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16/02/1999 | FRANCE | N°98-80537

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 février 1999, 98-80537


CASSATION sur le pourvoi formé par :
- la société X... partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy, en date du 18 décembre 1997, qui, dans l'information suivie contre André Y..., Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., Hervé Y..., L..., pour, notamment, abus de biens sociaux, recel, faux et usage, publication de faux bilans, abus de confiance, complicité d'escroquerie, favoritisme et prise illégale d'intérêts, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.
LA COUR,
Vu l'article 575, alinéa 2,

2° du Code de procédure pénale ;
Vu les mémoires produits en demande et ...

CASSATION sur le pourvoi formé par :
- la société X... partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy, en date du 18 décembre 1997, qui, dans l'information suivie contre André Y..., Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., Hervé Y..., L..., pour, notamment, abus de biens sociaux, recel, faux et usage, publication de faux bilans, abus de confiance, complicité d'escroquerie, favoritisme et prise illégale d'intérêts, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.
LA COUR,
Vu l'article 575, alinéa 2, 2° du Code de procédure pénale ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 437.3° de la loi du 24 juillet 1966, 2, 85 et 591 du Code de procédure pénale :
" aux motifs que "la qualité de victime, l'existence d'un dommage ouvrant droit à réparation et le lien direct de celui-ci avec l'infraction, doivent faire l'objet d'une appréciation concrète et ne sauraient découler de la seule nature de l'infraction considérée ; que, plus précisément, la seule mise en examen des représentants d'une société pour abus de biens sociaux ne dispense pas celle-ci de rapporter la preuve, en cours d'information, sinon de la réalité, du moins de la possibilité de son préjudice ; qu'en l'espèce la X... s'est constituée partie civile très tardivement par rapport à l'ouverture de l'enquête et de l'information, à un moment où cette dernière, très approfondie, a permis d'établir que loin de porter préjudice à ses intérêts, pendant le temps où ils exerçaient leurs fonctions en son sein, les agissements de ses représentants salariés n'ont fait qu'accroître les bénéfices de cette société ; qu'en effet, simple délégataire des collectivités locales dans la maîtrise d'ouvrage de marchés d'intérêt public, la X... n'avait d'autres biens ou revenus que ceux qui étaient mis à sa disposition par celles-ci ; que les différentes infractions reprochées à MM. Y... et J..., et notamment la violation des règles relatives aux appels d'offres, les surfacturations et la multiplication d'avenants aux marchés, tout en renchérissant le coût des opérations pour les collectivités locales et en portant atteinte gravement aux deniers publics, n'avaient d'autre effet pour la X... que de lui permettre de réaliser des profits financiers sur les avances qui lui étaient consenties et de percevoir un pourcentage encore plus élevé sur les marchés ; qu'aucun élément de l'information ne vient conforter un quelconque soupçon que les représentants de la X... aient perçu à leur profit des sommes ainsi acquises à celle-ci ; que, d'ailleurs, la X... a manifesté si peu le sentiment d'être victime, jusqu'à une date récente, des agissements de ses salariés, qu'elle avait consenti à ceux-ci, pendant toute une partie de l'information, non seulement le maintien d'un revenu, mais également la prise en charge, pour des montants considérables, de leurs frais de défense, ce qui va bien au-delà du simple respect de la présomption d'innocence, lequel n'eût commandé que le maintien des contrats de travail ; que les quelques précautions de plume prises pour assortir ce soutien et l'arrêt ultérieur de celui-ci ne modifient en rien la présente analyse puisque le conseil d'administration avait les moyens comptables de vérifier si des sommes avaient été détournées, ce qui n'a à aucun moment été prétendu par la X... ; que le préjudice possible de la X... réside en fait dans les conséquences pour elle des développements de l'enquête, qui a eu un retentissement important et a entraîné la perte de confiance vis-à-vis de leur délégataire, des maîtres d'ouvrage publics, en faisant apparaître la complète défaillance de la X... dans la gestion des deniers publics qui lui étaient confiés ;
que ce préjudice est indirect et, de plus, tient en grande partie à l'attitude des instances dirigeantes de la X... dont l'information démontre qu'elles ont complètement démissionné de leur responsabilité, en s'abstenant d'exercer le contrôle nécessaire sur ses représentants salariés, ce qui est illustré notamment par : la délégation générale donnée à André Y... sans que n'ait été exercé un réel contrôle, l'embauche du fils de ce dernier, sans vérification de ses compétences qui se sont d'ailleurs révélées insuffisantes, l'absence de contrôle effectif sur les comptes, le soutien imprudent apporté à ses représentants après l'enquête ; que cette défaillance, extrêmement grave en ce qu'elle mettait en péril principalement des deniers publics, suffit, sans que soit méconnue la distinction juridique entre la personne morale et ses représentants et en dehors de toute recherche d'une responsabilité pénale personnelle de la X... comme le sous-entend l'argumentation des appelants, à donner à la constitution de partie civile de la X... un caractère illicite à l'égard de l'ensemble des mis en examen ; que, pour l'ensemble de ces motifs, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance du magistrat instructeur" ;
" alors, d'une part, qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que K... avait embauché son fils au service de la X... sans vérification de ses compétences qui se sont révélées insuffisantes ; que de tels faits, révélateurs d'un "emploi fictif", pouvaient constituer le délit d'abus de biens sociaux ou d'autres dénoncés par la X... ; qu'en énonçant que le préjudice de celle-ci n'était qu'indirect, la cour d'appel s'est contredite ;
" alors, d'autre part, que la loi permet à la partie civile de se constituer quand elle le veut, au plus tard à l'audience ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer irrecevable la constitution de la X... motif pris de ce qu'elle était intervenue "très tardivement par rapport à l'ouverture de l'enquête" ;
" alors, de troisième part, que la prise en charge par la partie civile, pour un temps, des frais de défense du prévenu n'est pas une cause d'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, la recevabilité de celle-ci ne dépendant que de l'existence de l'infraction et du préjudice qui en découle pour la victime ;
" alors, de quatrième part, que quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation de fonds sociaux à seul objet de commettre un délit, expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales et compromet son crédit et sa réputation ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la X... au motif que les infractions commises par les prévenus lui auraient permis de réaliser des profits financiers ;
" alors, de cinquième part, que la faute éventuellement commise par la partie civile ayant favorisé la perpétration à son détriment de faits constitutifs d'une infraction intentionnelle contre les biens, ne permet ni de réduire la réparation de son préjudice, ni a fortiori de déclarer irrecevable sa constitution de partie civile " ;
Vu les articles 2, 3, 85 et 87 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par lettre en date du 12 août 1997, la société d'économie mixte X... s'est constituée partie civile dans l'information suivie, notamment, contre son directeur, Hervé Y..., des chefs d'abus de biens sociaux, recel, abus de confiance, complicité d'escroquerie, favoritisme, trafic d'influence, publication de faux bilans, faux et usage ; que la société exposait qu'elle avait "personnellement et directement subi de nombreux préjudices" en relation avec les infractions reprochées, qui, selon elle, avaient "notamment eu pour effet de porter gravement atteinte à sa réputation" et lui avaient "causé un préjudice commercial certain" ; que, le 16 septembre suivant, le juge d'instruction a rendu une ordonnance admettant la recevabilité de la constitution de partie civile ;
Attendu que, pour infirmer cette ordonnance sur l'appel de 2 des personnes mises en examen, la chambre d'accusation, écartant l'argumentation de la société X..., qui faisait état de " pertes considérables de marchés " et de la " disparition d'une partie de l'actif social ", énonce que, loin de lui avoir causé un préjudice, les agissements reprochés à ses anciens représentants n'ont fait qu'accroître ses bénéfices ; que les juges relèvent par ailleurs que, durant l'information, la société a longtemps apporté son soutien financier à ces derniers, mis en examen ; qu'ils énoncent enfin que le préjudice allégué n'est qu'indirect, dans la mesure où il est la conséquence " des développements de l'enquête " et qu'il est en outre imputable " en grande partie " à la défaillance " des instances dirigeantes de la société " qui n'ont pas exercé un contrôle suffisant sur l'action des représentants de celle-ci ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs pour partie inopérants tenant à l'attitude de la société à l'égard de ses anciens dirigeants, et alors qu'à les supposer établis les délits poursuivis, spécialement les abus de biens sociaux, étaient de nature à causer à la société X... un préjudice direct et personnel, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du principe ci-dessus rapellé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et attendu que, conformément à l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, la Cour de Cassation est en mesure d'appliquer la règle de droit ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy, en date du 18 décembre 1997 ;
DECLARE RECEVABLE en l'état la constitution de partie civile de la société X... ;
ORDONNE le retour du dossier au juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nancy afin de poursuivre l'information.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 98-80537
Date de la décision : 16/02/1999
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ACTION CIVILE - Partie civile - Constitution - Constitution à l'instruction - Recevabilité - Conditions - Préjudice - Possibilité.

