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28/03/2000 | FRANCE | N°98-86886

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 mars 2000, 98-86886


CASSATION sur les pourvois formés par,
1° le procureur général près la cour d'appel de Paris ;
2° X... Lionel, Y... Michelle, Z..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 20e chambre, en date du 8 octobre 1998, qui, dans la procédure suivie contre Nicole A... épouse B..., et Anne-Marie C... du chef d'homicide involontaire et délivrance sans ordonnance d'un médicament renfermant des substances vénéneuses, les a renvoyées des fins de la poursuite et a débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de

la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le mo...

CASSATION sur les pourvois formés par,
1° le procureur général près la cour d'appel de Paris ;
2° X... Lionel, Y... Michelle, Z..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 20e chambre, en date du 8 octobre 1998, qui, dans la procédure suivie contre Nicole A... épouse B..., et Anne-Marie C... du chef d'homicide involontaire et délivrance sans ordonnance d'un médicament renfermant des substances vénéneuses, les a renvoyées des fins de la poursuite et a débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général près la cour d'appel de Paris, et pris de la violation des articles 388, 512, 516 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs, manque de base légale ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Lionel X... et Michelle Y..., et pris de la violation des articles 319 et 320 anciens, 221-6 à 221-10, 112-4 du Code pénal, 388, 592 et 593 du Code de procédure pénale, L. 626 du Code de la santé publique, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a relaxé les prévenues des fins de la poursuite et a en conséquence déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Michelle Y... et de Lionel X... ;
" aux motifs que "Julien C..., qui avec Taël Y..., a procédé à l'achat du paquet de cigarettes "E..." retrouvé au domicile de Michelle Y..., a décrit avec précision l'itinéraire suivi avec son ami pour parvenir à la pharmacie de la rue Linné, exploitée par Nicole B..., il a déclaré formellement reconnaître la pharmacienne et son assistante, sans jamais varier dans ses déclarations sur ce point ; si Nicole B... et son assistante contestent avoir vendu ce paquet de cigarettes précisément, elles ont reconnu, alors que ces ventes sont rares, en délivrer en l'absence de prescription médicale, et les vérifications effectuées par le magistrat instructeur ou à sa demande sont venues conforter les déclarations faites par Julien C... qui établissent sans contestation aucune que les cigarettes "E" utilisées en décoction par les trois jeunes gens le 15 juillet 1992 dans l'après-midi, proviennent d'un paquet délivré irrégulièrement le même jour par la pharmacie B... ; toutefois, si entendus par le magistrat instructeur au cours des mois de février et de mars 1995, soit deux ans et demi après les faits, Julien C... et Dimitri D... revenant sur des déclarations réitérées devant la police alors que le corps de la victime n'avait pas encore été retrouvé, ont alors nié avoir consommé des boissons alcoolisées au cours de la soirée du 15 juillet 1992 et que Dimitri D... qui avait affirmé avoir été agressé et donné un signalement de ses agresseurs, a nié l'existence de cette agression, l'hypothèse d'une forte ingestion d'alcool par Taël Y... et ses amis ne peut être exclue, par l'apparition après la mort de Taël Y... d'une alcoolémie endogène provenant de la fermentation des sucres ; mais surtout les circonstances de la chute de Taël Y... dans la pièce d'eau étant totalement inconnues, il ne résulte des pièces de la procédure et des débats aucun élément permettant à la Cour d'affirmer que Taël Y... s'est jeté, ou est tombé à l'eau, par l'effet d'hallucinations ou de troubles comportementaux provoqués par l'ingestion de la décoction de feuilles de datura, seule, ou associée aux effets d'autres toxiques tels que l'alcool et le trétrahydrocannabinol provenant de l'usage de cannabis ; en l'absence d'un lien de causalité clairement identifié entre la faute établie, commise par les pharmaciens, et la mort de la victime, le délit d'homicide involontaire ne peut être constitué ; le jugement entrepris doit donc être infirmé et les prévenues renvoyées des fins de la poursuite sans peine ni dépens, la délivrance sans ordonnance de cigarettes datura inscrites à la liste II n'ayant pas été poursuivie comme une infraction indépendante mais comme un élément constitutif du délit d'homicide volontaire ; par l'effet de cette décision de relaxe, les demandes des parties civiles devenues irrecevables doivent être rejetées ;
