Vu leur connexité, joint les pourvois n°s 97-18.980, 97-19.055, 97-20.248, 97-21.393 et 97-21.053 ;
Attendu qu'à la suite d'un accord collectif conclu le 9 février 1994 entre les partenaires sociaux, un avenant (A-159) a notamment modifié les articles 1er, 6 bis et 12 de la Convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres, du 14 mars 1947, avec effet du 1er mars 1994, en affectant d'un " pourcentage de service " les majorations de points pour charges de famille, en élevant à 60 ans, pour les veuves des participants, l'âge de la réversion et en instituant une contribution de solidarité à la charge de tous les cadres retraités ; que l'accord et l'avenant ont fait l'objet d'arrêtés d'extension et d'élargissement du 8 novembre 1994 ; que le Conseil d'Etat, appelé à se prononcer sur la validité des arrêtés d'extension, a renvoyé à l'autorité judiciaire le soin de statuer sur la légalité des dispositions modificatives ; que la cour d'appel, saisie par plusieurs retraités, associations et syndicats les a déboutés de leurs prétentions par trois arrêts du même jour (RG n° 96/9356, RG n° 95/12054 et RG n° 95/28488T) ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 97-18.980 et le troisième moyen du pourvoi n° 97-19.055 :
Attendu que l'Association de défense des cadres retraités (ADECARE), MM. De Font-Réaulx, Marlange et Piton et les syndicats CGT font grief aux arrêts attaqués d'avoir jugé que les syndicats de salariés ont qualité pour représenter les retraités, alors, selon les moyens, d'une part, que, si, selon l'article L. 411-7 du Code du travail, les retraités peuvent adhérer à un syndicat, il résulte des articles L. 411-1, qui consacre le caractère professionnel du syndicat, et L. 132-1, qui définit l'objet de la convention collective comme intéressant des catégories professionnelles, qu'un syndicat de salariés ne peut légalement prétendre agir qu'au nom et pour le compte des membres d'une profession, et non pour le compte des retraités qui ne sont plus des professionnels ; que la création par accord collectif d'un régime de retraite par répartition, qui crée l'obligation pour les actifs de financer le régime en gagnant parallèlement des points, pour, en contrepartie, bénéficier au moment de la retraite, à proportion des points gagnés, du financement par les salariés alors en activité, s'analyse en l'engagement pris par les employeurs et les actifs de financer la masse des retraites par des cotisations et en une stipulation pour autrui au bénéfice des retraités et de leurs ayants droit, qui toucheront cette retraite ; qu'il en résulte que, en cas de modification de l'accord par les partenaires sociaux, cette modification, qui s'impose aux seules parties à l'accord, n'est pas opposable de plein droit aux retraités admis à la retraite avant la modification et qui sont nécessairement restés étrangers à elle, en sorte que la cour d'appel a violé les articles L. 411-1, L. 411-2, L. 131-1, L. 132-1, L. 132-7 et L. 411-7 du Code du travail, L. 731-1 du Code de la sécurité sociale, 1121 et 1165 du Code civil ; et alors, d'autre part, que les syndicats professionnels de salariés n'ont pas qualité pour souscrire, au nom d'anciens salariés retraités ou de leurs ayants droit, des conventions ou accords collectifs ayant pour effet, soit de mettre à leur charge des obligations, soit de revenir rétroactivement sur les droits qu'ils avaient acquis, fût-ce en leur qualité antérieure de salariés ; qu'en estimant que les syndicats signataires de l'accord du 9 février 1994 et de l'avenant A-159 du 1er mars 1994 à la Convention collective du 14 mars 1947 avaient pu valablement convenir d'une réduction des majorations de points précédemment accordées au titre des charges de famille, et d'un relèvement de l'âge auquel les veuves de participants pouvaient prétendre à une pension de réversion, la cour d'appel a violé les articles L. 411-1, L. 411-2, L. 131-1, L. 132-1 et L. 132-7 du Code du travail et L. 731-1 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'ayant exactement rappelé que, selon l'article L. 411-7 du Code du travail, les personnes qui ont cessé l'exercice de leurs fonctions peuvent adhérer à un syndicat professionnel, et retenu à bon droit, d'une part, qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 131-2 et L. 132-1 du même Code, la convention collective a vocation à traiter de l'ensemble des conditions d'emploi et de travail des salariés et de leurs garanties sociales, ce qui inclut leurs retraites, d'autre part, qu'en application de l'article L. 731-1 du Code de la sécurité sociale alors applicable, les régimes complémentaires de retraite ou de prévoyance sont créés et modifiés par voie d'accord collectif interprofessionnel, professionnel ou d'entreprise, la cour d'appel en a justement déduit que les syndicats professionnels, qui ont qualité pour représenter les retraités, ont, dans la limite des pouvoirs qu'ils tiennent des textes précités, valablement conclu les accords litigieux ; d'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le troisième moyen du pourvoi n° 97-18.980 :
Attendu que l'association ADECARE et MM. De Font-Réaulx, Marlange et Piton font grief à l'arrêt RG n° 96/9356 d'avoir approuvé l'institution d'une contribution de solidarité assise sur les retraites, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'arrêt attaqué lui-même que le régime de retraite par répartition crée l'obligation pour les salariés actifs et les employeurs de financer chaque année la masse des retraites servies par des cotisations prélevées sur les salaires en contrepartie du gain de points par les salariés actifs, et le droit pour les retraités de percevoir chaque année la masse de cotisations recueillies à proportion des points gagnés par chacun pendant sa période d'activité ; qu'il en résulte qu'est contraire aux principes généraux d'une retraite par répartition la disposition consistant à faire financer une partie de la somme à répartir par les retraités eux-mêmes ; que la cour d'appel a ainsi violé lesdits principes résultant de l'article 18 de l'ordonnance du 4 octobre 1945, de la loi du 29 décembre 1972 et des articles L. 731-1 et L. 731-5 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'aucun texte légal ou réglementaire, ni aucun principe général n'interdisait de prévoir, afin de maintenir l'équilibre obligatoire du régime, la participation de l'ensemble des retraités au financement d'une contribution de solidarité en faveur de certaines catégories de cadres défavorisés par la situation économique ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les quatre moyens du pourvoi n° 97-21.393, pris en leurs diverses branches : (sans intérêt) ;
Et sur le cinquième moyen du pourvoi n° 97-18.980, pris en ses deux branches, le deuxième moyen de ce même pourvoi, en ce qu'il concerne les pensions de réversion et le deuxième moyen du pourvoi n° 97-19.055 :
Attendu que l'ADECARE, MM. De Font-Réaulx, Marlange et Piton, ainsi que les syndicats CGT font grief aux arrêts attaqués (RG n° 96/9356 et RG n° 95/12054), d'avoir décidé que l'âge pour l'attribution d'une pension de réversion aux veuves des participants avait pu être licitement élevé à 60 ans, alors, selon le cinquième moyen du pourvoi n° 97-18.980, d'une part, que les cadres retraités et l'association des cadres retraités avaient fait valoir, dans leurs conclusions d'appel, que les retraités avaient acquis, au plus tard le jour de la liquidation de leur retraite, le droit à ce que leur veuve perçoive une pension de réversion à l'âge de 50 ans en application des dispositions anciennes ; qu'en leur déclarant opposable la disposition n'accordant ce droit aux veuves qu'à partir de 60 ans, sans répondre à ce chef déterminant de leurs conclusions d'appel, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (arrêts du 28 septembre 1994, Van der Akker, Smith, arrêt du 6 octobre 1993, Ten Oever) que la modification d'un régime de retraite ayant pour but d'unifier entre hommes et femmes l'âge du départ en retraite et les conditions d'octroi d'une pension de réversion ne peut s'appliquer pleinement qu'au titre de périodes d'emploi postérieures à cette modification, ce qui implique que cette modification soit inopposable aux retraités dont les droits ont été liquidés avant l'intervention de cette modification ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé, outre les principes et textes susvisés, l'article 119 du traité de Rome ; et alors, selon le deuxième moyen du pourvoi n° 97-19.055, qu'en estimant que l'âge auquel le droit à pension de réversion est ouvert aux veuves avait pu être élevé de 50 à 60 ans, à l'égard tant des veuves de participants dont la retraite avait été liquidée à une date antérieure à l'entrée en vigueur des accords litigieux, que des veuves de participants encore actifs à concurrence des points déjà acquis à l'entrée en vigueur des accords, la cour d'appel a violé l'article 2 du Code civil, le principe d'intangibilité des pensions déjà liquidées, l'article R. 351-10 du Code de la sécurité sociale et les articles L. 132-7 et L. 132-10 du Code du travail ;
