CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Raymonde, veuve Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 29 mai 1997, qui, dans la procédure suivie contre Marcel Z... du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 486, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué ne mentionne pas le nom du greffier qui a signé ledit arrêt ;
" alors que tout jugement ou arrêt doit être revêtu de la signature du greffier qui assistait la juridiction lors du prononcé de la décision ; qu'en l'espèce, s'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le greffier présent lors du prononcé de l'arrêt était Mme Alarcon, aucune mention de l'arrêt n'indique le nom du greffier qui a signé ledit arrêt ;
" que, dès lors, la Cour de Cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la décision attaquée " ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que la cour d'appel a été assistée lors des débats et du prononcé de la décision par Mme Alarcon, greffier ;
Attendu qu'en l'état de ces mentions, qui impliquent que la minute a été signée par le greffier présent à l'audience, le moyen, qui manque en fait, ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a évalué la capitalisation du préjudice économique de Raymonde Y... à la somme de 5 030, 40 3, 167 = 15 931, 28 francs, et la diminution des revenus pour l'année 1994 à la somme de 1 256, 75 francs ;
" aux motifs qu'au titre des revenus de l'année 1993, soit l'année complète avant le décès de Christian Y... les revenus du compte se sont élevés à la somme totale de 108 911 francs, dont 76 836 francs au titre de Christian Y..., et 32 075 francs au titre de Raymonde Y... ; que, cependant, compte tenu des bases de données adoptées par chacune des parties, la Cour adoptera les revenus actualisés pour l'année 1995, soit la somme de 79 313 francs pour Christian Y... et celle de 33 719 francs pour Raymonde Y..., ce qui représente un total de 113 032 francs ; qu'au titre des revenus 1995, soit la première année portant incidence complète du décès de Christian Y..., les revenus de Raymonde Y... se sont élevés à la somme de 74 092 francs ; qu'ainsi, la différence de revenus pour le couple est de 38 940 francs ; qu'il s'agit là cependant de la différence dans l'absolu ; qu'il convient de faire un correctif à cette différence dans la mesure où, si le décès de Christian Y... induit une diminution des revenus, il induit aussi une diminution des dépenses faites au titre de la personne de Christian Y... ; que, par voie de conséquence, s'agissant d'un couple qui n'avait plus d'enfant à élever, la part de Christian Y... doit être fixée à 30 % du montant des revenus du couple, soit la somme de 113 032 30 % = 33 909, 60 francs ; que le montant des revenus à prendre en considération au titre de l'année 1995 pour rechercher si Raymonde Y... a subi une perte sera de 113 032 33 909, 60 = 79 122, 40 francs ; que, par suite, le nouveau montant des revenus de Raymonde Y... au titre de l'année 1995 étant de 74 092 francs, la perte à prendre en considération est de 5 030, 40 francs ; que, Christian Y... étant âgé de 83 ans au moment de son décès, le franc de la rente s'établit à 3, 167 ; que la capitalisation du préjudice économique de Raymonde Y... s'élèvera à la somme de 5 030, 40 3, 167 = 15 931, 28 francs ; qu'il convient d'ajouter à cette somme celle de 1 256, 75 francs au titre de la diminution des revenus pour l'année 1994 ; qu'en définitive le préjudice économique direct de Raymonde Y... s'élève à la somme de 17 190, 03 francs ; que la décision du premier juge, qui a retenu le mode de calcul de l'expert, sera réformée sur ce point ; qu'en effet, cette façon d'établir le préjudice économique d'une victime ne saurait être homologuée, en raison de l'arbitraire retenu sur la durée de vie de la victime en cas de décès ; que, d'autre part, il aboutit à retenir la même somme chaque année, sans prendre en considération que l'allocation d'un capital permet d'obtenir des intérêts sur cette somme ou que la transformation de ce capital en rente viagère modifie aussi les bases en raison de la revalorisation de la rente chaque année ; que la méthode de capitalisation par le franc de la rente, la plus couramment utilisée, est la seule qui, à ce jour, évite ces aléas ;
" 1° Alors que la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice ; qu'il s'ensuit que le préjudice doit être évalué à la date de la décision qui en accorde réparation ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui a rendu sa décision en 1997, devait évaluer la perte de revenus subie par Raymonde Y... à la suite du décès accidentel de son mari en fonction des revenus du ménage actualisés pour l'année 1997 ; qu'en évaluant ce chef de préjudice sur la base des revenus dudit ménage actualisés pour l'année 1995, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé et violé les textes visés au moyen ;
