
Que les consorts D...- E... ont déposé plainte avec constitution de partie civile en reprochant au maire de la commune d'avoir participé aux délibérations du conseil municipal visant à favoriser auprès de la SAFER la société B..., dont il était l'associé majoritaire, et en dénonçant les pressions aux mêmes fins exercées par le ministre de la Justice par l'intermédiaire du préfet des Pyrénées-Orientales ;
Que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Perpignan a requis, le 8 juillet 1998, l'ouverture d'une information contre personne non dénommée du chef de prise illégale d'intérêts et a délivré, le 2 décembre 1998, un réquisitoire supplétif du chef de complicité de ce délit ; qu'au cours de l'information, C... a été mis en examen pour prise illégale d'intérêts, F..., ancien préfet des Pyrénées-Orientales, G..., directeur de cabinet du préfet, H..., directeur régional de la SAFER du Languedoc-Roussillon, X..., ancien ministre de la Justice, I..., ancien chef de cabinet de ce dernier et Y..., ont été mis en examen du chef de complicité de prise illégale d'intérêts ;
Que, les 14 et 19 octobre 1999, les consorts D...- E... et Y... ont saisi la chambre d'accusation de requêtes en annulation de la procédure et que, devant la chambre d'accusation, X... et G... ont déposé des mémoires en nullité ;
Attendu que, par l'arrêt attaqué, la chambre d'accusation a constaté l'incompétence du juge d'instruction en ce qui concerne les faits reprochés à X..., annulé l'avis de mise en examen adressé à ce dernier et a rejeté les autres demandes aux fins d'annulation de la procédure ;
En cet état :
Sur le moyen unique de cassation proposé pour X..., pris de la violation des articles 11, 49, 50, 51, 52, 76, 83, 84, 92, 93, 94, 151, 170, 171, 173, 174, 206 et 802 du Code de procédure pénale, 226-13 et 226-14 du Code pénal, 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté comme mal fondée la demande présentée par X... en annulation de la perquisition du 21 octobre 1999 (D 309) opérée par Francis Boyer, magistrat instructeur, et des actes subséquents, et a ordonné le retour de la procédure au magistrat instructeur ;
" aux motifs que la Cour ayant fait droit à la branche principale du moyen, il n'y a pas lieu d'examiner la demande très subsidiaire ; qu'il sera simplement noté qu'une violation de l'article 11 du Code de procédure pénale, à la supposer constituée, a pu être commise par des personnes non tenues au secret de l'instruction ; qu'au surplus, la violation du secret de l'instruction, à la supposer établie, ne peut entraîner l'annulation de la procédure dès lors qu'elle est extérieure à celle-ci ; qu'elle ouvre seulement droit, pour celui qui s'en prétend la victime, au recours prévu par l'article 9-1 du Code civil ;
" alors que, d'une part, en affirmant qu'une violation de l'article 11 du Code de procédure pénale a pu être commise par des personnes non tenues au secret de l'instruction, la cour d'appel, qui a statué par un motif totalement hypothétique, a privé sa décision de toute base légale ;
" alors que, d'autre part, la violation du secret de l'instruction ne peut être considérée comme étant extérieure à la procédure en cours dès lors qu'elle résulte de la présence, lors d'une perquisition, de personnes étrangères à l'instruction qui ont pris une part active à cette mesure coercitive ; que, dans le cadre de l'information menée par Francis Boyer, juge d'instruction à Perpignan, désigné par une ordonnance du 8 août 1998 de M. le vice-président du tribunal de grande instance de Perpignan (D 48), une perquisition s'est déroulée le 22 octobre 1999 au domicile parisien de X..., en présence, selon les propres termes du procès-verbal de transport dressé le jour même (D 309), de " Mme Eva Joly, premier juge d'instruction, M. Serge Rengere, greffier, M. de J..., commissaire de police à la brigade financière de la préfecture de police de Paris, M. Gérard K..., lieutenant à la brigade financière de la préfecture de police de Paris, MM. Pierre L... et Eric M..., officiers de police chargés de la protection rapprochée de Mme Eva Joly ", lesquels ont participé activement au déroulement de cette mesure coercitive ; qu'en considérant que la violation du secret de l'instruction était restée extérieure à la procédure de l'information menée par le juge d'instruction Boyer, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;
" alors, de troisième part, qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si la présence active, lors de la perquisition du 21 octobre 1999 menée au domicile de X... par le juge d'instruction Boyer, seul en charge de l'instruction par acte de désignation de M. le vice-président du tribunal de grande instance de Perpignan en date du 8 août 1998 (D 48), d'un autre magistrat instructeur nullement habilité à agir dans le cadre de cette information, de ses gardes du corps et d'officiers de police judiciaire non munis de commissions rogatoires délivrées par le juge d'instruction Boyer, n'était pas contraire aux autres règles de la procédure pénale et n'entachait pas de nullité les opérations et les actes subséquents ainsi réalisés, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;