" 1° alors que, d'une part, la dangerosité d'un médicament à base de datura utilisé sous forme de décoction, qui figure sur la liste II classant les substances vénéneuses, est notoire et ne peut échapper à la connaissance des pharmaciens qui ne peuvent délivrer une telle substance à base de poison sans en ignorer les effets ; qu'ainsi, la remise par des pharmaciennes de cigarettes à base de datura à un jeune lycéen de passage qui n'était porteur d'aucune prescription médicale et dont il n'est pas contesté qu'il a bien absorbé la décoction empoisonnée, suffit à caractériser, le lien de causalité avec le décès de ce dernier ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;
" 2° alors que, d'autre part, la faute d'imprudence ou de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, inclut un principe de précaution gouvernant les actes des professionnels de la santé ; que la cour d'appel ne pouvait ainsi exclure tout lien de causalité entre le décès d'un lycéen qui n'indiquait et ne présentait aucun signe particulier de pathologie asthmatique ou de dépendance toxique et la vente, interdite à défaut d'ordonnance médicale, d'une spécialité pour asthmatiques composée de substances dangereuses et dont l'usage détourné est connu, sans rechercher si l'absence de vigilance des pharmaciennes diplômées, retenue par les premiers juges, n'étaient pas à l'origine de la mort du jeune homme ;
" 3° alors que, encore, la cour d'appel, légalement saisie par l'ordonnance de renvoi du chef pour les prévenues d'avoir involontairement provoqué la mort du jeune Taël par imprudence ou "manquement à une obligation de sécurité et de prudence imposée par la loi ou les règlements, en l'espèce, en délivrant un médicament inscrit sur la liste II sans ordonnance, fait prévu et puni par l'article 626 du Code de la santé publique" ne pouvait tenir pour non établie la faute des pharmaciennes ayant délivré un médicament de la liste II sans ordonnance, et s'abstenir d'appliquer la sanction prévue pour cette infraction ; qu'ainsi, en entrant en voie de relaxe, la cour d'appel a refusé d'exercer ses pouvoirs en violation de l'article 388 du Code de procédure pénale " ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour le Z..., et pris de la violation des articles 388, 512 et 593 du Code de procédure pénale, L. 626 du Code de la santé publique, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a relaxé les prévenues des fins de la poursuite et en conséquence déclaré irrecevable la constitution de partie civile du Z... ;
" aux motifs que "Julien C..., qui avec Taël Y..., a procédé à l'achat du paquet de cigarettes "E" retrouvé au domicile de Michelle Y..., a décrit avec précision l'itinéraire suivi avec son ami pour parvenir à la pharmacie de la rue Linné, exploitée par Nicole B..., il a déclaré formellement reconnaître la pharmacienne et son assistante, sans jamais varier dans ses déclarations sur ce point ; si Nicole B... et son assistante contestent avoir vendu ce paquet de cigarettes précisément, elles ont reconnu alors que ces ventes sont rares, en délivrer en l'absence de prescription médicale, et les vérifications effectuées par le magistrat instructeur ou à sa demande sont venues conforter les déclarations faites par Julien C... qui établissent sans contestation aucune que les cigarettes "E" utilisées en décoction par les trois jeunes gens le 15 juillet 1992 dans l'après-midi, proviennent d'un paquet délivré irrégulièrement le même jour par la pharmacie B... ; toutefois, si entendus par le magistrat instructeur au cours des mois de février et de mars 1995, soit deux ans et demi après les faits, Julien C... et Dimitri D... revenant sur des déclarations réitérées devant la police alors que le corps de la victime n'avait pas encore été retrouvé, ont alors nié avoir consommé des boissons alcoolisées au cours de la soirée du 15 juillet 1992 et que Dimitri D... qui avait affirmé avoir été agressé et donné un signalement de ses agresseurs, a nié l'existence de cette agression, l'hypothèse d'une forte ingestion d'alcool par Taël Y... et ses amis ne peut être exclue, par l'apparition après la mort de Taël Y... d'une alcoolémie endogène provenant de la fermentation des sucres ; mais surtout les circonstances de la chute de Taël Y... dans la pièce d'eau étant totalement inconnues, il ne résulte des pièces de la procédure et des débats aucun élément permettant à la Cour d'affirmer que Taël Y... s'est jeté, ou est tombé à l'eau, par l'effet d'hallucinations ou de troubles comportementaux provoqués par l'ingestion de la décoction de feuilles de datura, seule, ou associée aux effets d'autres toxiques tels que l'alcool et le trétrahydrocannabinol provenant de l'usage de cannabis ; en l'absence d'un lien de causalité clairement identifié entre la faute établie, commise par les pharmaciens, et la mort de la victime, le délit d'homicide involontaire ne peut être constitué ; le jugement entrepris doit donc être infirmé et les prévenues renvoyées des fins de la poursuite sans peine ni dépens, la délivrance sans ordonnance de cigarettes datura inscrites à la liste II n'ayant pas été poursuivie comme une infraction indépendante mais comme un élément constitutif du délit d'homicide volontaire ; par l'effet de cette décision de relaxe, les demandes des parties civiles devenues irrecevables doivent être rejetées ;
