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10/04/1997 | FRANCE | N°96-83152

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 avril 1997, 96-83152


REJET du pourvoi formé par :
- X... Jean-Pierre,
- la société Régie publicitaire de mobilier urbain (RPMU) représentée par son président-directeur général Jean-Pierre X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 16 avril 1996, qui, pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac, a condamné le premier à 50 000 francs d'amende, a déclaré la seconde solidairement responsable du paiement de cette amende, et a prononcé sur l'action civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique d

e cassation, pris de la violation des articles 2 et 3 de la loi n° 76-616 du 9 juill...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Jean-Pierre,
- la société Régie publicitaire de mobilier urbain (RPMU) représentée par son président-directeur général Jean-Pierre X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 16 avril 1996, qui, pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac, a condamné le premier à 50 000 francs d'amende, a déclaré la seconde solidairement responsable du paiement de cette amende, et a prononcé sur l'action civile.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2 et 3 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, dans leur rédaction issue de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, des articles 111-4, 121-3, 121-7 et 122-3 du nouveau Code pénal, 30, 36 et 177 du traité de Rome et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X... coupable de publicité indirecte en faveur du tabac ;
" aux motifs que l'affiche litigieuse représente une voiture tout terrain à laquelle sont agrippés 4 hommes ;
" que, sur la portière de la voiture, on peut lire l'inscription Camel Trophy alors qu'en bas à droite, dans un encart, est visible une montre surmontée de l'inscription Camel Trophy montres ;
" que le terme Camel en gros caractères est calligraphié de façon strictement identique à la marque de cigarettes Camel ;
" qu'en revanche les termes Trophy et montres ne se voient pas réserver le même sort que la marque Camel, les caractères étant plus fins et le graphisme employé des plus ordinaires ;
" que, s'il est vrai qu'une montre est représentée en bas de l'affiche, ce n'est que dans un format des plus réduits ;
" qu'un tel contraste dans la mise en forme des éléments du message publicitaire ne peut obéir qu'à une volonté délibérée de cibler ce dernier essentiellement sur la marque Camel ;
" que cette publicité rappelle donc un produit du tabac et constitue une publicité indirecte qui tombe sous le coup des dispositions légales ;
" que, vainement, Jean-Pierre X... et la société RPMU soutiennent pouvoir bénéficier de la dérogation instaurée à l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée ;
" qu'il s'avère en effet des pièces versées aux débats par le CNCT que la marque Camel Trophy est la propriété de la société Worlwide Brands Inc qui est une filiale à 100 % du groupe RJR Nabisco, société holding du groupe Reynolds Tobacco qui a pour objet de fabriquer, distribuer et vendre des cigarettes ;
" que la société Melco Watch LTD distributrice des montres Camel Trophy n'a pu entreprendre la publicité massive critiquée sans l'approbation de la société Worlwide Brands Inc et l'existence d'un lien juridique et financier tel qu'un contrat de licence de marque avec cette entreprise filiale à 100 % du Groupe RJR Nabisco, société holding du groupe Reynolds Tobacco ;
" que peu importe que ce lien ait été créé antérieurement ou postérieurement à la date du 1er janvier 1990, la loi ne distinguant aucunement ;
" que la dérogation de l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée a une portée strictement limitée au cas où l'homonymie entre le produit et la marque du tabac est purement fortuite, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce ;
" que, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, les dispositions de la loi française sont parfaitement conformes au droit communautaire, d'une part, parce qu'elles ne distinguent pas entre produits importés et produits nationaux, d'autre part, parce qu'elles sont justifiées par le souci légitime de l'Etat français de protéger la santé publique au sens de l'article 36 du Traité et ne sont pas disproportionnées par rapport à cet objectif ;
" que le prévenu est mal fondé à invoquer l'absence d'élément intentionnel ou l'erreur de droit, le doute dont il fait état sur l'application du texte ne pouvant conduire un professionnel de bonne foi qu'à s'abstenir d'accepter une telle campagne dont le caractère hautement critiquable avait, par ailleurs, été porté à sa connaissance par le CNCT ;
" alors que, d'une part, même en supposant qu'une publicité en faveur de montres puisse être considérée comme constituant une publicité indirecte en faveur du tabac parce qu'elle mentionne le nom d'une marque de cigarettes, il n'en reste pas moins que, contrairement à ce que la Cour a cru pouvoir prétendre, l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991, prévoit expressément et tout à fait clairement une dérogation à l'interdiction d'une telle publicité, quand le produit qui en fait l'objet et qui n'est pas du tabac ou un produit du tabac a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, la seule exception à cette dérogation résultant de sa caducité en raison de la création de liens juridiques ou financiers entre les 2 entreprises, création qui ne peut être que postérieure au 1er janvier 1990, s'agissant par hypothèse de 2 entreprises ayant nécessairement noué des liens commerciaux pour que l'une puisse utiliser un signe distinct de la marque de l'autre ; que, dès lors, la Cour a violé le texte précité, en décidant que la dérogation qu'il prévoit ne pouvait s'appliquer en l'espèce en raison de l'existence d'un lien juridique et financier entre les 2 entreprises sans qu'il importe que ce lien ait été créé antérieurement ou postérieurement au 1er janvier 1990 ;
" alors que, d'autre part, le législateur ayant lors des travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 10 janvier 1991 repoussé un amendement qui limitait strictement la dérogation à l'interdiction de la publicité indirecte en faveur du tabac aux seuls cas d'homonymie purement fortuite, la Cour a violé l'article 3, alinéa 2, de cette loi en prétendant que la dérogation que ce texte prévoit ne s'applique que dans un tel cas ;