" alors, enfin, qu'en ne recherchant pas davantage si la présence simultanée après concertation préalable de 2 magistrats instructeurs chargés d'informations distinctes n'était pas contraire aux règles de la procédure pénale et ne constituait pas une entraide illicite, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 21 octobre 1999, à 7 heures 00, M. Boyer, juge d'instruction à Perpignan, s'est présenté, avec son greffier, au domicile de X... à Paris, pour y effectuer une perquisition ; que Mme Joly, premier juge d'instruction à Paris, accompagnée d'officiers de police judiciaire, notamment de la brigade financière de la préfecture de police de Paris, s'est également présentée pour procéder à une perquisition dans le cadre d'une information distincte ; que le procès-verbal comporte la mention que les opérations seront effectuées " sans interpellation entre les équipes et sans concertation entre les juges, autres que le relevé des identités des personnes présentes " ; que, par ailleurs, les juges d'instruction ont indiqué à X... qu'ils n'entendaient pas exercer à son égard de mesure coercitive et que ce dernier, après avoir désigné des témoins pour le représenter, n'a pas assisté à la perquisition ;
Attendu que, pour rejeter la demande de nullité qui lui a été présentée, la chambre d'accusation se prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'aucune disposition du Code de procédure pénale n'interdit à deux juges d'instruction, chargés d'informations distinctes, de procéder simultanément, en un même lieu, à une perquisition, avec l'assistance de personnes concourant aux procédures, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes invoqués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Y..., pris de la violation des articles 14, 49, 51, 81, 93, 151, 152, 154 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la chambre d'accusation a rejeté la requête en nullité de Y... ;
" aux motifs que, pour solliciter l'annulation de sa garde à vue et de tous les actes subséquents, Y... considère qu'en le faisant interroger par la police judiciaire après son placement en garde à vue, alors qu'il se trouvait sur place et qu'il assistait même à cette garde à vue, le juge d'instruction a violé l'article 81, alinéa 4, du Code de procédure pénale qui dispose qu'une commission rogatoire ne peut être délivrée que dans l'hypothèse où le magistrat instructeur se trouve empêché d'effectuer lui-même les actes prescrits ; que le mandant peut surveiller le mandataire ; que le fait que le délégant soit là ne dessaisit pas, automatiquement, le délégataire ; que, si le juge mandant a assisté, sans intervention de sa part, à tout ou partie de l'audition de Y..., celui-ci ne saurait se plaindre de cette présence qui constituait pour lui une garantie supplémentaire du bon déroulement de sa garde à vue ; qu'il importe de noter que le juge n'a procédé à Paris, à aucune audition au fond de Y..., qu'il n'entendra que le 21 juin 1999, à Perpignan, avec son avocat, dans les formes de l'article 116 du Code de procédure pénale ;
" alors que le juge d'instruction doit procéder lui-même aux actes d'instruction chaque fois qu'il est en mesure de le faire ; que, par suite, l'officier de police judiciaire rogatoirement commis ne peut procéder lui-même à l'audition d'une partie, placée en garde à vue, en présence du juge d'instruction ; qu'en l'espèce, il résulte du procès-verbal de transport sur les lieux (D 100) que le juge d'instruction, qui s'était spécialement transporté de Perpignan à Paris pour effectuer des perquisitions au domicile et aux locaux commerciaux de Y..., était présent lors de l'audition sous serment et par un officier de police judiciaire de Y... et par conséquent qu'il ne se trouvait nullement empêché d'effectuer lui-même cet acte ; qu'effectuée par une personne qui n'avait plus compétence, l'audition était nécessairement entachée de nullité " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le juge d'instruction saisi a donné commission rogatoire au SRPJ de Perpignan pour procéder à des actes d'instruction et lui a demandé de l'assister le 24 février 1999, lors de son transport à Paris et de la perquisition au domicile et dans les locaux commerciaux de Y... ; qu'en présence du juge d'instruction, Y... a été placé en garde à vue et entendu par un officier de police judiciaire, délégataire de la commission rogatoire ;