" alors que la juridiction de jugement est saisie in rem par l'ordonnance de renvoi et qu'il lui incombe de donner aux faits toute autre qualification que celle figurant dans l'ordonnance ou dans la plainte, à la seule condition d'être saisie par le titre initial de la poursuite de tous les éléments de fait du délit qu'il s'agit de substituer à celui qui y était mentionné, de sorte qu'elle ne peut prononcer une décision de relaxe qu'après avoir vérifié que les faits dont elle est saisie, ne sont constitutifs d'aucune infraction ; d'où il suit qu'en écartant la qualification de délivrance d'une substance vénéneuse sans ordonnance au seul motif que ces faits n'étaient poursuivis que comme un élément constitutif du délit d'homicide involontaire, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 388 du Code de procédure pénale, ensemble les articles L. 626 et R. 5193 du Code de la santé publique, 319 ancien et 221-6 du Code pénal ;
Attendu que le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Taël Y... s'est noyé dans un plan d'eau, à l'âge de 18 ans, quelques heures après avoir ingéré, avec deux camarades, une décoction de cigarettes " E", préparation médicamenteuse renfermant de la stramoine ou datura, substance vénéneuse inscrite sur la liste II définie à l'article R. 5204 du Code de la santé publique, que leur avaient délivrées, en l'absence de toute prescription médicale, Anne-Marie C..., pharmacienne assistante dans l'officine dont est titulaire Nicole A, épouse B... ;
Que, selon l'autopsie, la victime n'a pas subi préalablement à sa noyade de violences matérialisées par des lésions ; qu'une expertise a révélé la présence dans son organisme de scopolamine et de hyoscyamine, principes actifs de la stramoine, à des taux de concentration supérieurs à ceux qui sont admis dans un but thérapeutique ; que les deux camarades de la victime, seuls témoins de son comportement avant les faits, ont déclaré l'avoir vu s'éloigner, avant d'être eux-mêmes victimes d'hallucinations ;
Que, mises en examen des chefs de délivrance sans ordonnance d'un médicament inscrit sur la liste II et d'homicide involontaire, Nicole B... et Anne-Marie C... ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'avoir, en délivrant sans ordonnance un médicament inscrit sur la liste II des substances dangereuses définies aux articles R. 5149 et R. 5204 du Code de la santé publique, involontairement causé la mort de Taël Y... ;
Attendu que, pour renvoyer les prévenues des fins de la poursuite, l'arrêt attaqué, après avoir observé que le fait d'avoir contrevenu aux dispositions concernant la cession de plantes classées comme vénéneuses par voie réglementaire n'a été compris dans la poursuite que comme élément constitutif du délit d'homicide involontaire, énonce " qu'en l'absence d'un lien de causalité clairement identifié " entre cette faute établie et la mort de la victime, dont les circonstances de la chute dans le plan d'eau sont inconnues, le délit reproché " ne peut être constitué " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il lui appartenait si elle estimait devoir relaxer du chef d'homicide involontaire, de rechercher si les faits dont elle était saisie ne pouvaient recevoir une autre qualification, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des textes et des principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 8 octobre 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 98-86886
Date de la décision : 28/03/2000
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Disqualification - Pouvoirs du juge.

Le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction. (1).


Références :

Code de procédure pénale 388
Code de la santé publique L626, R5193
Code pénal 221-6
Code pénal 319 Nouveau

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 08 octobre 1998

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1964-05-06, Bulletin criminel 1964, n° 153 (4°), p. 341 (cassation) ;

Chambre criminelle, 1975-12-17, Bulletin criminel 1975, n° 288 (2°), p. 757 (cassation partielle) ;

Chambre criminelle, 1993-10-13, Bulletin criminel 1993, n° 294, p. 740 (cassation partielle dans l'intérêt de la loi sans renvoi) ;

Chambre criminelle, 1997-01-22, Bulletin criminel 1997, n° 31 (2°), p. 83 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 mar. 2000, pourvoi n°98-86886, Bull. crim. criminel 2000 N° 138 p. 409
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2000 N° 138 p. 409

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gomez
Avocat général : Avocat général : Mme Commaret.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Blondet.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Célice, Blancpain et Soltner, la SCP Piwnica et Molinié, M. Bouthors.

Origine de la décision
Date de l'import : 05/09/2012
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2000:98.86886
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