Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 24 juin 1998), que la Société civile d'exploitation agricole de la Ferme du Fresnoy (la SCEA) est propriétaire d'une ferme composée d'un groupe de bâtiments refermés sur une cour centrale, au nombre desquels se trouvent une chapelle et une salle capitulaire des xiie et xiiie siècles ; que par décret du ministre de la Culture, ces deux édifices ont été classés d'office parmi les monuments historiques, en application de la loi du 31 décembre 1913 ; que la SCEA a, sur le fondement de l'article 5, alinéa 2, de ladite loi, sollicité l'indemnisation de son préjudice résultant de l'impossibilité, du fait de cette décision de classement, d'aménager librement son exploitation agricole ;
Attendu que la SCEA fait grief à l'arrêt attaqué de la débouter de cette demande d'indemnisation, alors, selon le moyen, 1° que la deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1913 n'énonce pas que le classement d'office donne droit à indemnité s'il en résulte " une modification à l'état ou à l'utilisation des immeubles classés ", mais " à l'état ou à l'utilisation des lieux " ; que ce terme de " lieux " est employé exclusivement dans cette phrase, l'ensemble des autres dispositions du chapitre Ier de la loi utilisant uniquement le terme " immeuble " et accessoirement celui d'" édifice " ; que ces dispositions ont donc nécessairement un objet distinct et plus large que l'immeuble classé lui-même ; qu'en affirmant cependant que dès l'instant où la SCEA n'invoquait pas de modification à l'état ou à l'utilisation de la chapelle et de la salle capitulaire classées, elle ne pouvait être indemnisée, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 5 de la loi du 31 décembre 1913 ; 2° que le terme " lieux " peut être interprété comme visant non seulement l'immeuble classé lui-même mais également les immeubles dont l'utilisation, compte tenu de leur proximité et de leur disposition par rapport à l'immeuble classé ainsi que de l'affectation des différents bâtiments, est nécessairement modifiée par la décision de classement, sans qu'une telle interprétation n'équivaille au classement de l'ensemble de la propriété immobilière, les bâtiments non classés n'étant pas assujettis aux prescriptions des articles 8 et suivants de la loi ; qu'en affirmant que toute autre interprétation autre que celle consistant à regarder le terme de " lieux " comme visant les seuls immeubles classés reviendrait à classer des bâtiments sans intérêt historique, et en refusant, par suite, de tenir compte des modifications entraînées à l'utilisation des lieux par la décision de classement, compte tenu de l'imbrication des bâtiments entourant la cour circulaire de la Ferme de Fresnoy et de leur utilisation en fonction des besoins de l'exploitation agricole, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1913 ; 3° que l'article R. 421-38-4 du Code de l'urbanisme n'est qu'un règlement d'application de l'article L. 421-6 du même Code, lequel se borne à rappeler que conformément à l'article 13 bis de la loi du 31 décembre 1913, une autorisation préalable est nécessaire pour toute construction affectant l'aspect d'un immeuble situé dans le champ de visibilité d'un édifice classé ou inscrit, et que le permis de construire tient lieu d'autorisation s'il est revêtu du visa de l'architecte des bâtiments de France ; que si la protection des abords des monuments historiques est une servitude d'utilité publique qui doit être annexée au POS en vertu de l'article R. 126-1, elle découle donc de la décision de classement prise en vertu de la loi de 1913 et non de l'application du Code de l'urbanisme ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles L. 421-6 et R. 421-38-4 du Code de l'urbanisme et 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 ; 4° que toute personne a droit au respect de ses biens et que toute ingérence dans ce droit, prise en application d'une réglementation de l'usage des biens, doit être justifiée par l'intérêt général et proportionnée au but recherché ;
que la jouissance de ce droit doit être assurée sans distinction aucune, et qu'une différence de traitement entre les personnes au regard de l'application d'une telle réglementation doit donc être fondée sur une justification objective et raisonnable ; que le législateur français ayant instauré, en cas de classement d'office, un droit à indemnité pour les propriétaires qui en subissent un préjudice, l'interprétation réservant exclusivement ce droit à indemnité aux seuls cas où la mesure de classement affecte l'état ou l'utilisation du monument historique lui-même, et l'excluant lorsque c'est l'état ou l'utilisation des bâtiments avoisinants qui est affecté par cette mesure, n'est fondée sur aucune justification objective et raisonnable ; qu'en affirmant que le terme " lieux " doit être interprété comme visant l'immeuble classé lui-même, ce dont il résulte que seuls sont indemnisés les propriétaires pour lesquels le classement modifie l'état ou l'utilisation de l'immeuble classé lui-même, à l'exclusion de ceux pour lesquels le classement affecte l'état ou l'utilisation de leurs immeubles situés aux abords d'un monument historique, sans rechercher si une telle discrimination n'était pas contraire aux dispositions combinées de l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et de l'article 14 de ladite Convention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 55 de la Constitution ;
Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que l'article 5 de la loi du 31 décembre 1913 prévoyait une indemnisation à la suite d'un classement d'office, s'il résultait des servitudes et des obligations en découlant, une modification à l'état ou à l'utilisation des lieux et, d'autre part, que la servitude de protection des abords d'un édifice classé n'était assortie d'aucune indemnisation par les textes actuellement en vigueur, la cour d'appel qui a, abstraction faite d'un motif surabondant et sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée sur l'applicabilité de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel numéro 1, retenu, à bon droit, que cette notion de " lieux " ne se rapportait qu'à ceux visés dans la décision de classement et rejeté la demande d'indemnisation de la SCEA, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.