Attendu que, pour écarter la demande de nullité présentée par Y..., la chambre d'accusation se prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'officier de police judiciaire commis exerce dans les limites de la commission rogatoire tous les pouvoirs du juge d'instruction, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Mais sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 20, 68-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, 1er et suivants de la loi organique du 27 novembre 1993, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut de motifs, manque de base légale :
Vu l'article 68-1 de la Constitution ;
Attendu que, selon ce texte, la compétence de la Cour de justice de la République est limitée aux actes constituant des crimes ou délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions et qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat, relevant de leurs attributions ; qu'elle ne s'étend pas aux faits commis à l'occasion de l'exercice d'une activité ministérielle ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que X... a été mis en examen pour s'être rendu complice, courant 1995 et 1996, du délit de prise illégale d'intérêts commis par C..., maire de la commune de Castelnou, en ayant, à l'occasion de ses fonctions de ministre de la Justice, exercé des interventions par l'intermédiaire du préfet des Pyrénées-Orientales et de son directeur de cabinet et par l'intermédiaire de son propre chef de cabinet, en vue d'interdire la préemption par la SAFER Languedoc-Roussillon du domaine adjugé à la barre du tribunal de grande instance de Perpignan à Y... et favorisé la rétrocession par la SAFER de ce bien à la SCEA de B..., dans laquelle ce dernier était associé avec C... ;
Attendu que, pour accueillir l'exception d'incompétence du juge d'instruction, la chambre d'accusation après avoir relevé que Y... était connu du ministre à titre privé, énonce que " si l'intervention critiquée ne s'inscrivait pas nécessairement dans la conduite du ministère confié à X..., il est difficile de soutenir qu'elle était tout à fait étrangère à l'exercice de l'activité ministérielle dans ses composantes politiques et administratives ; qu'il existe donc en la cause, un lien entre l'acte reproché et la fonction de ministre " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il ne résulte pas de ses constatations que les faits reprochés se rattachaient directement à l'exercice par X... de ses fonctions de ministre de la Justice et avaient un lien direct avec la détermination de la conduite des affaires de l'Etat, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du texte et du principe susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
I. Sur les pourvois de X... et de Y... :
Les REJETTE ;
II. Sur le pourvoi du procureur général :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier, en date du 18 janvier 2000, en ses seules dispositions ayant constaté l'incompétence du juge d'instruction et prononcé l'annulation de l'avis de mise en examen adressé le 28 octobre 1999 à X..., toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;
Et attendu qu'il ne reste rien à juger ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 00-82617
Date de la décision : 13/12/2000
Sens de l'arrêt : Rejet et cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

COUR DE JUSTICE DE LA REPUBLIQUE - Compétence - Membres du Gouvernement - Crimes et délits commis dans l'exercice des fonctions - Définition.

COMPETENCE - Compétence personnelle - Cour de justice de la République - Membres du Gouvernement - Crimes et délits commis dans l'exercice des fonctions - Définition

La compétence de la Cour de justice de la République, selon l'article 68-1 de la Constitution, est limitée aux actes constituant des crimes ou délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions et qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat, relevant de leurs attributions ; elle ne s'étend pas aux faits commis à l'occasion de l'exercice d'une activité ministérielle. (1).


Références :

Constitution du 04 octobre 1958 art. 68-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier (chambre d'accusation), 18 janvier 2000

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 2000-02-16, Bulletin criminel 2000, n° 72 (1°), p. 199 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 déc. 2000, pourvoi n°00-82617, Bull. crim. criminel 2000 N° 375 p. 1143
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2000 N° 375 p. 1143

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : Mme Fromont.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Schumacher.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Vier et Barthélemy, la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 07/09/2012
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2000:00.82617
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