REJET du pourvoi formé par :
- X... Jean-Michel,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, du 22 février 1995, qui l'a condamné pour contrefaçon d'une oeuvre de l'esprit à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que, lors des débats qui ont eu lieu à l'audience du 23 novembre 1994, après que le président eut présenté le rapport de l'affaire et que les prévenus présents eurent été entendus en leurs interrogatoires et moyens de défense, les parties ont eu la parole dans l'ordre suivant :
" les avocats ont été entendus en leurs plaidoiries, y ont déposé des conclusions ;
" Le ministère public a pris ses réquisitions ;
" Les prévenus ayant eu la parole en dernier " ;
" alors que, selon l'article 513, alinéa 3, du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993, les parties en cause ont la parole dans l'ordre prévu par l'article 460 du même Code ; qu'il en résulte que la défense du prévenu doit être présentée après la demande de la partie civile et les réquisitions du ministère public ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que le prévenu a été astreint à présenter sa défense avant les réquisitions du ministère public, la rédaction de l'arrêt ne permettant pas en outre de vérifier s'il a présenté sa défense avant ou après la demande de la partie civile ; qu'en cet état, l'atteinte ainsi portée à ses intérêts ne peut être réparée par la mention qu'il a eu la parole en dernier de sorte que la cassation est encourue " ;
Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 513 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 8 février 1995, applicable en la cause ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er et 3 de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957, des articles 425 et 426 de l'ancien Code pénal, des articles L. 311-1, L. 311-4 et R. 311-4 du Code de l'urbanisme, des articles 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Michel X..., directeur général d'une société d'économie mixte, coupable de contrefaçon d'une oeuvre architecturale, en l'espèce du dossier de modification d'un plan d'aménagement de zone au préjudice d'un architecte ;
" 1o alors que le délit de contrefaçon d'une oeuvre de l'esprit visé par l'article 425 de l'ancien Code pénal suppose que la loi du 11 mars 1957 s'applique à l'oeuvre en cause et que tel n'est pas le cas de documents d'urbanisme entrant dans les prévisions des articles L. 311-1, L. 311-4 et R. 311-4 du Code de l'urbanisme réalisés par les collectivités locales, qui ont un caractère réglementaire et qui relèvent dès lors des prérogatives de la puissance publique ;
" 2o alors qu'en particulier, l'article L. 311-4 du Code de l'urbanisme précise que le projet de plan d'aménagement de zone est élaboré par la personne publique qui a pris l'initiative de la création de la zone ; que sont associés à cette élaboration l'Etat et la commune, et, à leur demande, dans les formes que la personne publique qui a pris l'initiative de la création de la zone détermine la région et le département ; que l'article R. 311-3 précise expressément que la personne publique qui a pris l'initiative de la création de la zone constitue un dossier de création qui comporte un rapport de présentation, un plan de situation, un plan de délimitation du ou des périmètres composant la zone, l'indication du mode de réalisation choisi, le régime de la zone au regard de la taxe locale d'équipement et l'indication du document d'urbanisme applicable à l'intérieur de la zone ; que ces textes parfaitement clairs excluent toute possibilité pour une personne physique de revendiquer un quelconque droit de propriété incorporel, exclusif et opposable à tous au sens de l'article 1er de la loi du 11 mars 1957 puisqu'elle ne peut être considérée comme le créateur d'une oeuvre de l'esprit ; et que toute clause contraire à ces principes peut être réputée non écrite ;
" 3o alors qu'il résulte des énonciations des premiers juges reprises par l'arrêt attaqué que courant mai 1988, la SEMAREN avait invité Jean-Jacques Y..., architecte-urbaniste, à étudier la modification du plan d'aménagement de zone en vue de l'extension de la ZAC à 210 000 m2 et que c'est très précisément le dossier du plan modifié que l'architecte a argué de contrefaçon en soutenant que le directeur de la SEMAREN n'avait pas le droit de déposer en mairie de Nice le dossier de modification du plan d'aménagement de la zone sans mentionner son nom et que, dès lors, indéniablement, l'objet de la contrefaçon poursuivie était bien un document d'urbanisme sur lequel l'architecte ne pouvait avoir aucun droit d'auteur ;