" qu'en outre, le Conseil constitutionnel ayant, le 8 janvier 1991, admis la constitutionnalité de l'article 3 parce que l'alinéa 2 de ce texte prolonge les effets dans le temps des mesures transitoires prévues par l'article 35 de la loi du 13 janvier 1989 et qu'il n'affecte pas le principe du droit de propriété sur les marques, il résulte de cette décision que la Cour a violé le texte dont elle a prétendu faire application en raisonnant comme si la conclusion, à quelque date que ce soit, d'un contrat de licence de marque excluait le bénéfice de la dérogation qu'il prévoit ;
" que, de plus, la Cour a violé les articles 30 et 36 du traité de Rome ainsi que son article 177 en rejetant la demande de question préjudicielle portant sur la compatibilité de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée avec ce Traité ;
" et qu'enfin, en tout état de cause, eu égard aux termes de l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, aux travaux préparatoires à l'adoption de ce texte, à la décision du Conseil constitutionnel, qui a statué sur sa régularité au regard de la Constitution, et à l'absence de toute jurisprudence de la Cour de Cassation portant sur son application, le prévenu ne pouvait à l'évidence, au moment des faits poursuivis, imaginer que la publicité litigieuse pourrait être considérée comme interdite en vertu d'une interprétation déformante et extensive de la loi pénale invoquée par la partie civile qui entendait s'y opposer, en sorte qu'en invoquant les mises en garde de cette dernière pour refuser d'admettre la bonne foi du prévenu la Cour a violé tant l'article 111-4 du nouveau Code, pénal que les articles 121-3, 121-7 et 122-3 dudit Code qui excluent toute responsabilité pénale d'un complice quand ce dernier justifie avoir cru, par une erreur de droit invincible, pouvoir légitimement accomplir l'acte qui est reproché " ;
Sur les première, deuxième et troisième branches du moyen :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société " Régie publicitaire de mobilier urbain ", qui assure l'exploitation commerciale de panneaux d'information et d'abribus, a, en exécution d'un contrat de publicité conclu avec la société suisse " Melco Watch Ltd ", assuré la diffusion, durant le mois de mars 1994, d'une affiche publicitaire destinée à promouvoir les montres de marque " Camel Trophy " ;
Que la société française et son dirigeant, Jean-Pierre X..., ont été cités, sur le fondement des articles 2 et 3 de la loi du 9 juillet 1976, modifiée, pour avoir réalisé une publicité indirecte en faveur de la marque de cigarettes Camel ;
Attendu que le prévenu a invoqué le bénéfice de l'exception prévue par l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi précitée, en faveur des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par des entreprises juridiquement et financièrement distinctes de toute entreprise fabriquant, important ou commercialisant du tabac ou des produits du tabac ;
Que, pour écarter ce moyen de défense et condamner Jean-Pierre X... en qualité de complice du délit poursuivi, la juridiction du second degré relève, par motifs propres et adoptés, que la marque, objet de la publicité incriminée, appartient à la société " Worlwide Brands Inc " (W.B.I.), filiale d'une société holding du groupe " Reynolds Tobacco ", lequel fabrique, distribue et vend des cigarettes ; que les juges ajoutent que l'exploitation de cette marque par la société suisse " Melco Watch Ltd " implique nécessairement l'existence, entre cette société et le titulaire de la marque, d'un lien juridique ou financier qui, quelle que soit la date de sa création, est exclusif du bénéfice de la dérogation invoquée ;
Qu'en l'état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions de l'article 3, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1976, modifiée, devenu l'article L. 355-26, alinéa 2, du Code de la santé publique ;
Qu'en effet il résulte de ce texte que la dérogation au régime de la publicité indirecte en faveur du tabac, au sens de l'article précité, est exclue pour les produits commercialisés, même avant le 1er janvier 1990, par les entreprises qui, sans constituer juridiquement et financièrement une entité avec celle qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, se rattachent à cette dernière par un lien juridique ou financier, fût-il indirect ou occasionnel ;
Que les griefs invoqués ne sont, dès lors, pas fondés ;
Sur la quatrième branche du moyen :
Attendu que, pour rejeter l'exception présentée par Jean-Pierre X..., qui excipait de l'incompatibilité des articles 2 et 3 de la loi du 9 juillet 1976, modifiée, avec les articles 30 et 36 du Traité CE et sollicitait, à titre subsidiaire, la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes, les juges du second degré relèvent, par motifs propres et adoptés, que la réglementation française de la publicité indirecte en faveur du tabac, s'appliquant aussi bien aux produits nationaux qu'aux tabacs en provenance d'autres Etats membres, ne constitue pas une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du Traité précité ;
Qu'en l'état de ces seuls motifs la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Sur la cinquième branche du moyen :
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu, qui invoquait une erreur sur le droit, les juges d'appel retiennent que le doute dont il fait état sur la portée réelle de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 ne pouvait conduire un professionnel de bonne foi qu'à s'abstenir de participer à une campagne publicitaire dont le Comité national contre le tabagisme dénonçait le caractère illicite ;
Qu'en se prononçant ainsi la cour d'appel a fait l'exacte application des articles susvisés du Code pénal ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est fondé en aucune de ses branches, ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 96-83152
Date de la décision : 10/04/1997
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° SANTE PUBLIQUE - Tabagisme - Lutte contre le tabagisme - Propagande ou publicité - Publicité indirecte en faveur du tabac - Dérogation - Article 3 - alinéa 2 - de la loi du 9 juillet 1976 - modifiée (devenu l'article L - - alinéa 2 - du Code de la santé publique) - Entreprises juridiquement et financièrement distinctes de celles fabricant - important ou commercialisant le tabac ou un produit du tabac - Exclusion - Lien juridique ou financier - Lien indirect ou occasionnel.

