Attendu, selon le jugement déféré (Tribunal de grande instance de Grenoble, 1er septembre 1997), que la Société des établissements Piot Pneu (la société), a procédé à la fusion par absorption des sociétés Blanc Frères et La Station du pneumatique par acte enregistré le 19 novembre 1990 ; qu'elle a acquitté à ce titre des droits d'enregistrement au taux de 1,20 % sur le fondement de l'article 816-I.2° du Code général des impôts, alors en vigueur ; que, le 13 février 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a déclaré cette disposition incompatible avec la directive n° 69-335 CE du Conseil, du 17 juillet 1969, modifiée, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (arrêt société Bautiaa) ; que, par réclamation du 22 avril 1996, la société a sollicité la restitution des droits d'enregistrement ainsi acquittés ; qu'après le rejet de sa réclamation, elle a assigné le directeur des services fiscaux de l'Isère devant le tribunal de grande instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief au Tribunal d'avoir rejeté sa demande alors, selon le pourvoi, que la réclamation déposée par la société Piot Pneu était fondée sur l'effet direct de la directive n° 69-335 du 17 juillet 1969 modifiée, non sur l'arrêt de la CJCE du 13 février 1996 qu'elle s'était bornée à viser ; qu'ainsi le Tribunal a dénaturé ladite réclamation et violé les articles 4 du nouveau Code de procédure civile et 1134 du Code civil ;
Mais attendu que c'est à bon droit que le Tribunal a jugé que la réclamation de la société, qui en l'espèce n'était recevable que sur le fondement de l'article R. 196-1 c) du Livre des procédures fiscales, était nécessairement fondée sur l'événement que constituait l'arrêt rendu le 13 février 1996 par la Cour de justice des Communautés européennes ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société fait encore grief au jugement d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 177 du traité de Rome du 25 mars 1957, l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes d'une disposition de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur ; que dans cette hypothèse l'office du juge communautaire est exclusif de tout pouvoir de " révélation " au sens de l'article L. 190, alinéa 3, du Livre des procédures fiscales ; qu'en estimant, néanmoins, que la décision de la CJCE du 13 février 1996, rendue sur question préjudicielle aurait " révélé " la non-conformité de la règle de droit dont il avait été fait application à la règle de droit supérieur, le Tribunal a violé les textes susvisés ; alors, d'autre part, et subsidiairement, qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société Piot Pneu faisant valoir que la Cour de justice des Communautés européennes avait elle-même implicitement mais nécessairement nié par avance, dans son arrêt, que celui-ci pût avoir " révélé " la non-conformité de la règle de droit dont il avait été fait application à la règle de droit supérieur, le Tribunal a entaché son jugement d'un défaut de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que l'article 177 du Traité instituant la Communauté européenne ne s'oppose pas à ce qu'un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour de justice des Communautés européennes constitue une décision révélant la non-conformité d'une règle de droit national à une règle de droit supérieur au sens de l'article L. 190, alinéa 3, du Livre des procédures fiscales et fasse courir un nouveau délai de réclamation sur le fondement de l'article R. 196-1 c) du même Livre ; que, par ce motif de pur droit, le jugement se trouve justifié ;
Attendu, d'autre part, que les motifs cités par la société figurant dans l'arrêt société Bautiaa de la Cour de justice des Communautés européennes concernent le rejet par la Cour de la demande du Gouvernement français de limiter les effets dans le temps de son arrêt et que, dans un arrêt du 15 septembre 1998 (Edilizia Industriale Siderurgica), cette même Cour a dit pour droit que la circonstance que la Cour a rendu un arrêt préjudiciel statuant sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire sans limiter les effets dans le temps de cet arrêt, n'affecte pas le droit d'un Etat membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation de cette disposition un délai national de forclusion ; qu'ainsi, le Tribunal n'était pas tenu de répondre à une argumentation dénuée de pertinence ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société fait enfin grief au jugement d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, d'une part, que les modalités du remboursement d'une taxe nationale perçue en violation du traité de Rome ne peuvent être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou extrêmement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire ; qu'en l'espèce, où il institue une période répétible entraînant automatiquement le rejet total ou partiel de l'action en restitution, l'article L. 190, alinéa 3, du Livre des procédures fiscales est de nature à rendre pratiquement impossible ou extrêmement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire ; qu'en décidant que ce texte n'était pas incompatible avec le droit communautaire le Tribunal a violé l'article 7, paragraphe 1, modifié, de la directive n° 69-335 du Conseil du 7 juillet 1969 ; alors, d'autre part, que les modalités du remboursement d'une taxe nationale perçue en violation du traité de Rome, ne peuvent être moins favorables que celles qui régissent des recours similaires de nature interne ; que dans une procédure de droit commun, période répétible et délai de l'action forment un tout indissociable ; qu'en dissociant la forclusion de la période de restitution de celle de l'action, l'article L. 190, alinéa 3, du Livre des procédures fiscales, fixe pour le remboursement d'une taxe nationale perçue en violation du traité de Rome, une modalité de remboursement moins favorable que celles qui régissent les recours similaires de nature interne ; qu'en décidant que ce texte n'était pas incompatible avec le droit communautaire, le tribunal a violé l'article 7, paragraphe 1, modifié, de la directive n° 69-335 du Conseil du 17 juillet 1969 ; alors, enfin, que le législateur ne peut instituer une règle procédurale réduisant spécifiquement les possibilités d'agir en répétition des taxes indûment perçues en application d'une législation nationale incompatible avec le droit communautaire ; que tel est pourtant le but assigné à l'article L. 190, alinéa 3, du Livre des procédures fiscales ; qu'en décidant que ce texte n'était pas incompatible avec le droit communautaire, le Tribunal a violé l'article 7, paragraphe 1, modifié, de la directive n° 69-335 du Conseil du 17 juillet 1969 ;
Mais attendu que, dans son arrêt du 2 décembre 1997 (Fantask), la Cour de justice des Communautés européennes a rappelé qu'il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les modalités procédurales des actions en répétition de l'indu, pour autant que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni ne rendent pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire, et a jugé, dans la même décision, que des délais raisonnables de recours à peine de forclusion, ne sauraient être considérés comme étant de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire même si, par définition, l'écoulement de ces délais entraine le rejet, total ou partiel, de l'action intentée ; qu'il en résulte que l'article L. 190, alinéa 3, du Livre des procédures fiscales, d'application générale et qui n'a pas pour effet de limiter spécifiquement les effets d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes statuant sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, est compatible avec les exigences de ce droit ; que c'est dès lors à bon droit que le Tribunal a ainsi statué ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.