Sur le troisième moyen qui est préalable :
Vu les articles L. 521-3 et L. 521-4 du Code du travail, ensemble l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, le préavis de grève dans les services publics fixe le lieu, la date et l'heure du début ainsi que la durée, limitée ou non, de la grève envisagée ; que selon le deuxième, en cas de cessation concertée de travail des personnels mentionnés à l'article L. 521-2, l'heure de la cessation et celle de la reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé ; qu'il résulte de la combinaison de ces textes que le droit de grève dans les services publics n'est exercé normalement que si le préavis de grève détermine l'heure précise, commune à tous les membres du personnel, de l'arrêt de travail, peu important que certains salariés ne travaillent pas à cette heure, dès lors qu'ils peuvent se joindre au mouvement en cours ;
Attendu que le syndicat CGT du personnel des transports urbains bordelais et le syndicat autonome du personnel de la société CGFTE ont déposé auprès de la direction de la société CGFTE, régisseur des transports en commun de la communauté urbaine de Bordeaux, le 24 mars 1995 pour les 30 et 31 mars 1995, et le 28 mars 1995 pour les 3, 4, 5, 6 et 7 avril 1995, des préavis de grève " de 58 minutes à la prise du service (...) pour tous les personnels, toutes les catégories et sur tous les lieux de travail de l'entreprise " ; que la société CGFTE a saisi le juge des référés pour faire juger que les préavis de grève étaient illicites et pour voir ordonner la suspension de leur exécution ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, la cour d'appel, statuant en référé, a énoncé que la société CGFTE ne peut pas invoquer un trouble manifestement illicite résultant de la violation évidente du premier alinéa de l'article L. 521-4 du Code du travail qui impose que l'heure de cessation et l'heure de reprise du travail ne soient pas différentes pour les diverses catégories de personnel ou pour les divers membres du personnel intéressé ; qu'il peut être soutenu, comme le font les syndicats, dans le cadre d'une interprétation usuelle de l'article L. 521-4, que ce texte vise des personnels ayant des horaires identiques et ne s'applique pas au cas de travail par équipe ou de prise de travail par roulement ; que cette interprétation correspond à la finalité du texte d'empêcher la désorganisation de l'entreprise par des combinaisons concertées dans les modalités de déclenchement du droit de grève sans lien avec l'organisation du travail dans l'établissement ;
Attendu, cependant, que les articles L. 521-3 et L. 521-4, qui imposent la détermination dans le préavis de l'heure de cessation du travail, qui doit être commune à tous les membres du personnel intéressé, ne laisssent place à aucune distinction selon l'organisation du travail en vigueur dans les services publics ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle avait relevé que l'heure de cessation du travail n'était pas précisée dans le préavis et qu'elle variait pour chaque salarié en fonction de son horaire de travail, ce qui caractérisait un trouble manifestement illicite pour le service public, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les premier, deuxième et quatrième moyens :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.