Mais attendu qu'après avoir retenu à bon droit que, selon l'article L. 132-7, alinéa 2, du Code du travail, en l'absence d'exercice du droit d'opposition, les dispositions révisées d'une convention collective se substituent de plein droit aux stipulations antérieures, de sorte qu'elles sont d'effet immédiat, les arrêts attaqués relèvent que la situation des veuves de participants bénéficiaires d'une pension de réversion à la date d'entrée en vigueur de l'accord de révision n'était pas modifiée et que les dispositions nouvelles concernaient une catégorie de personnes qui n'étaient pas encore titulaires d'une pension et dont seul le droit éventuel à pension a été retardé ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, et l'accord de révision ayant mis fin à une discrimination prohibée par le traité de Rome, la cour d'appel a, sans encourir les griefs des moyens, légalement justifié sa décision ;
Mais sur les deuxième, quatrième moyens du pourvoi n° 97-18.980, pris en leurs diverses branches, le premier moyen du pourvoi n° 97-19.055, la quatrième branche du moyen unique du pourvoi n° 97-20.248 et la cinquième branche du pourvoi n° 97-21.053 réunis :
Vu les articles L. 732-4 et R. 731-2 anciens du Code de la sécurité sociale, ensemble les principes régissant le fonctionnement des régimes de retraite par répartition par points ;
Attendu que, pour décider que les partenaires sociaux avaient pu, même pour les retraites liquidées, licitement affecter d'un pourcentage de service les points attribués pour charges de famille aux participants dont la retraite avait été liquidée, avec effet immédiat au 1er mars 1994, les arrêts énoncent essentiellement qu'il n'y a pas application rétroactive des dispositions nouvelles, aucune demande de restitution des allocations antérieures n'ayant été formulée ;
Attendu, cependant, que, s'il incombe aux institutions de retraite complémentaire d'assurer en permanence l'équilibre financier des régimes qu'elles gèrent et que, si elles doivent, conformément à l'article L. 732-4 ancien du Code de la sécurité sociale, dont les termes sont repris par l'article L. 922-11 du même Code, adopter les dispositions pour définir de nouvelles modalités assurant la sauvegarde des droits de leurs adhérents, elles ne peuvent remettre en cause, quel que soit leur mode d'acquisition, le nombre des points acquis par les participants dont la retraite a été liquidée avant l'entrée en vigueur de l'accord de révision ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que l'application d'un " pourcentage de service " aux points attribués gratuitement aux participants ayant élevé trois enfants et plus équivaut à une diminution du nombre des points acquis par cette catégorie de retraités, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés ;
Et attendu que, conformément à l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, la Cour de Cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens ou branches des pourvois :
REJETTE le pourvoi n° 97-21.393 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils ont débouté les appelants de leurs prétentions concernant les modifications apportées par l'avenant A-159 à l'article 6 bis de l'annexe I à la Convention collective nationale du 14 mars 1947, les arrêts RG n° 96/9356, RG n° 95/12054 et RG n° 95/28488T rendus le 1er juillet 1997 par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que les modifications apportées par l'avenant A-159 à l'article 6 bis précité sont illicites en tant qu'elles s'appliquent aux participants dont la retraite a été liquidée avant l'entrée en vigueur de l'accord de révision.