" 2° Alors, en outre, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, énoncer, d'une part, que la perte de revenus actualisée pour l'année 1995 s'élevait à 5 030, 40 francs, d'autre part, que la perte de revenus afférente à l'année 1994 s'élevait à 1 256, 75 francs ; qu'en effet, l'accident étant survenu le 8 juin 1994, donc avant le milieu de l'année, la perte de revenus en résultant était nécessairement supérieure à la moitié de la somme de 5 030, 40 francs " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté Raymonde Y... de sa demande tendant à la réparation du préjudice économique résultant du fait que son mari accomplissait l'essentiel des tâches ménagères et l'aidait pour tous les actes ordinaires de la vie, l'intéressée étant handicapée moteur à 80 % ;
" aux motifs que, s'il est vrai que Christian Y... effectuait un certain nombre de tâches ménagères en raison du handicap moteur de 80 % dont était atteinte son épouse, cette dernière ne rapporte nullement la preuve de ce qu'elle a eu recours à l'aide d'une tierce personne depuis le décès de son mari ; que, si celui-ci, en raison de sa parfaite santé, effectuait nombre de travaux ménagers, il n'est pas démontré que Raymonde Y... ne puisse pas pallier cette absence ; que les documents remis à l'expert, qui n'est pas médecin et, comme tel, habilité à déterminer l'état de santé ou d'incapacité d'une personne, ne permettent même pas d'établir le fondement d'une demande d'expertise médicale ; qu'au surplus, il n'est pas démontré non plus que, dans le cas de nécessité d'une tierce personne, celle-ci ne soit pas prise en charge par les régimes de retraite de Raymonde Y..., comme précisé par le maire de Genolhac dans son courrier en date du 18 mai 1995 ou par les services de sécurité sociale au titre de l'invalidité ; qu'enfin Raymonde Y... ne démontre nullement que ce préjudice, qui n'est qu'éventuel en l'état, résulte directement de la mort de Christian Y..., et non pas de son état de santé préexistant ; qu'en effet, seuls les préjudices directement causés par les conséquences de l'accident peuvent être indemnisables au titre de celui-ci ;
" 1° Alors que la disparition du conjoint qui effectuait les tâches ménagères et aidait l'autre conjoint, handicapé moteur à 80 %, pour tous les actes de la vie ordinaire, cause nécessairement à ce dernier un préjudice ouvrant droit à réparation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel, qui avait reconnu que Christian Y... accomplissait les tâches ménagères et assistait son épouse, handicapée moteur à 80 % n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui en résultaient et a violé les textes visés au moyen ;
" 2° Alors, en outre, qu'en déclarant qu'il n'est pas démontré que l'assistance d'une tierce personne n'était pas prise en charge par la sécurité sociale, la cour d'appel a statué par un motif hypothétique et privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 212 et 1382 du Code civil ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt que Christian Y..., âgé de 83 ans, a été victime le 8 juin 1994 d'un accident mortel dont Marcel Z... a été déclaré entièrement responsable ;
Qu'appelés à statuer sur le préjudice économique de la veuve, les juges du second degré condamnent l'auteur de l'accident à l'indemniser du chef de sa perte de revenus, mais déboutent la partie civile de sa demande en réparation du préjudice résultant de la perte de l'assistance que lui apportait son mari dans les tâches ménagères et les actes de la vie courante ;
Attendu que, pour écarter cette demande, l'arrêt, après avoir relevé que la partie civile est atteinte d'un handicap moteur à 80 % et que " la présence de son mari permettait à celui-ci, en raison de sa parfaite santé, d'effectuer nombre de travaux ménagers ", énonce " qu'il n'est pas démontré que Raymonde Y... ne puisse pas pallier cette absence ", ni qu'elle ait eu recours à l'aide d'une tierce personne depuis le décès de son mari, ni que, " dans le cas de nécessité d'une tierce personne, celle-ci ne soit pas prise en charge par les services de sécurité sociale au titre de l'invalidité " ;
Que la juridiction du second degré ajoute que la partie civile ne rapporte pas la preuve " que ce préjudice, qui n'est qu'éventuel en l'état, résulte directement de la mort de Christian Y..., et non pas de son état de santé préexistant " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs pour partie hypothétiques, la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire, constater que le mari apportait à son épouse handicapée une assistance dans les travaux ménagers et exclure toute indemnisation de la perte de cette assistance, résultant directement de l'accident, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 29 mai 1997, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.