INSTRUCTION - Partie civile - Constitution - Constitution par voie d'intervention - Recevabilité - Conditions - Possibilité d'un préjudice

INSTRUCTION - Partie civile - Constitution - Constitution par voie d'intervention - Recevabilité - Conditions - Relation directe entre le préjudice allégué et les infractions poursuivies

INSTRUCTION - Partie civile - Plainte avec constitution - Recevabilité - Possibilité d'un préjudice

INSTRUCTION - Partie civile - Plainte avec constitution - Recevabilité - Relation directe entre le préjudice allégué et les infractions poursuivies

SOCIETE - Société par actions - Société d'économie mixte - Abus de biens sociaux - Action civile - Recevabilité - Condition

ACTION CIVILE - Recevabilité - Société - Société d'économie mixte - Abus de biens sociaux - Condition

Pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale. Méconnaît ce principe la chambre d'accusation qui, pour déclarer irrecevable la plainte pour abus de biens sociaux déposée par une société contre ses anciens dirigeants se fonde sur des motifs pour partie inopérants, tenant, d'une part, au soutien apporté par la partie civile à ces derniers au cours de la procédure, d'autre part, à la circonstance que les agissements reprochés n'auraient fait qu'accroître les bénéfices de la société et, enfin, à la défaillance des organes de contrôle de celle-ci. (1).


Références :

Code de procédure pénale 2, 3, 85, 87

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy (chambre d'accusation), 18 décembre 1997

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1996-01-11, Bulletin criminel 1996, n° 16, p. 37 (cassation sans renvoi) ;

Chambre criminelle, 1996-02-06, Bulletin criminel 1996, n° 60 (5°), p. 165 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1996-06-04, Bulletin criminel 1996, n° 230 (2°), p. 704 (cassation) et l'arrêt cité ;

Chambre criminelle, 1998-06-16, Bulletin criminel 1998, n° 191, p. 524 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 fév. 1999, pourvoi n°98-80537, Bull. crim. criminel 1999 N° 17 p. 38
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1999 N° 17 p. 38

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gomez
Avocat général : Avocat général : M. de Gouttes.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Desportes.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Coutard et Mayer, M. Garaud.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1999:98.80537
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