" 4o alors que la protection d'une oeuvre de l'esprit est subordonnée à son caractère original ; qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement si une oeuvre prétendument sujette à contrefaçon présente les caractères de nouveauté et d'originalité ouvrant droit à la protection prévue par la loi, c'est à la condition que cette appréciation se déduise de motifs suffisants et qu'en se bornant à faire état de ce que l'étude architecturale des documents de la PAZ " a été particulièrement poussée " et comprend " non seulement un plan de masse dont les formes correspondent à des volumes architecturaux très originaux mais aussi des éléments d'organisation spatiale de l'opération (parkings) et même des études de façade ", la cour d'appel qui n'a pas relevé les éléments de fait d'où se déduit le caractère d'originalité desdits volumes architecturaux et des études de façade n'a pas permis à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur la légalité de sa décision ;
" 5o alors que les juges ne sauraient en aucun cas s'en remettre aux experts du soin de juger et qu'en se bornant à faire état de l'opinion de l'expert selon lesquelles les volumes architecturaux prétendument conçus par la partie civile étaient très originaux, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs ;
" alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire ou s'expliquer davantage constater d'une part que les relations entre la SEMAREN et Jean-Jacques Y... étaient notamment régies par la convention signée le 16 décembre 1987 et s'approprier sans la moindre critique les conclusions de l'expert ; qu'en effet, l'article 3 de cette convention, relatif à la mission de l'architecte-urbaniste en chef précise " que la présente mission de contrôle général de la conformité de la ZAC est exclusive de toute mission d'architecture, de conception et d'exécution d'un projet de construction dans le périmètre de la ZAC entreprise par un constructeur autre que SEMAREN " et que cette stipulation est incompatible avec les conclusions de l'expert faisant état de ce que l'étude architecturale fondatrice des documents du PAZ comprenant des volumes architecturaux très originaux et des études de façade jointes en annexe au PAZ et à son règlement n'avait pas de valeur réglementaire mais constituait des références normatives pour les architectes d'opérations " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société d'économie mixte pour l'aménagement et la rénovation de la région niçoise (SEMAREN) a confié à Jean-Jacques Y..., architecte-urbaniste, l'étude d'un projet d'extension d'une zone d'aménagement concertée ; que, le jour de la rupture unilatérale du contrat par la société, celui-ci lui a remis, avec un rapport de présentation, des plans établis en exécution de sa mission ;
Que, se plaignant de la substitution, à son insu, du cartouche mentionnant son nom par celui de la SEMAREN sur les tirages des documents graphiques élaborés par lui, versés au dossier de modification du plan d'aménagement de zone soumis à l'approbation du conseil municipal, Jean-Jacques Y... a déposé plainte avec constitution de partie civile pour contrefaçon ;
Que Jean-Michel X..., directeur de la SEMAREN, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir reproduit ces plans en violation des droits d'auteur de Jean-Jacques Y... ; qu'il a été déclaré coupable de ce délit ;
Attendu que pour caractériser la contrefaçon, les juges d'appel, se fondant sur le rapport d'expertise, énoncent, par motifs propres et adoptés des premiers juges, que les plans notamment les études de façade et le plan de masse " dont les formes correspondent à des volumes architecturaux originaux " portent la marque de la personnalité de Jean-Jacques Y... qui, bien que contraint de respecter les directives administratives, ne s'est pas limité à fournir une simple prestation technique mais a fait oeuvre de création originale ;
Qu'ils en concluent que les documents incriminés ont le caractère d'une oeuvre de l'esprit protégée par le Code de la propriété intellectuelle et en déduisent que les agissements du prévenu, qui a volontairement fait disparaître le nom de l'auteur, ont porté atteinte au droit moral de paternité de celui-ci ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.