1° PUBLICITE - Publicité ou propagande - Publicité indirecte en faveur du tabac - Dérogation - Article 3 - alinéa 2 - de la loi du 9 juillet 1976 modifiée (devenu l'article L - - alinéa 2 - du Code de la santé publique) - Entreprises juridiquement et financièrement distinctes de celles fabricant - important ou commercialisant le tabac ou un produit du tabac - Exclusion - Lien juridique ou financier - Lien indirect ou occasionnel.

1° Il résulte de l'article 3, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1976 modifiée devenu l'article L. 355-26, alinéa 2, du Code de la santé publique , que la dérogation au régime de la publicité en faveur du tabac, au sens de ce texte, est exclue pour les produits commercialisés, même avant le 1er janvier 1990 par les entreprises qui, sans constituer juridiquement et financièrement une entité avec celle qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, se rattachent à cette dernière par un lien juridique ou financier, fût-il indirect ou occasionnel(1).

2° COMMUNAUTES EUROPEENNES - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives au commerce entre les Etats membres - Mesure d'effet équivalent - Réglementation - Publicité indirecte en faveur du tabac résultant de la loi du 9 juillet 1976 - modifiée (non).

2° SANTE PUBLIQUE - Tabagisme - Lutte contre le tabagisme - Propagande ou publicité - Publicité indirecte en faveur du tabac - Traité de Rome - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives au commerce entre les Etats membres - Mesure d'effet équivalent (non) 2° PUBLICITE - Publicité ou propagande - Publicité indirecte en faveur du tabac - Traité de Rome - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives au commerce entre les Etats membres - Mesure d'effet équivalent (non).

2° La réglementation française de la publicité indirecte en faveur du tabac, telle qu'elle résulte des dispositions des articles 2 et 3 de la loi du 9 juillet 1976, modifiée, ne constitue pas une mesure d'effet équivalent prohibée par l'article 30 du Traité CE dès lors qu'elle frappe indistinctement les produits nationaux et ceux importés d'autres Etats membres(2).


Références :

1° :
1° :
2° :
Code de la santé publique L355-26, al. 2
Loi 76-616 du 09 juillet 1976 art. 2, art. 3
Loi 76-616 du 09 juillet 1976 art. 3, al. 2 2° :
Traité de Rome du 25 mars 1957 art. 30

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 16 avril 1996

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1997-01-22, Bulletin criminel 1997, n° 29 (1), p. 74 (cassation partielle)

arrêt cité. CONFER : (2°). (2) A comparer : Chambre criminelle, 1994-05-18, Bulletin criminel 1994, n° 190, p. 434 (rejet)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 avr. 1997, pourvoi n°96-83152, Bull. crim. criminel 1997 N° 140 p. 467
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1997 N° 140 p. 467

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Blin, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. De Gouttes.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Verdun.
Avocat(s) : Avocats : MM. Choucroy, Cossa.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1997:96.83152
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