Attendu que le groupe Transports Debeaux a été déclaré en redressement judiciaire le 31 août 1993 ; que, par jugement du 25 février 1993, le tribunal de commerce a adopté un plan de cession des actifs des sociétés du groupe Debeaux au profit de la société Transalliance prévoyant la reprise d'un certain nombre de contrats de travail et autorisant 89 licenciements ; que l'administrateur judiciaire a notifié aux salariés non repris leur licenciement pour motif économique ; que 45 d'entre-eux ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et violation des règles relatives à l'ordre des licenciements ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que la société Debeaux Transports fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer une somme à chacun des salariés pour non-respect de l'ordre des licenciements alors, selon le moyen, que l'article L. 321-1-1 du Code du travail qui, pour fixer l'ordre des licenciements, impose à l'employeur de prendre en considération les critères légaux outre ceux qu'il a définis ou ceux qui lui sont imposés conventionnellement suppose un choix de l'employeur entre les salariés concernés par les suppressions d'emploi d'où il résulte qu'en cas de modifications des contrats refusées par les salariés, cette disposition n'a pas vocation à s'appliquer dès lors que les licenciements économiques s'imposent en raison de la décision des intéressés et non d'un choix opéré par l'employeur ; qu'en l'espèce, les 45 salariés licenciés l'avaient été à la suite de leur refus d'accepter leur nouveau mode de rémunération ; que dès lors, en allouant à chaque salarié un franc de dommages-intérêts pour non-respect de l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé par fausse application l'article susvisé ;
Mais attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour choisir les salariés à licencier, l'administrateur judiciaire au lieu d'appliquer les critères de l'ordre des licenciements qui avaient été définis s'est fondé sur le refus par les salariés de la modification de leur mode de rémunération, condition exigée par le cessionnaire et non prévue par le plan de cession ; que, par ces motifs, la décision, qui retient la violation des règles relatives à l'ordre des licenciements, se trouve légalement justifiée ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu l'article L. 321-1-1 du Code du travail ;
Attendu que pour limiter à un franc le montant de la réparation due à chaque salarié pour non-respect des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel retient que si le juge prud'homal ne peut exercer aucun contrôle sur le motif économique, il lui appartient de vérifier le respect des critères définis pour fixer l'ordre des licenciements, qu'aux termes de l'article L. 321-1-1 du Code du travail les critères de licenciement prennent en compte les charges de famille, l'ancienneté, la situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle difficile, les qualités professionnelles appliquées par catégorie ; que si l'énumération formulée par l'article L. 321-1-1 du Code du travail n'a pas de caractère limitatif, il n'en demeure pas moins que l'employeur ne peut privilégier l'un des critères qu'à la condition d'avoir pris en considération l'ensemble de ceux-ci ; qu'en l'espèce, il apparaît que le seul critère retenu par la société Debeaux a été le refus d'acceptation de la modification des conditions de rémunération ; qu'il s'ensuit que l'ordre des licenciements n'a pas été respecté, que cette violation des dispositions de l'article L. 321-1-1 du Code du travail ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, que sur le montant des dommages-intérêts, la cour d'appel trouve en la cause des éléments suffisants pour fixer à un franc le montant de la réparation due à chaque salarié ;
Attendu, cependant, que l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements pour motif économique constitue pour le salarié une illégalité qui entraîne pour celui-ci un préjudice pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi, lequel doit être intégralement réparé selon son étendue par les juges du fond ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le préjudice résultant de la violation des règles fixant l'ordre des licenciements n'est pas réparé par l'allocation d'un franc symbolique, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués pour violation de l'ordre des licenciements, l'arrêt rendu le 30 septembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.