Attendu que la société espagnole Humsa, filiale de la société française Ateliers de la Chainette et appartenant à un groupe de sociétés parmi lesquelles les sociétés françaises Ermont CM et Fayat compagnie financière, a licencié 101 salariés le 23 février 1994 ; que, par jugement du 30 mai 1994, le tribunal des affaires sociales de Huesca (Espagne) a déclaré ces licenciements illégaux et condamné solidairement les sociétés espagnoles et françaises du groupe à réintégrer les salariés licenciés ou à leur payer des indemnités de rupture ; que la même juridiction a, d'abord, par ordonnance du 1er juillet 1994, constaté l'absence de réintégration et condamné solidairement les sociétés françaises et espagnoles à payer diverses indemnités, puis, par ordonnance du 2 septembre 1994, a ordonné l'exécution du jugement à hauteur de 1,162 milliards de pesetas en principal et de 350 millions de pesetas à titre de provision sur les intérêts, frais et dépens et la saisie des biens des cinq sociétés concernées ; que, sur requête formée par M. Abadia Y... et 100 autres salariés, le président du tribunal de grande instance de Bordeaux a déclaré exécutoires les trois décisions précitées ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 27-1°, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 modifiée par la convention de Saint-Sebastien du 26 mai 1989 ;
Attendu que les articles 27 et 28 de la convention, modifiée, de Bruxelles du 27 septembre 1968 énumèrent spécifiquement et limitativement les cas de refus de reconnaissance et d'exécution des décisions rendues dans un Etat contractant ;
Attendu que pour rejeter la demande en reconnaissance et en exécution des décisions espagnoles, l'arrêt attaqué retient que l'obligation de consigner ou de faire cautionner à très bref délai à partir de la date de la signification de la décision l'intégralité du montant des condamnations prononcées au profit d'une partie, ainsi que l'attribution au juge du premier degré ayant rendu cette décision, du pouvoir d'apprécier la réunion des conditions du droit d'appel, constituent des limitations à l'exercice du droit d'appel incompatibles avec l'ordre public procédural français ;
Attendu qu'en statuant ainsi, tout en relevant l'existence d'un recours devant le juge ayant rendu la décision et d'une possibilité d'appel devant la juridiction supérieure, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 29 et 34, alinéa 3, de la convention, modifiée, de Bruxelles du 27 septembre 1968 ;
Attendu que la décision étrangère ne peut faire l'objet d'aucune révision au fond ;
Attendu que pour rejeter la demande d'exécution, l'arrêt attaqué relève que, suivant les productions, en contradiction tant avec la loi française qu'avec la loi espagnole, alors que le litige opposait une somme de demandeurs individuels à leur employeur, les sociétés appelantes, qui ont consigné la condamnation prononcée au profit de l'un des 101 salariés, n'ont pu obtenir de voir juger leur appel recevable du chef de cette condamnation, alors que, en Espagne comme en France, une somme de condamnations individuelles n'équivaut pas à une condamnation collective et que l'appel contre l'une d'elles est ouvert dès lors que le taux de l'appel est acquis ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a procédé à la révision au fond des décisions qui lui étaient soumises, a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 29 et 34, alinéa 3, de la convention, modifiée, de Bruxelles du 27 septembre 1968 ;
Attendu que la décision étrangère ne peut faire l'objet d'aucune révision au fond ;
Attendu que pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel a relevé que les décisions espagnoles étaient contraires à l'ordre public civil et commercial français en ce qu'elles ont retenu la responsabilité solidaire des entreprises du groupe du chef des condamnations prononcées contre l'employeur, la société Humsa, en violation des principes gouvernant l'autonomie juridique des personnes morales et en méconnaissance des exceptions à ces principes ;
Attendu que, sous couvert d'une violation de l'ordre public international, la cour d'appel a, procédant, en réalité, à la révision au fond des décisions qui lui étaient soumises, violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 27-1°, de la convention, modifiée, de Bruxelles du 27 septembre 1968 ;
Attendu que pour rejeter la demande comme contraire à l'ordre public civil et commercial français, l'arrêt attaqué retient que le jugement du 30 mai 1994 et les ordonnances subséquentes sont en contradiction avec une décision d'homologation d'un accord concordataire, prononcée par une juridiction de l'Etat espagnol rendant leur exécution impossible, le jugement ayant ordonné la réintégration des salariés licenciés à la société employeur et aux sociétés du même groupe, qui, par l'effet de la décision d'homologation, a cédé ses actifs et cessé toute activité et, les ordonnances subséquentes ayant tiré au détriment de cet employeur et des sociétés déclarées solidaires, les conséquences d'un refus d'intégration pour imposer l'option qu'ils n'étaient pas libres d'exprimer ou d'exercer ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, qu'elle constatait que le jugement du 30 mai 1994 ouvrait une option entre la réintégration des salariés licenciés et le paiement d'indemnités et, d'autre part, qu'il résultait de ses propres énonciations que la décision d'homologation ne s'opposait pas à l'exécution de l'autre branche de cette option, la cour d'appel, a violé le texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt attaqué relève que le jugement du 30 mai 1994 et l'ordonnance du 2 septembre 1994 ne contiennent aucune motivation, que les consorts X... ne produisaient aucun document permettant d'y suppléer et que ces décisions sont, dès lors, contraires à l'ordre public procédural français ;
Attendu qu'en relevant d'office le moyen ainsi tiré du défaut de motivation de ces décisions sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le sixième moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 27-1° et 27-2°, de la convention, modifiée, de Bruxelles du 27 septembre 1968 et 6.1°, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que l'arrêt attaqué relève enfin que les consorts X... ont communiqué trois cents pièces le jour de l'audience, que l'avocat des sociétés requérantes a demandé le renvoi du procès à une audience ultérieure, que ce renvoi a été refusé, que les convocations à cette audience n'ont pas été accompagnées du certificat de tentative de conciliation et que l'importance des moyens de fait dont les consorts X... avaient la charge de la preuve pour établir, comme ils le prétendaient, la solidarité des sociétés françaises avec leur employeur nécessitait que les sociétés requérantes disposassent d'un délai pour s'en expliquer ; que l'arrêt énonce qu'en conséquence, ces circonstances constituent des violations graves du principe de la contradiction, donc des droits de la défense et, partant, de l'exigence fondamentale du procès équitable ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, qu'il résulte de l'arrêt qu'en matière de droit du travail, la loi de procédure espagnole oblige les parties à débattre immédiatement des preuves qui sont présentées au juge, d'autre part, que les défendeurs étaient représentés par leurs avocats après avoir été régulièrement convoqués et, enfin, que la garantie d'un procès équitable résultait de la possibilité pour les parties de débattre oralement, la cour d'appel a violé les textes susvisés par fausse application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 septembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.